Le père des pauvres

Jean-Claude Dubé
Le père des pauvres
Paul Dubé,
Médecin à Montargis
au XVII e siècle
Les Presses de l’Université d’Ottawa

CATALOGAGE AVANT PUBLICATION DE BIBLIOTHÈQUE
ET ARCHIVES CANADA
Dubé, Jean-Claude, 1925-
Le père des pauvres : le docteur Paul Dubé,
médecin à Montargis/Jean-Claude Dubé.
Comprend des réf. bibliogr. et un index.
ISBN 978-2-7603-0659-2
1. Dubé, Paul, m. 1698. 2. Médecine populaire – France – Histoire – 17 e siècle.
3. Montargis (France) – Conditions sociales – 17 e siècle. 4. Hôpitaux –
France – Montargis – Histoire – 17 e siècle. 5. Médecins –
France – Montargis – Biographies. I. Titre.
R507.D78D82 2007 610.92 C2007
Imprimé par Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2007
542 Avenue King Edward
Ottawa, Ontario K1N 6N5
www.uopress.uottawa.ca
L’illustration de la couverture est un dessin de Montargis
avant la révolution, du peintre Anne-Louis Girodet (1767-1824).
Cette publication a bénéficié de l’appui financier du
Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et
de la Faculté des Arts de l’Université d’Ottawa.
À mon frère Edgar, et à son fils François,
dont les carrières présentent des similitudes avec celle
du médecin de Montargis : bienveillance,
charité et compétence médicale

TABLE DES MATIÈRES
Introduction ............................................................................. 1
Chapitre I er – L’ascension d’une famille du Gâtinais
sous l’Ancien Régime .....................................................11
1. La génération du tanneur Paul Dubé ...............13
2. La génération du médecin Paul Dubé ..............17
3. La descendance du docteur Paul Dubé ...........22
Chapitre II – L’itinéraire professionnel d’un médecin
de province du XVII e siècle .............................................45
1. Les années parisiennes ......................................47
2. Les deux années d’étude à Montpellier ...........50
3. Une carrière longue et bien remplie .................62
Chapitre III – Paul Dubé inaugure en 1649 sa
carrière d’écrivain ...........................................................87
1. De mineralium natura in universum, 1649 ..........89
2. Histoire de deux enfants monstrueux, 1650 ...107
Chapitre IV – Double visage de la « médecine
théorique », selon Paul Dubé ......................................131
1. Une longue et fort originale introduction .....134
2. La physiologie ..................................................144
3. La pathologie ....................................................154
4. Les deux conclusions du Medulla ...................166
Chapitre V – Un livre à succès, Le médecin et
le chirurgien des pauvres, publié en 1669 ...................183
1. Brève étude des six prologues ........................185
2. L’essentiel de sa « médecine des pauvres » ...191
3. Le chirurgien des pauvres ...................................201
4. Le grand succès des livres consacrés à
la médecine des pauvres aux xvii e et
xviii e siècles .......................................................212
v

vi Le père des pauvres Table des matières vii
Chapitre VI – L’établissement d’un hôpital général
à Montargis en 1680 ......................................................239
1. Les changements apportés dans le
domaine « hospitalier » en France au
xvii e siècle..........................................................241
2. Contribution de Paul Dubé à
l’hospitalisation à Montargis ..........................246
Chapitre VII – « Un médecin de Montargis très
expérimenté et très charitable » ..................................267
1. Quelques idées tirées de ses livres qui
ne sont pas centrés sur la spiritualité .............269
2. Étude des deux livres où il n’est question
que de spiritualité ............................................276
3. Un médecin bien ancré dans les courants
spirituels de son époque ..................................287
Conclusion ............................................................................305
Liste des illustrations
Chapitre I – Photo de l’église Saint-Loup
de Bléneau ...........................................................39
Chapitre II – Montargis avant la Révolution –
dessin du peintre Anne-Louis Girodet
(1767-1824), tiré du musée Girodet
à Montargis .........................................................82
Gravure de M gr De Pardailhan
de Gondrin, archevêque de Sens
(B. N. Estampes) .................................................83
Gravure de l’abbé Henry Duhamel,
curé de Saint-Merri, à Paris
(B. N. Estampes) .................................................84
Quartier de Paris où figure le collège
de Boncourt, tiré de la carte monumentale
de Paris, de Gomboust, datant de 1651 ............85
Chapitre III – Photo de l’église de Septfonds,
où furent baptisées les deux sœurs
siamoises ...........................................................128
Gravure représentant les deux sœurs
siamoises, et figurant dans le livre
publié sur elles en 1650 ....................................129
Chapitre IV – Gravure figurant dans la
page de titre du Medulla, paru en 1671 :
Une femme et ses deux enfants devant
le médecin .........................................................182
Chapitre V – Couverture du livre
le Médecin des pauvres (éd. 1700) .....................238
Liste des abréviations ..........................................................315
Annexes
Annexe I –
Généalogie abrégée de la famille Dubé ...........40
Généalogie abrégée de la famille Déry,
de Montargis .......................................................42
Annexe II – Chronologie sommaire de la vie
du docteur Paul Dubé ......................................317
Annexe III – Trois séries de propositions
ont été placées à la suite des quatre thèses
soutenues par Paul Dubé.................................321
Annexe IV – Éditions du livre du docteur
Paul Dubé, Le Médecin des Pauvres et
Le Chirurgien des pauvres ..................................325
Annexe V – Des eaux minérales artificielles
pour les pauvres ...............................................327
Annexe VI – Remèdes externes – quelques
suggestions pour guérir le scorbut .................329

viii Le père des pauvres
Bibliographie ........................................................................331
Index ......................................................................................345
INTRODUCTION
Dans le registre paroissial de l’église Sainte-Marie-Madeleine
de la ville de Montargis le Franc 1 , on peut lire, à la date du
17 juillet 1698, la mention de l’inhumation de
Paul Dubé, docteur en médecine, mort agé de quatrevingt-six
ans qui a esté un véritable Père des Pauvres.
L’hospital general en [sic] sera un illustre monument de
la charité qui la [l’a] fait travailler avec un zele incroyable
et avec des secours extraordinaires à son establissement.
Chastel, vicaire.
Cette notice très élogieuse contraste fort avec ce qu’on
retrouve le plus souvent dans ces cahiers; on ne voit
d’ordinaire que le nom de la personne (pour les femmes
figure, si cela convient, le nom du mari) et, parfois, la
profession et l’âge 2 .
Il y a lieu surtout de retenir deux choses de cet intéressant
document : l’âge avancé du médecin, bien supérieur à la
moyenne de l’ensemble de la population au xvii e siècle 3 ,
et la qualité qui a caractérisé son action auprès de la
population : une charité débordante, ce qui explique le titre
louangeur de « père des pauvres » qu’on lui confère 4 ; sans
lui, semble-t-il, l’hôpital général de la ville n’aurait pas vu
le jour.
1

