PIPPO DELBONO | PATRICK LAVAUD JAZZ EN LIBERTÉ ... - Spirit
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3 1 formes & industries / <strong>Spirit</strong>#73 / juiL-août 2011<br />
Le chant du supporter<br />
Pas de Nabucco sans « Chœur des Hébreux » ou de Traviata<br />
sans celui des bohémiennes. Formation indispensable<br />
aux opéras, le chœur n’a rien à voir avec un élément<br />
de décor. À Bordeaux, il est dirigé par un sujet de Sa Très<br />
Gracieuse Majesté : Alexander Martin, très smart et très<br />
amateur de foot.<br />
L’ennui avec l’Angleterre, c’est qu’on<br />
veut bien lui concéder d’avoir engendré<br />
des princesses au regard de faon,<br />
des souvenirs humides de voyages<br />
scolaires et l’improbable Marmite (1),<br />
mais pas de grands compositeurs ou<br />
musiciens classiques. Foin de Britten<br />
ou de Purcell quand London is calling<br />
ou que Lucy is in the sky with diamonds.<br />
De ce côté-ci de la Manche,<br />
voire de la Garonne, la vox populi voudrait<br />
que la musique ne vint aux Anglais<br />
qu’avec le XX e siècle. Si perfide<br />
soit-elle, la Grande Albion est aussi<br />
la mère patrie d’Alexander Martin,<br />
grand garçon distingué, une sorte de<br />
sosie britannique du jeune Tony Curtis.<br />
Ce musicien diplômé de l’université<br />
de Cambridge et du Royal College<br />
of Music of London a été nommé chef<br />
de chœur de l’Opéra de Bordeaux en<br />
septembre dernier, « un drôle de métier<br />
», ainsi qu’il le qualifie.<br />
À son actif, un tour d’Europe des théâtres<br />
lyriques : Londres, Lyon, alors que<br />
le bâtiment de Nouvel est achevé, mais<br />
aussi Hambourg, Strasbourg, Toulouse<br />
ou Bern. Il y est pianiste, chef de chant,<br />
assistant de chef d’orchestre et enfin,<br />
en Suisse, chef de chœur. À Bordeaux,<br />
il dirige trente-huit choristes et doit<br />
avant tout savoir évoluer à l’ombre du<br />
chef d’orchestre : « Il faut s’adapter aux<br />
désirs de certains d’entre eux, très impliqués<br />
ou qui, au contraire, s’en fichent<br />
complètement. Mon rôle est de rester le<br />
plus pragmatique possible. » Le chœur<br />
d’opéra est un instrument complexe et<br />
malléable où évoluent des hommes et<br />
des femmes, des basses et des ténors,<br />
des sopranos et des altos, chantant ensemble,<br />
en position de concert ou disséminés<br />
entre cour et jardin. « Je n’ai<br />
pas la latitude de me perdre dans les<br />
détails irréalisables. Par exemple, il<br />
est vain de pinailler sur les dyna-<br />
miques. Rien ne sert de faire un<br />
formidable pianissimo si c’est<br />
au fond de la scène et que le<br />
public n’entend rien. »<br />
Imaginerait-on Nabucco sans<br />
son « Chœur des Hébreux », Carmen<br />
sans ses cigarières ou Carmina<br />
Burana (2) amputée de « O Fortuna » ?<br />
Si les solistes occupent la lumière, il y<br />
a dans le chœur quelque chose d’organique,<br />
un souffle commun auquel il<br />
est peu souvent rendu hommage. Les<br />
compositeurs des XVIII e et XIX e siècles<br />
lui accordent pourtant une place<br />
importante, ne lui imposant plus un<br />
rôle d’illustration mais l’intégrant dans<br />
l’intrigue et le dialogue avec les solistes.<br />
« Il régnait une certaine forme de<br />
gigantisme, avance Alexander Martin.<br />
De nos jours, peu d’opéras possèdent<br />
les effectifs d’alors. Imaginez les difficultés<br />
que j’ai pour diviser le chœur en<br />
deux armées ! » Ainsi tenaillés par l’impérative<br />
nécessité de se fondre dans la<br />
masse, de rechercher à tout prix l’homogénéité,<br />
les chanteurs ne bridentils<br />
par leur ego ? Ne trouve-t-on parmi<br />
eux que des solistes ratés ? ou pire,<br />
des gagne-petit de la musique ?<br />
« La réalité est bien plus complexe,<br />
se défend-il. Si le chœur accueille des<br />
chanteurs pour qui la carrière soliste<br />
Chronique<br />
Métiers de<br />
l'opéra<br />
était trop difficile, il compte aussi des<br />
membres qui auraient pu l’être mais qui<br />
préfèrent un travail régulier ou d’anciens<br />
solistes lassés d’être sur le devant<br />
de la scène. Quel que soit leur profil, ils<br />
doivent faire preuve d’une très grande<br />
adaptabilité. Ce sont les décathloniens<br />
de la musique. »<br />
Puisqu’on en vient à causer sport, ce<br />
serait manquer à toute obligation que<br />
de ne lancer un Anglais sur le terrain<br />
du foot. Alexander Martin a alors un<br />
mouvement de recul charmant,<br />
presque une excuse<br />
muette, mais ne tarde pas à<br />
se comparer à un entraîneur<br />
de foot. « Il y a autant de différence<br />
entre deux chœurs qu’entre Chelsea<br />
et Arsenal ! Il faut savoir tirer le<br />
meilleur de chaque chanteur, trouver<br />
la meilleure place dans le groupe. En<br />
représentation, nous sommes comme<br />
un coach au bord du terrain, sans<br />
même la possibilité de faire entrer un<br />
remplaçant si les choses se passent<br />
mal ! » Il y aurait donc un peu d’Arsène<br />
Wenger chez Alexander Martin,<br />
qui, promis, ne se contentera pas de<br />
suivre la Premier League mais ira la<br />
saison prochaine voir jouer les Girondins<br />
à Chaban-Delmas. Ce doit être de<br />
l’humour anglais. — [estelle Gentilleau]<br />
(1) Vendue dans un petit pot au couvercle jaune,<br />
la Marmite est une pâte à tartiner fabriquée à partir<br />
de levures utilisées pour la fermentation des<br />
bières. Une réelle expérience gustative.<br />
(2) Carmina Burana par le chœur de l’Opéra de<br />
Bordeaux, sous la direction de Pieter-Jelle De Boer<br />
du 18 au 28 octobre 2011 au Grand-Théâtre de<br />
Bordeaux.<br />
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