103/104 : Colloque 2003, etc. - Société des Amis d'Alfred Jarry

L'Étoile-Absinthe
tournées 103-104
relation entre cette situation particulière
au sein d'un mouvement littéraire qui
s'appelle ou se t'ait appeler le symbolisme
et son œuvre, il n'est pratiquement
jamais question. On considère habituellement
davantage la prétendue rupture de
Jarry avec son époque - rupture qui est
largement une conséquence de la méconnaissance
des œuvres des cercles dans
lesquels Jarry évolue. Il n'existe pas de
monographie sur la poétique ou la rhétorique
de Jarry, qui traiterait l'ensemble de
son œuvre dans une telle optique.
La taule en i ncombe peut-être en grande
partie au Collège de 'pataphysique, ou
plutôt à une incompréhension du public
quant à son but, qui ne consistait pas
réellement à analyser l'œuvre de Jarry
(sinon dans les premières livraisons des
Cahiers), mais à faire œuvre soi-même,
à partir d'une interprétation totalement
ouverte de la notion de 'pataphysique.
Les textes de Jarry invitent bien entendu
à cette interprétation ludique, dans la
mesure où il cherchait à créer une œuvre
de suggestion, une œuvre libérée de toute
contingence : « Suggérer au lieu de dire,
faire dans la route des phrases un carrefour
de tous les mots. »
Or c'est ici que se pose le problème
de la possibilité de tenir sur Jarry à la
fois un discours théorique, impliquant
une méthode de lecture qui utilise le
texte pour définir des objets le transcendant,
telles les notions génériques, et un
discours d'histoire littéraire, cherchant
à déceler ses influences, à replacer son
œuvre dans son contexte. Sa conception
de la littérature est elle-même une
conception datée; pour étudier l'œuvre
de Jarry, il importe de la replacer dans
l'histoire littéraire, afin de comprendre
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comment Jarry parvient à construire ce
modèle esthétique d'une œuvre totalement
ouverte. Mais en refusant les déterminations
historiques, en se plaçant d'un
point de vue absolu qui laisse le texte
disponible pour toute lecture, Jarry fait
de son œuvre un objet dynamique, difficilement
analysable.
Comment replacer cette œuvre dans
son contexte tout en étudiant la façon
dont elle l'utilise pour construire une
stratégie d'ouverture sémantique totale?
Comment rendre compte des notions
complexes d'influences, de construction
d'une œuvre personnelle, de programmation
de la lecture? Peut-on décrire une
œuvre qui modifie les façons de lire de
ses lecteurs, qui se veut ouverte, et analyser
la façon dont elle joue des procédés
littéraires, des traditions génériques, en
construisant un modèle théorique permettant
de lire ce qui se donne comme
anhistorique, qui défie son historicité?
Pour faire des mots des « polyèdres
d'idées », Jarry invente ou réutilise des
procédés rhétoriques ou poétiques visant
à démultiplier les façons de lire son texte.
Il y a pour Jarry une rhétorique de la suggestion,
c'est-à-dire des moyens précis
de prolonger l'indétermination sémantique
de son texte. Sa pratique littéraire
le conduit à faire passer la quasi-totalité
de l'art de l'écrivain du côté de la mise
en place de ces dispositifs de contrôle
du sens, dans la mesure où le sens luimême
importe moins que la construction
d'un objet aux virtualités sémantiques
maximales. On se propose de nommer
cette nouvelle forme de création littéraire
l'écriture-constellation. P. Ed.