2 Le père des pauvres Introduction 3
Or, si l’on ouvre un autre dossier contemporain de
l’événement rapporté ici, on trouve semblables remarques – ce
qui apporte une confirmation de ce qu’avait écrit le vicaire de
la paroisse concernant la réputation du docteur Dubé. Il s’agit
du journal des ursulines de Montargis 5 . Pour elles, Paul Dubé,
qui avait été leur médecin pendant près de soixante ans, était
un homme « sçavant », d’une « spiritualité » remarquable,
d’une « charité continuelle »; son livre sur la « médecine des
pauvres » les avait beaucoup impressionnées. Elles ajoutent,
elles aussi, qu’il « était le père des pauvres ».
La ressemblance qu’il y a entre ces deux notices
est frappante : charité, concrétisée, entre autres choses,
dans l’établissement de l’hôpital général, et zèle continu,
spécialement pour tout ce qui pouvait apporter aide et
réconfort aux nécessiteux, sont les qualités qui sont reconnues
au docteur.
Deux articles lui ont été consacrés au xix e siècle. Le
premier figure dans un petit livre 6 qui s’intitule Notices
biographiques sur les personnes célèbres et notables de
l’arrondissement de Montargis, paru en 1846. Paul Dubé y est
d’emblée caractérisé comme « homme d’un haut mérite et
auteur de plusieurs ouvrages, écrits en latin et en français et
fort estimés ». On insiste ensuite sur ses œuvres charitables,
et tout spécialement auprès des pauvres, de la campagne
comme de la ville, sans oublier de faire référence à la « piété »
et la « vertu consommée » qui avaient marqué sa vie. Suit
une mention, qu’il faudra corriger plus tard : le roi lui aurait
demandé de devenir son premier médecin. Le second article
a été inséré dans la « Bibliographie du Loiret », de 1854,
ouvrage resté inédit 7 , dans lequel on le présente comme
« médecin philanthropique ». Une bonne partie de ses biens
était allée au soulagement des indigents. Certains passages
répètent la notice de 1846 : « piété », par exemple, ou « vertu
consommée »; mais on insiste sur un fait qu’il faudra étudier :
le succès que connut son livre sur la médecine populaire – ce
qui indigna certains de ses confrères, « qui lui reprochèrent
de multiplier les empiriques ». Six de ses ouvrages qui
furent publiés sont mentionnés. On juge même nécessaire de
rappeler que, dans les trois générations qui l’ont suivi, ses
descendants Pierre I, Pierre II et Pierre III 8 ont eu des postes
importants dans la région, le deuxième, par exemple, ayant
été maire de la ville de 1729 à 1733.
On peut donc constater qu’au milieu du xix e siècle le
souvenir de ce médecin, et même de sa famille, ne s’était pas
oblitéré. La diversité de sa carrière impressionnait encore :
dévouement intense auprès de toutes les classes sociales,
mais avec un intérêt particulier pour les classes inférieures;
publications multiples.
Il ne s’agissait pas, dans les exemples que nous avons
cités, de biographies d’une certaine envergure : très peu
de détails précis sont donnés, et il y a quelques lacunes
importantes, comme, par exemple, la collaboration à
l’Académie des sciences 9 . Il n’en reste pas moins qu’on
peut déjà déceler qu’il s’agit, dans son cas, d’une carrière
tout à fait intéressante et susceptible d’apporter à l’histoire
de la pratique médicale des éléments appréciables. Mais
il y a plus encore : l’étude de l’évolution personnelle de
Paul Dubé et de celle de sa famille peut enrichir notre
connaissance de l’histoire sociale de cette époque, d’autant
plus que la progression dont nous parlerons s’est réalisée en
province, qu’il n’y a pas eu d’anoblissement, par exemple, et
que quelques statuts professionnels sont ici représentés : la
magistrature, la médecine, l’administration; il y a aussi des
vocations cléricales et religieuses.
On ne peut par ailleurs passer sous silence l’importance
que le phénomène religieux a eue dans la vie de ce médecin;
Paul Dubé est même, croyons-nous, très représentatif du
catholicisme fervent et exigeant qui a laissé de nombreuses
marques dans la France du xvii e siècle; on doit également se
poser des questions sur ses relations avec le jansénisme 10 ,
parce qu’il fut en étroit rapport avec l’un ou l’autre des
adeptes de cette tendance.

4 Le père des pauvres Introduction 5
La vie de Paul Dubé offre donc, à mes yeux, un double
intérêt : premièrement parce qu’on y voit se dérouler une
carrière hors du commun par sa longueur, son activisme,
sa variété – pratique médicale diversifiée, écriture, elle
aussi diversifiée, fondation et direction d’une institution
« hospitalière », volonté de rester au service de la population
de sa région, dévouement pour les pauvres; deuxièmement,
parce que cela donnera une idée tout à fait intéressante de la
vie d’un médecin de province du xvii e siècle, et d’autant plus
qu’on a pu en reconstituer l’essentiel, de son adolescence à
son décès.
Voici comment se présente l’étude que nous avons
réalisée. Il fallait d’abord situer socialement notre personnage.
Il a été possible de reconstituer l’évolution de sa famille
depuis la fin du xvi e siècle jusqu’à la fin du xviii e siècle et
de montrer la contribution qu’il a lui-même apportée à sa
transformation. On a même pu retrouver de nombreuses
données sur les relations que ce lignage a eues avec d’autres
familles de la région où il vécut, essentiellement le Gâtinais.
Il s’agit là du premier chapitre.
La partie la plus importante du volume est, bien sûr,
consacrée à la carrière de Paul Dubé. Il a été possible de
suivre le déroulement de celle-ci de 1621, date probable
de son entrée au collège, jusqu’à sa mort en 1698. Dans le
chapitre 2, nous examinons ses années de formation, qui se
sont déroulées à Paris et à Montpellier, et nous tenterons de
décrire, autant que les sources nous le permettent, la pratique
de son « art », comme on disait à l’époque : à Bléneau d’abord,
le lieu où il était né – mais ici les renseignements sont très
déficitaires –, puis à Montargis et la région environnante, où
il acquit la célébrité.
Nous passerons ensuite à l’analyse en détail de son œuvre
écrite. Il y a d’abord les deux premiers livres qu’il publia :
celui de 1649 portait sur les eaux minérales des Escharlis, lieu
situé non loin de Montargis; l’autre, paru en 1650, analysait
un phénomène qu’il avait dû prendre en charge : deux sœurs
siamoises (des « monstres » dans le vocabulaire de l’époque),
nées dans la paroisse de Septfonds, près de Saint-Fargeau, et
mortes à Paris. C’est le chapitre 3.
Il voulut, une vingtaine d’années plus tard, en 1671,
présenter sa conception de la science médicale. Il publia,
à Paris, chez Edme Couterot, Medicinae Theoreticae Medulla
seu Medicina Animi et Corporis, qu’on peut ainsi traduire :
« L’essence de la médecine théorique ou la médecine de l’âme
et du corps ». Son but n’était pas seulement de faire connaître
sa conception de l’art médical, issue de l’enseignement
reçu à Montpellier, mais également de répondre aux
critiques qui lui avaient été exprimées par ses confrères
de Paris au sujet du livre écrit en français qu’il avait fait
paraître en 1669 et qui était consacré à la médecine dite,
aujourd’hui, populaire. Cette étude du Medulla fait l’objet du
quatrième chapitre.
Les trois livres étudiés aux chapitres 3 et 4 relèvent
plutôt de la science médicale; ils s’adressent avant tout
aux confrères du docteur Dubé. Le livre qui est analysé
au chapitre 5 fait partie d’un genre littéraire rattaché,
bien sûr à la médecine, mais conçu spécialement pour les
personnes qui, à cause de leur statut social, ne peuvent
facilement avoir recours aux médecins, ou aux personnes
qui, désirant pratiquer la charité, veulent aider les pauvres
à guérir leurs maladies ou à adopter des habitudes
hygiéniques. Il a pour titre Le médecin des pauvres (suivi d’un
long appendice : « Le chirurgien des pauvres »). Ce volume
connut beaucoup de succès : rééditions et réimpressions,
traduction en langues étrangères. Il en publia même en
1692 (il avait alors quatre-vingts ans) une version réduite :
La médecine abrégée en faveur des pauvres. Or, comme on
l’expliquera, Paul Dubé entrait par là dans un courant
qui commençait à être en vogue : la vulgarisation de la
médecine savante.
Comme l’avaient signalé les témoignages des xvii e et
xix e siècles, une des grandes œuvres de sa vie fut la fondation,

