103/104 : Colloque 2003, etc. - Société des Amis d'Alfred Jarry

Actes
du colloque 2003
ON POURRAIT partir de la physique et des deux premières lois de
la thermodynamique. On sait que se tient là une tension incontournable,
entre d'une part la loi de conservation de l'énergie, où celle-ci est une
entité transcendante, indestructible, indéfiniment capable de se transformer
en énergie mécanique, chimique, électrique et de produire sous ces diverses
formes du travail et d'autre part, en regard de cette conception cyclique
globale, l'entropie, qui dit que tout travail s'accompagne localement d'une
dégradation de l'énergie, s'il n'est pas alimenté par une source extérieure.
On sait Jarry suffisamment lecteur de William Thomson, Lord Kelvin3 pour
ne pas ignorer ces questions : il est même assez prompt à noter la façon dont
fait retour, à travers les théories de l'Urkraft, le vieux fantasme du mouvement
perpétuel, à partir duquel Elson baptise sa potion magique. Ces questions,
qui se constituent comme une véritable vision du monde, débordent
du champ de la physique pour aller vers celui de la physiologie, adaptant
ce modèle quasi idéaliste à la spécificité de l'énergie humaine. Comme le
rappelle Anson Rabinbach dans son livre The Human Motor :
« The body was not merely analogous to other natural forces, it became
one among them. The purpose of the nature was to " yield " work, and as
part of that equation, the body yielded the work of the nerves, the muscles
and the organs, which were subject to the same laws of nature as any
other machine 4. »
Dans son acception ultime, cette théorie fait naturellement porter sur le
corps humain comme « moteur » l'ombre fantasmée d'une énergie inépuisable
:
« If the working Body was a motor, some scientists reasoned, it might
even be possible to eliminate the stubborn resistance to perpetual work
that distinguished the human body from a machine 5. »
Certains travaux, comme ceux d'Emmanuel Munk, mettent en avant par
exemple le fait que le corps humain est supérieur à la machine, parce qu'il
n'utiliserait que 40 % de ses ressources dans l'effort contre 90 % à la machine,
faisant de lui dit Munk « la machine dynamique la plus complète ». La « loi du
moindre effort » étudiée après Helmholtz par le Français Auguste Chauveau
3. Voir la republication annotée des •< Commentaires pour servir à la construction pratique
de la machine à remonter le temps », par Paul Edwards In L'Étoile-Absinthe tournées
95-96, 2002, pp. 69-88.
4. Rabinbach, op. cit, p. 46.
5. Idem, p. 2