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103/104 : Colloque 2003, etc. - Société des Amis d'Alfred Jarry

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Frédéric Chambe<br />

L'héraldique, langage de totalité hermétique, nourrit de son hiératisme<br />

cérémoniel <strong>des</strong> passages aussi divers et connus que la navigation de Faustroll<br />

dans les îles (autant de blasons), et le déroulement de la bataille de Morsang.<br />

Elle occupe une place de centre nerveux.<br />

Alors, tant qu'on y est, pourquoi ne pas considérer l'œuvre entière de<br />

<strong>Jarry</strong> comme un blason, un long, complexe blason à plusieurs étages? Par<br />

l'oxymore, l'œuvre se déclare pure forme, disant elle-même que chercher à<br />

en dégager un sens particulier est inane et vain. Écrire, c'est blasonner, et<br />

blasonner, c'est décrire. Pour <strong>Jarry</strong>, la création littéraire et artistique serait<br />

un exercice de blasonnement autoréférentiel.<br />

L'image héraldique en mouvement raconte une biographie.<br />

Alfred <strong>Jarry</strong> est un blason.<br />

Si <strong>Jarry</strong> peut écrire : « Tous les sens qu'y trouvera le lecteur sont prévus,<br />

et jamais il ne les trouvera tous » 31, c'est que ce n'est pas sur le sens que se<br />

construit l'œuvre d'art : tout le sens de l'œuvre d'art est dans sa forme. Le<br />

sens n'est pas un « but », mais, éventuellement, un « effet », et il perd ici son<br />

statut d'évidence réelle ou, pour mieux dire, d'« évidence morale ». Même<br />

si l'auteur voudrait verrouiller son œuvre quant à la lecture et à l'interprétation,<br />

la forme même de l'œuvre induit toujours, et forcément, la polysémie<br />

3'. Mais cet effet, vrai pour toute œuvre, <strong>Jarry</strong> l'établit comme principe<br />

fondateur et central (unique ?) de la sienne. Pour réfuter l'évidence triviale<br />

de la polysémie « ordinaire », qui ne lui suffit pas, <strong>Jarry</strong> pousse la logique à<br />

son absolu. La proclamation du « Linteau » (« faire dans la route <strong>des</strong> phrases<br />

un carrefour de tous les mots ») fait donc de l'oxymore, ou de l'identité <strong>des</strong><br />

contraires, le « manifeste de la polysémie absolue ». La forme est le sens, la<br />

composition de l'écu est l'identité, la surface est la profondeur, l'instant est<br />

la durée, l'immobile est le mobile. La 'Pataphysique est l'oxymore absolu. Le<br />

verbe « être » est le support de cet oxymore-là. C'est l'auxiliaire de la tautologie,<br />

dont Baudrillard fait un chef d'accusation contre la 'Pataphysique 33.<br />

Mais c'est aussi l'auxiliaire de la définition, cet équivalent périphrastique du<br />

terme à définir. C'est ainsi l'auxiliaire de l'équivalence absolue, par laquelle<br />

<strong>Jarry</strong> définit l'action : « Elle était, elle est, elle sera... » (Être et vivre, O. C. I,<br />

31. « Linteau » <strong>des</strong> Minutes... (O. C. I, p. 172).<br />

32. André Breton, bizarrement, rendait Rimbaud responsable de n'avoir pas rendu<br />

impossibles certaines interprétations « déshonorantes » de son œuvre, c'est-<br />

à-dire de n'avoir pas verrouillé son œuvre. Le « verrouillage » (qu'il s'agisse de<br />

monosémie ou d'absolu du sens) est impossible, dans la mesure même où ce<br />

que « je » dis n'est jamais totalement ce que « je » veux dire, et n'est jamais reçu<br />

en totalité par le lecteur. <strong>Jarry</strong>, en niant cette réalité, veut régner en <strong>des</strong>pote<br />

sur ce qu'il écrit, excluant l'« autre » du lecteur. Mais le Sujet est inexhaustible.<br />

33. Jean Baudrillard, Pataphysique {sic), éd. Sens et Tonka, Paris, 2002, p. 15.<br />

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