6 Le père des pauvres Introduction 7
en 1680, de l’hôpital général de Montargis. Une part
importante de ses dernières années y fut consacrée. C’est le
chapitre 6. Notre médecin se crut même obligé, pour s’assurer
que ses concitoyens y participeraient plus activement, d’écrire
un livre (publié en 1687) qu’il intitula : L’établissement du
bureau des pauvres et de l’hôpital général. Il y aura lieu de
montrer comment la mise sur pied de cette institution
s’inscrivait dans un mouvement général dans la France du
xvii e siècle, et auquel on a donné le nom d’« enfermement
des pauvres ».
Il nous restera – c’est le sujet du septième et dernier
chapitre – à tenter de donner un aperçu, aussi précis que
possible, de sa conception de la vie chrétienne; celle-ci est
fortement marquée par le christocentrisme et la charité. Il
faut déjà signaler que le Medulla et Le médecin des pauvres
sont remplis de considérations d’ordre spirituel; mais, plus
intéressant encore à signaler – et chose relativement rare
de la part d’un laïc – Paul Dubé a composé deux ouvrages
portant uniquement sur la spiritualité : le premier,
en 1657, qu’il présenta sous un autre nom, celui de son
ami, l’abbé Boussard, qui fut quelques années aumônier
des ursulines de Montargis; il avait pour titre : Maximes
et affections chrétiennes très utiles à tous [les] chrétiens qui
veulent vivre saintement; le deuxième, Abrégé des règles de
la vie chrétienne, qui porte la date de 1688, fut relié avec
celui de 1687, qui traitait du « bureau des pauvres » et de
l’« Hôpital général » de Montargis. À partir des éléments qui
ressortent de cette étude, il nous sera possible de définir son
rattachement aux mouvements de spiritualité qui ont marqué
son époque.
j
Déjà ces quelques éléments qui présentent en bref le sujet de
notre livre nous font voir qu’il s’agit d’un personnage qui a
connu une vie active et bien remplie.
Toutes les classes sociales faisaient partie de sa clientèle :
les artisans, les bourgeois, les nobles, les membres du clergé,
son évêque même recoururent à sa compétence médicale.
Il sut quand même réserver une bonne part, sinon la plus
importante, de son travail aux pauvres, de la campagne
comme de la ville; il s’intéressa beaucoup aux institutions
charitables, l’hôtel-Dieu, par exemple, le bureau des pauvres,
l’hôpital général.
Peut-on émettre l’hypothèse que ce travail, lié à une vie à
la fois austère et débordante, lui assura santé et longévité?
Ajoutons qu’une pratique médicale, qu’on doit qualifier
de foisonnante, ne l’empêcha pas d’écrire; mais cet angle
de sa carrière ne prit forme qu’à partir de 1649. Or, là aussi,
le succès fut remarquable. Et ce qu’il y a ici de peu banal,
c’est que, à partir du livre de 1657, on doit constater que la
dimension spirituelle l’imprègne autant que la matérielle;
selon lui, la « médecine de l’âme » ne peut être négligée par
un médecin sérieux – c’est un aspect que celui-ci ne doit
pas écarter, et qui devrait marquer sa pratique médicale,
c’est-à-dire qu’il faut présenter aux patients une explication
chrétienne de la santé et de la maladie, de la souffrance et
de la mort. Les deux qualités centrales du christianisme
doivent imprégner sa vie : l’amour de Dieu et la charité;
et, dans la même veine, la conception qu’il faut avoir de la
richesse et de la pauvreté; or, il faut bien le remarquer, ces
idées ne s’appliquent pas seulement aux pauvres, mais aussi
à ceux qui ont à charge de les soigner, et à tous les chrétiens
en général.
On voit tout de suite que cette biographie nous fera
connaître une personnalité assez exceptionnelle, dont
quelques aspects sont originaux, mais qui n’est pas en
contradiction avec les valeurs et certains modes de vie de son
époque. Il y a d’abord le mouvement de la Contre-Réforme,

8 Le père des pauvres Introduction 9
dans lequel Paul Dubé se situe clairement. Son livre sur
la médecine accessible aux pauvres s’insère dans un
mouvement qui connut alors une importante diffusion. Sa
carrière ressemble à celles qu’ont connues certains de ses
confrères; il faudra en donner des exemples. Impossible de
comprendre une vie comme la sienne, sans recourir à des
comparaisons éclairantes.
j
Remerciements
Je dois reconnaître que pour réaliser cette étude, j’ai pu
compter sur la science et l’expertise de plusieurs personnes.
Je veux retenir ici les noms de celles dont l’appui m’a été le
plus utile.
Il y a tout d’abord M me Elisabeth Rapley, de l’Université
d’Ottawa, à qui je dois l’idée d’avoir réalisé cette biographie.
J’ai pu compter aussi sur la compétence de quelques
spécialistes de l’histoire de la médecine et des hôpitaux,
parmi lesquels je retiens : Jean-Pierre Gutton, Jacques Gélis,
Toby Gelfand. Quant à l’histoire du Gâtinais, c’est à la
compétence de M. Gaston Leloup, de Montargis, que je
dois le plus. Les rencontres que j’ai pu avoir avec lui m’ont
beaucoup apporté pour la préparation de mon livre. Parmi les
spécialistes de la France d’Ancien Régime, je dois remercier
le père Pierre Hurtubise et M. Pierre Aquilon, qui m’ont
fait de bonnes suggestions. Pour des renseignements plus
spécifiques j’ai pu recourir à d’autres personnes, parmi
lesquelles je rappelerai les noms suivants : M me Rose-Anne
Aussedat, de Frontenay, dans le Jura, M. Jacques Gossez,
de Havré (en Belgique), M me Annick Notter, d’Orléans. Je
remercie également M me Francine Laramée, du département
d’histoire de l’Université d’Ottawa, pour son assistance dans
la révision du texte.
1. Archives Municipales de Montargis (dorénavant A.M.M.),
GG 66. Montargis le Franc est le nom qu’on donnait à la ville
au xvii e siècle.
2. En voici un exemple, Ibid., GG 65 : le 17 janvier 1698, « a été
inhumé dans cette Eglise Timothée Dubin, Antien president au
presidial de Montargis, agé d’environ soixante-dix ans. Chastel,
vicaire ».
3. Voir e.a. B. Garnot, La population française aux XVI e , XVII e ,
XVIII e siècle. Paris, Orphrys, 1995, p. 57.
4. Voir infra, dans notre conclusion p. 310, mention de M gr de Laval,
évêque de Québec, qui fut qualifié par une religieuse de « père
des pauvres ». Voir aussi Dictionnaire de l’Académie Française
1765 au mot « père » : « on appelle aussi Père des pauvres, Celui
qui fait ordinairement de grandes charités aux pauvres. »
5. Ce document a été publié par G. Leloup dans le Bulletin de la
société d’Emulation de l’arrondissement de Montargis (dorénavant
B.S.E.A.M.), n o 70, mars 1988, p. 31s.
6. Il s’agit d’un petit format, in-16.
7. Archives départementales (dorénavant A.D.) du Loiret.
8. Voir Annexe I : Généalogie abrégée de la famille Dubé.
9. Voir infra, chapitre II.
10. Voir chapitre VII, p. 294 et suivantes, où il est fait allusion à
cette hypothèse.

