103/104 : Colloque 2003, etc. - Société des Amis d'Alfred Jarry

Actes
du colloque 2003
ment l'imagination qui permet d'accomplir les exploits physiques, comme si
la « croyance en l'indien » poussée à son paroxysme équivalait à le devenir.
Il se trouve bien sûr, et le chapitre suivant nous éclaire sur ce point, que
la force du surmâle est sans pourquoi, surnaturelle, une « destinée », mais
le portrait tracé au chapitre précédent de Marcueil en intellectuel faible et
nerveux est en même temps qu'un paradoxe par rapport à sa force réelle,
une radicalisation outrancière du paradoxe psychologique latent chez Féré
selon lequel plus un être serait imaginatif, intelligent, cultivé, sensible, plus
il serait une force de la nature et une « bête de sexe ». Comme dit le docteur
Bathybius : « l'excitation cérébrale explique tout » 20.
Féré note aussi, dans le cadre de cette dépendance du corps aux représentations,
que les hallucinations augmentent la force dynamométrique 21. Cela
m'amène à mon deuxième point, celui des pouvoirs de l'automatisme et de la
suggestion sur la performance physique. Je vais ici plus particulièrement me
référer à Tissié, que j'ai déjà cité et qui me paraît particulièrement intéressant
dans une perspective jarryque. En effet Tissié, qui est l'auteur d'une Hygiène
du vélocipédiste (1888) et des Observations physiologiques concernant un
record l'élocipédique (1894) a tout le potentiel d'une source, pour un auteur
dont on connaît la grande passion cycliste. Je ne sais si Jarry a lu ces œuvres
et La Fatigue et l'entraînement physique que je citais plus haut, mais il est
sûr qu'il aurait trouvé là de quoi alimenter le moteur de son roman : le fait
par exemple que Tissié oppose de manière radicale entraînement cycliste et
sexualité en racontant cette poignante anecdote dont le surmâle est un contre-exemple
flagrant :
« L'entraînement est une école de continence et de chasteté. Les preuves
fournies par les grands coureurs vélocipédistes sont intéressantes à
noter; ceux-ci doivent opter en faveur de l'entraînement pour toute une
saison. Un grand coureur qui fut toujours vainqueur et que nous avons
admiré dans tout l'épanouissement de sa force, s'étant marié, a été aussitôt
vaincu par d'autres coureurs qu'il aurait probablement battus avant
son mariage 22. »
Mais surtout Tissié puise dans le même matériau que celui qui a inspiré à
19. Jarry, op.cit, p.191.
20. Idem, p.196.
21. Féré, Sensation et mouvement, p. 32.
22. Tissié, op. cit., p. 20. Il ajoute avec une réjouissante naïveté que la «bicyclette,
en poussant les deux sexes sur les grands chemins, accomplit déjà une œuvre
d'assainissement physique et moral », p. 21.
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