103/104 : Colloque 2003, etc. - Société des Amis d'Alfred Jarry
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Frédéric Chanibc<br />
contenu dans ce qu'il en affiche. À cet égard, il n'est pas rare que le blason<br />
devienne effectivement un fétiche.<br />
Mais le blason est par ailleurs inscription dans une durée, transmission<br />
d'héritage. Il met en jeu la généalogie, l'engendrement, l'origine. Authenticité<br />
et noblesse sont proportionnelles à l'antiquité, qui devient le critère discriminant<br />
et déterminant de la hiérarchie, au double sens, étymologique et<br />
ordinaire, de ce terme. En effet, il s'agit à la fois d'organiser la caste, d'en<br />
reconnaître les membres, et d'introduire du sacré dans le moi et dans la<br />
transmission du nom : plus les racines sont profon<strong>des</strong>, plus gran<strong>des</strong> sont sa<br />
valeur et son aura. Il y a du « roman familial », au sens freudien, ou du roman<br />
<strong>des</strong> origines (Marthe Robert). On est dans le « droit du sang » — le sang bleu<br />
de Sengle (Les Jours et les Nuits, III, 3, « Azur déboucle Azor »). L'héraldique<br />
ressortit à la fois à un mythe social et à un mythe personnel.<br />
Cela dit, l'héraldique, qui était à son début (environ xif siècle) l'apanage<br />
<strong>des</strong> chevaliers, s'est répandue progressivement dans toutes les couches<br />
sociales. Certaines époques ont même vu imposer <strong>des</strong> armoiries, y compris à<br />
<strong>des</strong> roturiers. Aux xvi c<br />
et xvn c<br />
siècles, c'était devenu une véritable mode : on<br />
trouvait du blason sur une infinité de supports, du plus prestigieux jusqu'au<br />
plus trivial. On estime à environ dix millions le nombre <strong>des</strong> armoiries composées<br />
avant la Révolution (noms de famille, cités, corporations, universités,<br />
clergé, femmes, <strong>etc</strong>.). Ne parlons pas <strong>des</strong> innombrables blasons ajoutés à<br />
cette masse par les xix c<br />
et xx c<br />
siècles.<br />
Aujourd'hui, on peut dire que le blason traditionnel perdure dans son cercle<br />
traditionnel d'initiés et autres généalogistes. Mais il s'est étendu à d'autres<br />
domaines, de façon abâtardie, pour ne pas dire dégénérée. Par exemple, les<br />
« images de marques » ne sont-elles pas <strong>des</strong> blasons, de par la relation biunivoque<br />
entre la marque et son image : crocodile, lion, cheval cabré, losange,<br />
trois ban<strong>des</strong>, <strong>etc</strong>.? Notre environnement visuel est à cet égard peuplé de<br />
blasons, toutefois sans la prétention à la « noblesse » et à 1' « honneur » (quoique...).<br />
L'image de marque est le blason du pauvre (quoique...), le blason<br />
de l'ère marchande, à une différence essentielle près, cependant : contrairement<br />
au blason, le « logotype », de nature publicitaire, n'obéit à d'autre loi<br />
que celle de l'effet recherché. L'image de marque, qui ne réfère à aucun ordre<br />
hiérarchique, n'a besoin ni de vocabulaire, ni de syntaxe, encore moins de<br />
blasonnement. Elle n'a besoin que d'être, et d'être vue. Oubliées les lettres<br />
de noblesse, où l'être valide l'image : il fallait prouver pour arborer. Il suffit<br />
à présent d'arborer la marque pour exister, sans avoir à se préoccuper du<br />
« sens ».<br />
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