CHAPITRE I
L’ASCENSION D’UNE FAMILLE DU GÂTINAIS
SOUS L’ANCIEN RÉGIME
Au début de l’année 1771 1 s’éteignait, à Montargis, à l’âge
de cinquante-sept ans, Messire Pierre Dubé de La Borde. Les
titres qu’on lui reconnaît dans le registre paroissial sont les
suivants : conseiller honoraire au bailliage et siège présidial
de Montargis, lieutenant conservateur de la justice des
canaux d’Orléans et du Loing 2 . Dans une notice nécrologique
rédigée peu après son décès 3 , on lui consacre plusieurs lignes
d’éloges, qui peuvent se résumer en ces quelques mots : ce
magistrat « s’était concilié la confiance universelle » de ses
concitoyens.
Le plus ancien document retrouvé 4 dans lequel est
mentionné Paul Dubé, l’arrière-arrière-grand-père de Pierre,
est le registre paroissial de Bléneau : à la date du 6 septembre
1600 était baptisée sa fille, Etiennette. Aucun titre ne suit
son nom; l’on sait, par des mentions postérieures 5 , qu’il fut
toute sa vie marchand tanneur. L’on mesure toute la distance
qui sépare les deux personnages; nous nous référons ici au
phénomène social, parce que géographiquement les deux
villes, Bléneau et Montargis, ne sont distantes que d’une
quarantaine de kilomètres.
Nous voudrions examiner, dans les pages qui suivent,
le détail de cette évolution qui se situe tout entière dans
les limites du Gâtinais, alors que très souvent sous l’Ancien
Régime la tendance est, pour les gens qui veulent avancer, de
11

12 Le père des pauvres L’ascension d’une famille du Gâtinais sous l’Ancien Régime 13
chercher à monter vers Paris, où, avec la centralisation qui
se poursuit du xvi e au xviii e siècle, se concentrent les postes
importants. Cette dimension provinciale explique, jusqu’à un
certain point, le nombre limité de professions qu’on retrouve
dans le cas des Dubé; on remarquera quand même une certaine
diversité, et bien typique du milieu qu’on va étudier.
Cette diversité est déjà présente au début du xvii e siècle;
la figure dominante à cette époque semble bien le marchand
tanneur; mais, dans son entourage, sans qu’on puisse établir
le lien exact (frères, oncles, cousins?) on retrouve un prêtre et
un avocat 6 . Le père de Paul Dubé était-il artisan ou paysan?
Artisan probablement; on ne peut savoir exactement 7 .
L’entreprise du tanneur était quand même d’une certaine
dimension; il entretenait des relations avec la capitale. Un
document de 1629 8 nous le présente comme « logé à Paris,
rue Bordelle, près du collège de Boncourt »; or le collège
ici mentionné est celui où Paul II, son fils, étudia et fit sa
maîtrise ès arts; ce qui le prépara à entrer à la faculté de
médecine de Montpellier. Ce qu’il importe de noter, c’est
qu’avec cette nouvelle profession la famille pénétrait dans
une autre sphère d’activité, ce qui allait la faire progresser
dans l’échelle sociale.
Or cette progression est d’autant plus visible que, après
le médecin, l’artisanat et la marchandise disparaissent. Ce
qui les remplace, c’est la magistrature, donc le droit, et
l’administration locale et provinciale. On n’y rencontre pas
de carrière militaire, ni d’accès à la noblesse, même si la
particule est utilisée; un des fils du médecin, François, ajoute
à son nom, à partir de 1689 9 , celui de la terre de La Comté, et
un de ses petits-fils signe : « Pierre Dubé de La Borde », mais
on ne rencontre jamais le titre d’écuyer, sauf dans le cas de
son gendre, le sieur Lhermitte.
Quelques éléments tirés de la brève étude que nous
ferons des alliances de la famille pendant la période ici
envisagée nous permettront de mieux comprendre sa
propre évolution.
Pour développer notre sujet, le plan chronologique
s’impose. Il y aura d’abord quelques indications, forcément
restreintes, vu la pauvreté des sources 10 , sur la première
période, celle du marchand tanneur, durant laquelle semblent
prédominer l’artisanat et le commerce.
Suivra un exposé un peu mieux documenté sur
la génération du médecin; de celui-ci nous connaissons
les titres, et sur le statut social de ses deux épouses nous
avons quelques détails. Ses deux sœurs épousèrent, l’une
un marchand tanneur, l’autre, un procureur fiscal de la
seigneurie de Bléneau.
Nous consacrerons aussi quelques pages à la descendance
du médecin; le clergé y a une certaine importance; c’est
la magistrature et l’administration locale et régionale qui
prédominent. La participation aux œuvres de charité qu’il
avait inaugurée se continue.
1. LA GÉNÉRATION DU TANNEUR PAUL DUBÉ
Deux actes du tout début du xvii e siècle, tirés des registres
paroissiaux de Bléneau 11 , nous ont permis de connaître,
jusqu’à un certain point, la génération de Paul I Dubé. Il s’agit
d’abord du baptême, le 6 septembre 1600, d’Etiennette, la fille
de « Paul Dubé le jeune et de Perrette Silvestre ». Le parrain
est « Edme Rigollet, fils de Verain Rigollet »; la marraine,
Anne Dubé, qui a accepté de l’être « du consentement du dit
Paul Dubé ». La dame Silvestre est la première épouse du
marchand tanneur; de lui-même il faut retenir la mention
« Paul le jeune » – il est possible que Paul l’aîné 12 ait été
un personnage que l’on voit une fois ou l’autre dans les
documents de l’époque 13 : « Paul Dubé, prieur de Blancafort ».
Edme Rigollet est sans doute celui qui deviendra « marchand
barbier chirurgien » et épousera Jacqueline Dubé, dont le
lien avec Paul I n’a pu être établi sûrement. Anne Dubé est
sans doute la sœur de Paul I; elle épousera un marchand,
Benoist Charreton.

