Raimond le cathare
Raimond le cathare
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Eléonore et Sancie, serrées l’une contre l’autre, ne retiennent<br />
pas <strong>le</strong>urs larmes d’émotion en voyant <strong>le</strong>urs maris, <strong>le</strong> père et <strong>le</strong><br />
fils, échanger avec <strong>le</strong>ur frère, <strong>le</strong> roi Pierre, un serment de fidélité<br />
et de loyauté.<br />
La grande nob<strong>le</strong>sse d’Aragon et mes vassaux <strong>le</strong>s plus fidè<strong>le</strong>s<br />
sont <strong>le</strong>s témoins de cet événement qui va changer <strong>le</strong> cours de<br />
notre histoire.<br />
J’ai « renversé l’échiquier ». Cette façon d’agir me fut<br />
enseignée dans mon enfance. Un soir, ici même au château<br />
Narbonnais, j’ai vu mon père cerné de toutes parts dans une<br />
partie d’échecs mal engagée. Je souffrais de voir son visage<br />
assombri par l’effort qu’il faisait pour trouver une issue.<br />
Soudain, son regard a brillé d’une lueur joyeuse. D’un geste de<br />
la main, il a balayé toutes <strong>le</strong>s pièces. Il <strong>le</strong>s a ensuite disposées à<br />
sa guise, invitant aussitôt son partenaire à reprendre <strong>le</strong> combat<br />
sans aucune chance de l’emporter.<br />
C’est là <strong>le</strong> fait du prince. Il doit y recourir lorsque l’essentiel<br />
est menacé. J’ai déjà « renversé l’échiquier » il y a près de<br />
quatre ans, <strong>le</strong> jour de juin 1209 où je me suis humb<strong>le</strong>ment<br />
soumis aux pénitences de l’Église avant de rejoindre la croisade<br />
qui marchait sur nous. Je l’ai fait pour épargner à mon peup<strong>le</strong><br />
<strong>le</strong>s souffrances de la guerre. Je n’ai réussi qu’à différer<br />
l’épreuve. Quarante-deux mois plus tard, nos terres sont<br />
envahies, notre nob<strong>le</strong>sse se trouve dépossédée et nos habitants<br />
sont asservis. Quel secours pouvons-nous espérer ? Aucun. Mes<br />
suzerains qui me doivent protection m’ont abandonné à mon<br />
sort par indifférence et par crainte de provoquer la colère du<br />
pape.<br />
Par ma mère Constance, j’appartiens pourtant à la famil<strong>le</strong><br />
roya<strong>le</strong> de France, et par mon fils <strong>Raimond</strong> – enfanté par<br />
Jeanne, la sœur de Richard Cœur de Lion – nous sommes<br />
apparentés à la famil<strong>le</strong> roya<strong>le</strong> d’Ang<strong>le</strong>terre. Mais <strong>le</strong>s deux<br />
souverains, Philippe Auguste et Jean Sans Terre, trop occupés à<br />
se combattre, ont oublié <strong>le</strong>ur parent et <strong>le</strong>ur vassal. Pis : si l’un<br />
manifeste quelque sollicitude à mon égard, l’autre s’en offusque<br />
aussitôt. Quant à Othon, l’empereur d’Al<strong>le</strong>magne, malgré ses<br />
promesses il ne m’a jamais proposé la moindre protection. Tous<br />
ont laissé <strong>le</strong>urs barons et <strong>le</strong>urs chevaliers dévaster mon pays et<br />
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