Raimond le cathare
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chantent des vers à notre gloire. Pour saluer un fils, un père, un<br />
frère, un mari ou un homme aimé, el<strong>le</strong>s agitent <strong>le</strong>urs longues<br />
écharpes qui flottent légèrement dans la brise, déployant sur la<br />
crête du rempart de brique <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs douces de ces étendards<br />
d’amour. À la fenêtre du château Narbonnais, Éléonore me<br />
regarde, tordant entre ses mains la tresse de sa bel<strong>le</strong> chevelure<br />
brune dans laquel<strong>le</strong> j’ai enfoui mon visage cette nuit.<br />
Au milieu d’une nuée de routiers navarrais et aragonais,<br />
protégés par des groupes d’arbalétriers, notre troupe se déploie<br />
et s’avance à son tour. Tenant fermement <strong>le</strong> harnais de la main<br />
gauche, je saisis de la main droite la poignée de l’épée que je tire<br />
pour parer à toute attaque.<br />
Sous <strong>le</strong> heaume, ma vision se limite à ce que <strong>le</strong>s deux fentes<br />
horizonta<strong>le</strong>s offrent à mon regard. Je ne vois plus ceux qui<br />
chevauchent à mes côtés. Je n’aperçois que <strong>le</strong> dos de ceux qui,<br />
devant moi, mettent <strong>le</strong>urs chevaux au galop. Je force l’allure. À<br />
travers ces minces ouvertures, je ne reconnais plus mon paysage<br />
familier. La terre tremb<strong>le</strong> maintenant sous <strong>le</strong>s cavalcades. Les<br />
cris des hommes, <strong>le</strong>s hennissements des chevaux, <strong>le</strong>s<br />
hur<strong>le</strong>ments de dou<strong>le</strong>ur, <strong>le</strong>s fers qui se heurtent, <strong>le</strong>s ordres des<br />
sergents, <strong>le</strong> siff<strong>le</strong>ment des flèches : tout ce qui résonne à mes<br />
oreil<strong>le</strong>s me dit que je suis au cœur de la batail<strong>le</strong>. Pourtant, je ne<br />
vois toujours pas l’ennemi. La croupe du cheval qui devance <strong>le</strong><br />
mien se soulève régulièrement au rythme de sa course. Parfois,<br />
j’entrevois un homme à terre, <strong>le</strong>s bras en croix ou <strong>le</strong>s mains<br />
crispées sur une b<strong>le</strong>ssure. Ceux qui en ont encore la force<br />
rou<strong>le</strong>nt sur eux-mêmes, pour éviter d’être piétines par <strong>le</strong>s sabots<br />
de nos montures emballées. Tout est si fugitif que je ne<br />
distingue pas <strong>le</strong>s nôtres des <strong>le</strong>urs parmi <strong>le</strong>s victimes qui<br />
jonchent l’herbe de la plaine. Sans comprendre ce qui se passe<br />
autour de moi, je me contente de suivre <strong>le</strong>s cavaliers qui<br />
m’ouvrent <strong>le</strong> chemin. Je devine la présence de ceux qui<br />
chevauchent sur mes flancs. Nous tournons et retournons en<br />
tous sens. J’ai perdu l’orientation. La sueur qui transpire de<br />
mon front me pique <strong>le</strong>s yeux. Je ne suis b<strong>le</strong>ssé que par <strong>le</strong>s<br />
étriers de mon cheval de guerre, <strong>le</strong>s pièces d’armure qui<br />
protègent mes articulations et la base du heaume qui pèse sur<br />
mes épau<strong>le</strong>s. Pas une flèche, pas un coup d’épée, pas une pointe<br />
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