14 Le père des pauvres L’ascension d’une famille du Gâtinais sous l’Ancien Régime 15
Deux ans et quelques mois plus tard, naissait un autre
Paul Dubé (acte du 18 décembre 1602) 14 , fils des mêmes
parents qu’Estiennette; le parrain est « Jehan Dubé, avocat au
Parlement à Paris »; la marraine, Jacqueline Dubé. Ce Jehan
Dubé est probablement le frère 15 du père. Quant à Jacqueline,
c’est peut-être celle qui est née en 1588 16 , mais qui était la
fille ou la sœur de Paul I. – On ne peut savoir. Celui qui reçut
le baptême n’est pas notre médecin 17 , parce que de celui-ci
toutes les mentions que nous avons rencontrées affirment
qu’il avait quatre-vingt-six ans au moment de sa mort,
laquelle eut lieu en juillet 1698; il serait donc né en 1612 18 .
Le prieur de Blancafort, mentionné plus haut, avait
été parrain à Bléneau en 1587 19 . Blancafort est une petite
agglomération située non loin de Gien (à l’ouest de Bléneau),
de l’autre côté de la Loire.
Il y a donc lieu de supposer (ce n’est pas une certitude
absolue) que les cinq personnes ici mentionnées sont frères et
sœurs, parce que les liens entre eux semblent étroits. Dans le
tableau généalogique (Annexe I) nous avons indiqué : « lien
probable » entre eux.
Il nous faut faire maintenant une brève étude du statut
social de la génération qui a précédé celle du docteur Paul
Dubé 20 .
Paul I Dubé était marchand tanneur. Suivant le
Dictionnaire de Pierre Richelet 21 , un tanneur, c’est
celui qui ayant pris une peau du boucher, la met boire
un certain temps a la riviere, la rabat ou la jette dans les
pleins [« Plein » : « espece de cuve pour mettre les cuirs »],
en ote le poil, l’écharne, la quasse. C’est-à-dire la netteïe,
lui donne le tan, la met à l’essui et la met en état de passer
entre les mains du corroieur.
Ce métier se pratiquait, à l’époque, là où il y avait des cours
d’eau. C’était le cas à Bléneau où passait le Loing. Comme
notre personnage porte en plus le titre de marchand, c’est
qu’il dirige une entreprise qui lui permet de faire travailler
des artisans et d’assurer la vente de ses produits. Nous
n’avons aucune précision sur l’ampleur de cet établissement,
mais il semble bien avoir une certaine envergure : on voit
son propriétaire, par exemple, réaliser quelques contrats,
en accord avec son gendre, Pierre Collesson 22 , qui a les
mêmes titres que lui. Quant à son niveau de fortune, on
doit le supposer un peu au-dessus de la moyenne. Pour
les années 1638 à 1641 23 – rien n’est disponible avant ces
dates –, il participe à quelques transactions, achats de terres
ou d’immeubles. Le 15 novembre 1639, il loue, avec son
gendre, d’un Parisien l’office de visiteur et marqueur de croix
en la ville et les faubourgs de Bléneau.
Ces années pour lesquelles nous avons eu des documents
sont sans doute représentatives du reste de sa vie; rappelons
encore une transaction qu’il fit avec la veuve d’un bourgeois
de Paris le 3 juillet 1629 24 , concernant un arpent de vigne situé
dans la paroisse de Bléneau 25 .
Paul Dubé avait donc un certain dynamisme et entretenait
des relations avec Paris; il eut assez de moyens pour faire
étudier son fils à Paris, puis à Montpellier.
Sur les familles de ses deux épouses, nous n’avons
malheureusement retrouvé aucun renseignement. La première
s’appelait Perrette Silvestre; la deuxième, Edmée Girard.
Une seule chose à noter – mais elle apporte peu à notre
propos –, les familles Silvestre et Girard étaient alliées, un
acte du 8 avril 1639 26 nous apprend que Paul Dubé est le
tuteur de Perrette Silvestre, qui est la fille d’Edmée Girard, à
présent sa femme, laquelle avait épousé auparavant Quentin
Silvestre, dont était née cette deuxième Perrette Silvestre.
Mais revenons aux Dubé. Paul avait deux frères, à ce
qu’il semble : Jehan, on l’a vu, était avocat; l’autre Paul,
membre du clergé. Sur ces deux personnes bien peu nous
est parvenu. Il y a lieu toutefois de se demander si ce sont
eux ou leurs frères ou leurs cousins, qu’on retrouve dans la
liste récemment publiée des possesseurs d’incunables dans

16 Le père des pauvres L’ascension d’une famille du Gâtinais sous l’Ancien Régime 17
la région 27 . Sur un livre de Boethius 28 , intitulé De Consolatione
philosophiae (Genève, ca1480), figure la mention suivante :
« Ex-lib. Pauli Dubaei [Dubé] Blenellensis [de Bléneau],
advocati ». Concernant le Moralia, sive expositio in Job, du
pape Grégoire I er , on déclare qu’il appartient à présent à
M e Paul Dubé, advocat à Bléneau, « qui a achepté ce livre
de M e Guillaume Ramier, prestre demeurant à Bleneau, en
1593 ». Le même possédait aussi le Compendium Eloquentiae
de 1481, attribué à Guillaume Tardif 29 . Sur les « Opera »
de Publius Vergilius Maro 30 de 1499, se trouve l’« Ex-libr.
Jonnis [probablement Joannis] Dubaei ». Même si nous
ne pouvons déterminer avec précision les liens de ces
personnes avec le tanneur Paul Dubé, il est possible qu’ils
aient appartenu au même lignage. On doit donc parler d’un
certain niveau de culture pour les Dubé de Bléneau à la fin du
xvi e siècle.
Sur les deux sœurs de Paul Dubé, nous sommes un
peu mieux renseignés. Anne épousa un marchand, Benoist
Charreton, qui travailla de concert avec son beau-frère.
Jacqueline se maria, elle, à Edme Rigollet, qui est qualifié de
« marchand barbier chirurgien à Bléneau »; ceux-ci eurent
quatre enfants 31 , dont deux fils; l’un, Daniel, fut marchand
drapier, l’autre, Verain, apothicaire. À remarquer, donc, si l’on
peut ainsi parler, qu’avec la chirurgie et la pharmacie on se
rapprochait, dans la famille, de la profession médicale.
Sur les ascendants du tanneur Paul Dubé, aucune
indication; mais, s’il y a, à sa génération, la diversité qu’on
vient de reconnaître – prêtrise, droit, artisanat et commerce –,
il faut bien supposer un certain statut social, et un minimum
d’aisance; le père de Paul I devait plutôt être artisan ou
marchand que paysan.
Génération charnière entre le xvi e et le xvii e siècle,
devons-nous dire. En fait la diversité des professions
(revoyons dans le tableau généalogique les cinq personnages
qui y figurent : barbier chirurgien, avocat, prieur, marchand
tanneur, marchand) est fort intéressante et bien typique d’une
famille provinciale de cette époque en train de se hisser à
un niveau plus élevé. Il faut noter que le contact avec Paris
n’amena pas la famille à quitter le Gâtinais, auquel elle resta
fidèle jusqu’à la fin du xviii e siècle.
La carrière de Paul II, qui va se distinguer de celles qu’on
vient de signaler – travail intellectuel très développé, action
charitable de grande ampleur, service médical étendu à toute
la région –, devait sans doute beaucoup au dynamisme que
nous n’avons pu décrire, mais que nous pouvons deviner, de
la génération qui l’avait précédé.
2. LA GÉNÉRATION DU MÉDECIN PAUL DUBÉ
Celui qui domine cette deuxième génération que nous
allons étudier ici est certes Paul II, et par sa longévité et
par le retentissement de certaines de ses activités. Nous
ne tracerons ici qu’une très brève esquisse de sa carrière,
c’est-à-dire les lieux qui ont eu quelque importance dans
sa vie, et nous essaierons de donner quelques détails sur
sa fortune.
Il y aura lieu ensuite d’apporter certaines précisions
sur les deux familles avec lesquelles il s’alliera, les Billault
et les Déry. Parallèlement, nous étudierons brièvement
celles dans lesquelles ses deux sœurs, Estiennette et Jeanne,
trouveront leurs maris; elles ressemblent davantage à celles
de la génération précédente par les fonctions exercées par
leurs membres et par le lieu de résidence choisi, Bléneau.
Un mot d’abord sur les lieux où Paul Dubé séjourna. Il
naquit à Bléneau en 1612 32 , et y vécut vraisemblablement
jusqu’en 1621 ou 1622; à ce moment-là, il se dirigea vers
Paris où il vécut neuf ou dix ans, le temps de faire ses études
au collège de Boncourt, où il obtint vers 1631 le titre de
« maistre es arts ». Il partit ensuite pour Montpellier, où en
1633, il devint docteur en médecine 33 . Il est possible qu’il ait
pratiqué son « art » (mot qu’il préfère à « profession » 34 ) à
Bléneau de 1634 à 1637 35 ; à la fin de 1638, il loue une maison

