103/104 : Colloque 2003, etc. - Société des Amis d'Alfred Jarry

II - Jarry
Actes
du colloque 2003
L'INTÉRÊT de Jarry pour l'héraldique est connu : des couvertures muettes
des Minutes de sable mémorial et de César-Antechrist aux armoiries de
Sengle et Valens dans Les Jours et les Nuits, en passant par 1' « Acte héraldique
» ou certains textes de La Chandelle verte, il ne s'est pas démenti, avec sa
double valeur mythologique. D'une part, Jarry s'efforce d'établir que le nom
des Dorset (entourage de Guillaume le Conquérant) figure parmi ses ancêtres
(peu importe que ce désir soit légitime ou fondé) ; d'autre part, il élabore luimême
des armoiries comme pour fonder une lignée, voire instituer sa propre
origine. Celui qui sait blasonner prouve à la confrérie (la caste) qu'il est digne
d'entrer (certains diraient : il est des nôtres).
Mais Jarry se moque bien d'« entrer », et fait éclater le statut restreint
de l'héraldique : il exploite le système héraldique tout autrement que ses
contemporains, par un usage très spécifique. En effet, même s'il semble donner
dans l'archaïsant (images d'Épinal, gravures anciennes de L'Ymagier et
Perhindériori), il ne s'agit pas pour lui de collecter des motifs décoratifs, mais
de remonter à la puissance évocatoire des sources de l'imaginaire. Ce qui est,
chez certains, décorum fatrasique ou décadent, goût gratuit de l'obscurité, jeu
à destination des seuls initiés, joue chez lui un rôle non pas conjoncturel, mais
structurel.
L'usage que fait Jarry de l'héraldique est donc très spécifique. À propos
de César-Antechrist, Jean-Hugues Sainmont affirme, entre autres, qu'Alfred
Jarry y « exaspère les procédés allégoriques à un tel point qu'ils perdent signification
». Selon lui, « le symbole comme l'Omnipotence, poussés à l'absolu,
se volatilisent », et « la spéculation y fricasse, simultanément métaphysique,
religieuse, sexuelle, logolalique, sociale (ou antisociale), « morale », etc. : et
on ne sait jamais ce qui est symbole et symbolisé ». Et il s'interroge : « L'identité
des contraires est-elle l'être ou la vie? ou le Dieu? ou le Monde? est-elle
la Puissance? ou lequel des inverses? Il est et sera toujours impossible de le
dire. Et ceci, nous en sommes sûr, de propos exactement délibéré de la part
de Jarry. » Sainmont insiste, et Michel Arrivé après lui, sur le caractère tout à
fait délibéré de la démarche. Il évoque à juste raison la saturation du symbole,
qui finit par exploser : « On ne sait jamais ce qui est symbole et symbolisé. »
Mais curieusement, après avoir ainsi posé le caractère délibéré du propos,
il déplore un peu plus loin, et Michel Arrivé après lui, les « erreurs » « regrettables
» que Jarry commet dans le blasonnement, erreurs qu'il met sur le compte
d'une méconnaissance, constatant un « style d'héraldiste amateur ». Il se
demande si c'est « une coquille (bien persistante), une inadvertance (bien
étrange), une ignorance, un lapsus...?» (C.C.P., n° 5-6, p. 62).
Ce reproche relève d'une parfaite orthodoxie d'héraldiste, mais repose sur
un malentendu de fond, voire une incompréhension, car on ne peut à la fois,
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