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103/104 : Colloque 2003, etc. - Société des Amis d'Alfred Jarry

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Actes<br />

du colloque <strong>2003</strong><br />

(« Ma-da-me », dit-il à Rachilde) : le créateur devient créature de sa créature,<br />

marionnette de sa marionnette. La personne se modèle sur le personnage.<br />

La primauté judéo-chrétienne de l'être sur le paraître est annulée. L'avers de<br />

la médaille est son propre revers, pièce à double pile ou double face, fausse<br />

monnaie bien connue <strong>des</strong> tricheurs.<br />

Cette figure de la réversibilité de /'être et de l'interchangeabilité <strong>des</strong> êtres<br />

court dans toute l'œuvre de <strong>Jarry</strong>. Il ne s'agit pas seulement de provoquer en<br />

maniant le paradoxe, mais de brouiller les pistes en les multipliant, ainsi que<br />

les sens de circulation, comme dans n'importe quel « palais <strong>des</strong> glaces » dans<br />

les foires, terrain de l'illusion. La fonction du blason est d'exprimer toute<br />

une personne dans une forme à deux dimensions 29. L'être et sa profondeur<br />

(psychologie, âme, sentiments, et tutti quanti) s'en trouvent réduits à une<br />

pure surface, dans une sorte de « mise à plat » de la personne, qui se confond<br />

alors avec le décor du théâtre sur lequel elle évolue. En même temps qu'il<br />

proclame la valeur de la personne, le blason la fige dans un devoir-être (explicité<br />

par la devise), et l'engage à « faire honneur à ses armes », c'est-à-dire à<br />

devenir son propre blason, à « modeler son âme » sur celui-ci. L'héraldique<br />

devient une façon d'être-au-monde.<br />

Ne se passe-t-il pas la même chose, à propos de <strong>Jarry</strong>, pour la dichotomie<br />

homme / œuvre ? L'homme est l'œuvre, et inversement ; ou plutôt, qu'estce<br />

que <strong>Jarry</strong> sinon son œuvre, tout à la fois son être et son paraître ? Son<br />

œuvre est son masque : son blason. L'âme est tout entière dans l'œuvre. Sa<br />

biographie semble avoir à ses propres yeux fort peu d'importance 3".<br />

Le blason est contaminé par cette logique. Dans le système <strong>des</strong> armoiries,<br />

un blason est strictement monosémique : il est la marque exclusive d'une personne<br />

unique. La polysémie lui est donc a priori interdite. D'ailleurs, la lecture<br />

(le blasonnement) n'est jamais une interprétation, mais une <strong>des</strong>cription.<br />

Il ne saurait exister d'herméneutique héraldique. Or <strong>Jarry</strong>, en mettant en scène<br />

les figures héraldiques, contrevient à cette règle, et introduit la confusion<br />

dans le fonctionnement « normal » du code. Il applique ainsi à ce vocabulaire<br />

figé la règle énoncée dans le « Linteau »:«[...] les mots,polyèdres d'idées. »,<br />

que M. Arrivé commente : « La nature "polyédrique "» du mot métaphorise<br />

son caractère polysémique. » (O. C. I, p. 1099). Chaque mot contient tous les<br />

autres : le « polyèdre absolu » contient toute la langue. Le « tout » de la langue,<br />

mot récurrent du « Linteau », se retrouve dans l'image du « pal ou fasce » héraldique<br />

du bâton-à-physique de César-Antecbrist. Le monosémique est polysémique.<br />

Et inversement.<br />

29. Voir, par exemple, « De la surface de Dieu », Gesfes..., O. C. I, p. 731 : « Nous nous<br />

contenterons de deux dimensions,... ».<br />

30. La seule vraie tentative de biographie complète est d'ailleurs restée inachevée : Noël<br />

Arnaud, Alfred <strong>Jarry</strong> I, d'Ubu roi au Docteur Faustroll, La Table Ronde, 1974.<br />

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