18 Le père des pauvres L’ascension d’une famille du Gâtinais sous l’Ancien Régime 19
à Montargis 36 . Depuis quand était-il installé dans cette ville?
On ne sait exactement. Il y mourut en 1698.
Or, quand on dit Montargis, il faut inclure également
la région avoisinante, qui dépassait le Gâtinais 37 dont cette
agglomération se trouvait être la ville principale. Paul Dubé
était, paraît-il, demandé par toute la noblesse de la région.
Ce fut le cas, par exemple, des Courtenay, une importante
famille, dont nous reparlerons. Il avait même reçu de
M lle de Montpensier, dite la « Grande Mademoiselle », qui dut
se retirer quelque temps à Saint-Fargeau après la Fronde, la
demande de devenir son médecin attitré, ce qu’il refusa. Il eut
comme patient M gr de Pardailhan de Gondrin, l’archevêque
de Sens – Montargis faisait partie de ce diocèse.
Mais de toute façon, la majeure partie de son temps
semble bien avoir été consacrée aux pauvres, tant de sa ville
que des campagnes environnantes.
Ce travail de bénévolat, qui a très probablement duré
jusqu’à la fin de sa vie, puisqu’on le qualifie alors de « père
des pauvres », n’aurait pas été possible s’il n’avait joui
d’une certaine fortune. Nous ne retiendrons ici que quelques
éléments qui émergent de l’inventaire qui fut réalisé en
juin 1665 38 , après le décès de sa deuxième épouse, Jeanne
Déry. En immobilier, il n’était pas dépourvu : une maison
à Bléneau; deux à Montargis. Celle où il vivait est désignée
« L’hostel du Sieur Dubé » – il s’agit sans doute d’une
maison située au centre-ville et dont on vante le beau jardin
rempli « d’herbe et de légumes »; l’autre se trouvait près
de la « Porte aux Moines », et était évaluée à 9000 livres.
Il avait aussi acheté des terrains à l’intérieur et dans les
environs de Montargis et de Bléneau. Il jouissait également
de plusieurs rentes. Quand il est question des biens de la
communauté qu’il partageait avec Jeanne Déry, on fait état
d’une augmentation (pendant leur mariage) des immeubles,
de l’orde de 17 515 livres; pour les rentes, l’accroissement
est de l’ordre de 9120 livres. La maison où il réside alors est
assez bien meublée : le mobilier monte à 1600 livres et il a
2300 livres d’argent comptant. On a sans doute inclus dans
les « meubles » les instruments servant à la médecine et
sa bibliothèque.
Tout cela dénote déjà des moyens situés au-dessus de la
moyenne et que l’on pourrait sans doute estimer à 50 000 ou
60 000 livres 39 . Cela lui permettait de s’occuper de ses enfants
et de faire des dons, soit aux congrégations religieuses de la
région, soit aux organismes de charité de Montargis ou de
Bléneau 40 .
Reste à considérer brièvement ses deux alliances.
Quelques sondages dans les archives notariales conservées à
Orléans et à Auxerre ont apporté des éléments qui permettent
des comparaisons significatives.
Anne Billault, que Paul Dubé épousa vers 1635, est
la fille d’un marchand bourgeois de Bléneau, Daniel, qui
semble bien nanti puisqu’il possède une maison à Bléneau
et une autre à Montargis et qu’il dispose de nombreuses
rentes 41 . Il s’agit d’une famille qui est, elle aussi, en train
de connaître une ascension sociale. La sœur d’Anne, Marie
Billault, s’est mariée à Pierre Martin, un avocat qui a connu
une carrière intéressante : il a d’abord pratiqué le droit à
Montargis, puis il s’est installé à Bléneau comme bailly;
on le retrouve ensuite conseiller du roi, élu en l’élection
de Gien. L’élection est une circonscription financière
dont l’administration était confiée à des « élus » lesquels
devaient répartir les tailles et juger des affaires qui pouvaient
survenir concernant ces impôts. Au moins deux des fils de
Marie Billaut et de Pierre Martin firent aussi carrière dans
la magistrature.
D’autres Billault figurent dans les registres paroissiaux,
mais les liens avec ceux qui précèdent ne sont pas évidents.
Retenons tout de même François, qui fut chirurgien à Bléneau,
et Esme, maître couvreur à Montargis.
On peut donc noter, entre les lignages Billault et Dubé, un
même type d’ascension sociale qui passe par la magistrature
et l’administration provinciale.

20 Le père des pauvres L’ascension d’une famille du Gâtinais sous l’Ancien Régime 21
Le premier mariage de Paul Dubé ne dura pas très
longtemps; peu après la naissance de sa fille Anne, qui
fut baptisée le 27 janvier 1639 42 , Anne Billault mourut, on
ne sait dans quelles circonstances. Le second mariage eut
lieu quelques mois plus tard, en 1640 vraisemblablement,
avec Jeanne Déry, laquelle accoucha d’une fille, qu’ils firent
baptiser le 29 septembre 1641 43 sous le nom de Jeanne.
Nous avons pu trouver quelques renseignements sur le
statut social de sa deuxième épouse.
Son père, Pierre Déry, était marchand bourgeois de
Montargis et il fit partie du conseil municipal en tant
qu’échevin 44 ; on retrouve semblable carrière chez le frère de
celui-ci, Jean Déry; à noter qu’une des filles de ce dernier,
Marie-Madeleine, épousa Edme Corrillon 45 , docteur en
médecine, qui s’entendit très bien avec son allié Paul Dubé.
Quant aux frères et sœurs de Jeanne, il n’est pas absolument
sûr que ce soient ceux qui figurent dans notre tableau
généologique (voir Annexe I). On y retrouve quatre mâles,
dont trois sont marchands bourgeois, et un est détenteur
d’une petite charge en l’élection de Montargis 46 . Sa sœur
Françoise épousa un magistrat 47 . Les deux filles ont donc
réussi à faire avancer la famille par la médecine et la
magistrature. La génération suivante est aussi variée, mais
on y retrouve un marchant, un marchad taneur, un curé, et un
praticien – or on ne peut savoir si cette dernière qualification
relève du droit ou de la médecine ; ce mot pouvait s’appliquer
a l’une ou l’autre profession. (Voir dans le Dictionnaire de
l’Académie française, 1765). Mais nous n’avons pu découvrir
ce qu’étaient devenus les deux étudiants qui figurent dans
le tableau généalogique : Barthélemy qui se trouve en 1667
au collège de Montargis, et Pierre, qui étudie la philosophie
à Paris, en 1677.
Le scénario des alliances, si l’on peut dire, est le même
que celui des familles dans lesquelles entrèrent les sœurs
du médecin; Etiennette, qui épousa Pierre Collesson,
marchand tanneur à Bléneau, et Jeanne, qui se marie
à René Bossu, procureur fiscal de la terre et seigneurie
de Bléneau.
Pierre Collesson travailla beaucoup de concert avec son
beau-père; leurs noms figurent côte à côte dans plusieurs
contrats notariés 48 . Etienne Collesson, le frère de Pierre, est,
lui aussi, tanneur; son fils, Esme, acquit une propriété et
devint sieur de Beaurain; il fut reçu avocat et se fit concéder
une charge d’une certaine envergure 49 , celle de « chef des
fourrières de Son Altesse Royalle Madame »; or la fille
d’Esme, Anne, épousera en 1684 50 François Dubé, avocat
lui aussi, qui ajouta à son nom celui de La Comté, à cause
d’une propriété que lui avait donnée son père, nul autre que
Paul II.
M e René Bossu, le mari de Jeanne Dubé, était propriétaire
d’une petite charge d’administration locale. Retenons
simplement ici que deux de ses fils entrèrent dans le clergé
et acquirent un doctorat, l’un, en droit canonique, l’autre,
en théologie 51 . Leurs deux filles réalisèrent des alliances
intéressantes : Esmée Bossu épouse noble homme Philemon
Pain, gendarme de la Reine, et Renée, noble homme Etienne
Guillot, receveur à Dammarie-sur-Loing 52 .
Ces quelques considérations concernant la génération de
notre médecin nous font percevoir qu’il y aurait beaucoup
à tirer d’une étude plus détaillée et approfondie du tissu
social que forment ces familles, qui sont des exemples
intéressants d’évolution sociale, où les liens de parenté
et les alliances ont sans doute eu une influence. Retenons
cependant quelques éléments : Bléneau et Montargis,
villes de province, restent les lieux de base de ces familles.
Le commerce est encore présent, mais son importance
s’amenuise au profit du droit et de la magistrature, comme
aussi de la médecine. On rencontre également des membres
du clergé.
Avec la descendance de Paul Dubé nous allons retrouver,
dans la deuxième moitié du xvii e siècle et au xviii e ,
une certaine continuité dans les tendances que nous

22 Le père des pauvres L’ascension d’une famille du Gâtinais sous l’Ancien Régime 23
avons signalées : le droit et la théologie, par exemple, et
l’administration; mais la médecine disparaît.
3. LA DESCENDANCE DU DOCTEUR
PAUL DUBÉ
La promotion sociale déjà amorcée dans la génération
de Paul I, amplifiée par celle de Paul II, devient, dans la
descendance de celui-ci, une réalité bien établie. Il n’y a
plus d’artisans, de marchands; on fait dans la magistrature
et l’administration; le clergé est présent : une religieuse
bénédictine; deux chanoines, Paul III et son neveu,
Jacques-Philippe; la particule commence à être utilisée; un
allié, le sieur Lhermitte, fait partie de la noblesse.
Il faut d’abord dire un mot sur les deux chanoines et sur
la religieuse; puis sur le sieur Lhermitte et sa famille; nous
aborderons ensuite François Dubé de La Comté et nous
arrêterons plus longuement sur la carrière intéressante de
Pierre I ; nous terminerons en présentant brièvement ceux
qui suivirent, Pierre II et Pierre III.
Concernant les membres du clergé, les documents
n’abondent pas. Geneviève Dubé fut quelques fois marraine
à Montargis, entre 1659 et 1665 53 ; dans un acte de 1665 54 ,
elle est ainsi désignée : « Lhoneste personne Demoiselle
Genevieve Dubé ». Elle entre ensuite dans une congrégation
religieuse; dans son testament 55 , Paul Dubé parle de « la
donation [de 300 livres] que Seur Genevieve Dubé, dite de
St Benoist, ma fille religieuse benedictine à Sens, a fait avant
sa profession », en faveur des pauvres de Montargis 56 .
Sur le prêtre Paul III, nous avons un peu plus de
détails. Il est né en 1643 57 . En 1659 58 on le retrouve parrain à
Montargis. Le 10 juin 1665 59 , au moment de l’inventaire qu’il
fallut faire après la mort de Jeanne Déry, il est dit « escolier
etudiant en theollogie a Paris ». Quand on le retrouve en
1673 dans le registre paroissial, il est parrain sous le nom
de « Mons r Paul Dubé prestre » 60 . Or l’année suivante, le
18 septembre, il devient chanoine « par la nomination de
M r de Gondrin [l’archevêque de Sens], qui le nomma, la
veille de sa mort, à la considération de M r Dubé son père,
fameux medecin à Montargis et qui était auprès de lui » 61 .
Il se démit de cette fonction le 3 avril 1700 en faveur de son
neveu, Jacques-Philippe Dubé, fils de Pierre I. Rien ne nous
est parvenu sur le rôle que le chanoine Paul Dubé a pu jouer
dans le diocèse, si ce n’est ce témoignage qui n’a pas de
quoi nous surprendre : « Son caractère était d’une grande
simplicité et [il avait] une grande charité envers les pauvres. »
Il avait donc bien assimilé les leçons reçues de son père.
Leur sœur Anne, née en 1639 62 , était marraine, en 1658 63 ,
de la fille d’un serrurier, et, détail fort intéressant, elle est
dite prenant « la place de tres vertueuse religieuse madame
Elisabeth de Courtenay »; il s’agit peut-être de la fille du
seigneur de Bléneau, Gaspard de Courtenay. Elle épousa
« Noble homme Mille L’Hermitte, escuier, prévot de la
maréchaussée de Sens » 64 . Le prévôt des maréchaux était
un officier chargé de faire respecter l’ordre dans une région;
ces fonctionnaires avaient à leur disposition des archers et
pouvaient juger, sans appel, plusieurs délits. Une charge
donc relativement importante, et qui apportait sans doute à la
famille d’Anne Dubé un certain prestige, tout comme devait
le faire aussi le titre d’écuyer – s’il n’était pas, dans son cas,
une fausse prétention.
Passons maintenant aux deux fils de Paul Dubé, François
et Pierre I.
François, né en 1655 65 , étudie d’abord le droit; il vient
ensuite s’installer à Montargis, où, en 1680 66 , il est dit « avocat
en parlement et au bailliage et siège présidial de Montargis ».
Le 18 janvier 1684 67 il épouse Anne Collesson, d’une famille
déjà alliée aux Dubé, et dont le père, Edme Collesson, est à
cette date, « avocat en parlement, substitut du procureur du
roi à Montargis ». François Dubé aurait même été, quelques
mois tout au moins 68 « prévot des mareschaux de Sens »,
promotion due sans doute à l’influence de son beau-frère,

24 Le père des pauvres L’ascension d’une famille du Gâtinais sous l’Ancien Régime 25
Mille Lhermitte. Il n’aime probablement pas cette position,
qui devait l’obliger à séjourner en dehors de sa ville, si
bien que dès 1689 69 il est revenu à Montargis. Le dernier
poste qu’on lui connaît 70 est celui d’« esleu en l’eslection
de Montargis ». À la fin de sa vie, il est qualifié d’« avocat,
ancien élu à Montargis » 71 . Il meurt en 1733 72 , donc à un âge
assez avancé pour l’époque, soixante-dix-huit ans.
En l’année 1689, probablement 73 , lui fut concédé par
son père une terre dont il fit suivre son nom. Elle est ainsi
décrite dans le partage qui eut lieu le 22 janvier 1656 74 entre
les deux filles de Pierre Déry, Jeanne et Françoise : le « lieu et
mestairie de La Comté, scis en la paroisse de Villemandeur
[en banlieue de Montargis], consistant en terres labourables
et les bestiaux qui sont aud. lieu ». Il possédait aussi une
autre terre, du nom de Fresnoy, située, elle aussi, non loin
de Montargis 75 .
On ne peut se faire une idée précise de sa fortune. La
valeur des deux terres n’est pas connue. La maison où il
habitait dans la ville de Montargis lui appartenait sans
doute. Dans l’inventaire après décès de ses biens, en date
du 26 juin 1733 76 , on retrouve pour 1974 livres, 14 sols de
« meubles » – nous signalons ici qu’il y a de l’argenterie pour
375 livres et que, dans un cabinet, on a vu deux tablettes
« garnies de livres de droit, et medecine et autres », évalués à
75 livres. Il détient plusieurs rentes; mais ses dettes passives
montent à 2235 livres 77 .
Quant à sa famille propre, elle diffère un peu de celles
étudiées jusqu’ici. Dans le registre paroissial, on trouve,
entre 1684 et 1697, neuf naissances, mais, comme le
prénom de François est répété quatre fois, il semble qu’il
y ait eu surmortalité; et, en effet, en 1733, au moment de
sa mort, on ne trouve mention, dans l’inventaire, que de
trois survivants : Marie-Catherine, qui était entrée chez les
bénédictines de Sens (comme sa tante Geneviève Dubé);
Anne-Edmée, qui est dite « fille majeure » – en juin 1733, elle
avait quarante-huit ans, puisqu’elle était née en décembre
1684 78 ; le troisième, François, qui avait désigné en 1730
comme procureur son cousin Pierre II Dubé, est dit 79
« demeurant au Petit Gonave [sic] l’Isle de St-Dominique ».
Il y a, à soixante kilomètres de Port-au-Prince (aujourd’hui
capitale d’Haïti), une localité nommée « Petit Goave », qu’on
désigne comme étant un « marché au bord de la mer » 80 . Il
y demeura jusqu’à sa mort, survenue en 1756 81 . Voilà certes
quelque chose de tout à fait inédit pour la famille Dubé. Mais
nous ne savons rien sur les fonctions qu’il remplissait dans
cette colonie.
Somme toute, pour François Dubé, une vie bien remplie,
pour ce que nous en savons : pratique du droit, travail à la
maréchaussée de Sens, puis à l’élection de Montargis, et,
parmi ses enfants, une religieuse; tout cela correspondait bien
aux orientations récentes de sa famille; mais un fils parti pour
les Antilles, voilà une nouveauté, tout comme l’était l’usage
de la particule, qu’on va retrouver un peu plus tard, dans une
autre branche, celle qui nous reste à étudier.
Cette branche – celle de Pierre I Dubé et de ses
successeurs (Pierre II et Pierre III) – a apporté, elle aussi,
comme on va voir, des nouveautés qui ne sont pas sans
intérêt.
Pierre I (né en 1649) suivit d’abord les traces de son père;
il étudia à Montpellier; il y fut reçu docteur le 21 mars 1671 82 .
Il pratiqua à Montargis; la dernière mention de « Monsieur
Pierre Dubé, Docteur en médecine » dans les registres
paroissiaux est du 13 janvier 1676 83 . Quand on le retrouve
ensuite – c’est-à-dire le 11 février 1677 84 , il est dit « juge
magistrat au bailliage et siège présidial de Montargis ».
Cela signifie qu’il a laissé la médecine, a fait des études en
droit, est devenu avocat. Voilà quelque chose d’inédit dans
la famille, et, je crois, de relativement rare à l’époque : un
changement radical de carrière. Cependant une chose à
peu près semblable s’est produite, presque simultanément,
en Alsace 85 : un dénommé Jean Boecler, de Strasbourg,
étudia d’abord le droit à Leipzig, puis, en revenant à sa ville

26 Le père des pauvres L’ascension d’une famille du Gâtinais sous l’Ancien Régime 27
natale, il se lança dans la médecine et reçut son doctorat
en 1675.
Pierre I Dubé restera magistrat jusqu’à la fin de sa vie;
quand il est inhumé en 1722 86 , il est qualifié de « doyen des
conseillers au bailliage de Montargis ». Mais il aura fait
comme son père et aura ajouté des tâches de bienfaisance à
sa profession : le 6 avril 1687 87 , il fut élu directeur de l’hôpital
général de Montargis. Il s’occupa aussi de l’hôtel-Dieu :
dans un document du 29 décembre 1699 88 , il est qualifié de
« directeur et tresorier et receveur temporel de l’hôtel-Dieu
de Montargis ». Il fut aussi receveur de la fabrique de l’église
Sainte-Marie-Madeleine 89 . Intéressant de noter encore ceci :
en 1700 90 , Edmée Le Piat, son épouse, porte le titre suivant :
supérieure de la confrérie de la Charité des Pauvres.
Il n’a pas été possible de dresser une généalogie de
la famille d’Edmée Le Piat, mais quelques indications
permettent de conclure qu’il s’agissait d’une famille assez
semblable à celle de son mari. La marraine de leur fils Paul
(le 13 janvier 1676 91 ) est « Demoiselle Madeleine Balery,
femme de noble homme Pierre Le Piat, conseiller du roi et
son avocat au bailliage de Gien ». Une dame Marie Le Piat
entra chez les bénédictines de Montargis 92 .
Nous avons trop peu de détails sur la fortune de
Pierre I Dubé 93 pour tenter de la décrire, mais elle lui a
permis, en tout cas, de poursuivre sa carrière sans difficulté
et de mêler l’action charitable à l’activité professionnelle.
Les traditions familiales se continuent avec Pierre II
(1677-1740): la magistrature, le service de l’église paroissiale
et de l’hôpital général; mais voici quelque chose d’inédit :
l’accès à la mairie de la ville.
Le titre qu’on retrouve le plus souvent est celui-ci :
« conseiller du roi, prévôt et juge civil et criminel en la
prévôté royalle de Montargis le Franc »; il s’agit du tribunal
de première instance de la ville. À cela il ajoute en 1729 la
direction des affaires municipales; il fut en effet maire de
Montargis de 1729 à 1733 94 .
Or en 1733 95 il porte le titre de « subdélégué de
l’intendance d’Orléans »; le subdélégué est une personne
qui surveille, au nom de l’intendant, une partie du territoire
de la généralité et le renseigne sur ce qui se passe dans les
domaines qui sont sous sa juridiction.
Il participa quelque temps à l’administration de sa
paroisse, Sainte-Marie-Madeleine, et, en 1717, il fut nommé
« marguiller d’honneur ». La même année il devenait « officier
de l’hôpital général de Montargis 96 .
Il acheta une seigneurie, La Borde, dont il fit suivre son
nom; cette terre était située à Bonny-sur-Loire, près de Briare.
L’inventaire de ses biens, rédigé en 1740, n’a pu être retrouvé.
Sur sa fortune nous n’avons donc aucune donnée précise.
En 1709 97 , il avait épousé Madeleine Du Cloux, fille
de « noble homme Charles Du Cloux, sieur de Brierres [?],
ancien gendarme de la garde du roi et de D e Marie Alix ».
Seule chose à noter : parmi les oncles de la dame figurent
François Pertat, conseiller honoraire du bailliage et siège
présidial de Montargis; Louis Guillard, conseiller du roi,
lieutenant des prévôté et élection de Montargis, et François
Alix, prévôt en la prévôté royale de Montargis. Il y avait donc
entre les deux lignages des ressemblances.
Son fils Pierre III, qui était né en 1715, mourut en 1771 98 .
Voici ce qu’on peut lire dans le registre des inhumations :
« M re Paul Dubé de La Borde, conseiller honoraire au bailliage
et siege presidial de Montargis, lieutenant conservateur de
la justice des canaux d’Orléans et du Loing, 57 ans ». On
retrouve là les deux charges de magistrature qu’il occupa
durant sa vie, et dans lesquelles il sut acquérir, comme on le
verra bientôt, une solide réputation.
Retenons de son inventaire après décès 99 , quelques
détails intéressants. En « meubles et effets mobiliers, argent
et argenterie » : 19 832 livres, 12 sols, 6 derniers, ce qui est
déjà impressionnant. Il possède deux maisons à Montargis,
mais aussi quelques terres – et on retrouve là des noms
qui ont figuré, au xviii e siècle, à la suite du patronyme

28 Le père des pauvres L’ascension d’une famille du Gâtinais sous l’Ancien Régime 29
Dubé : La Borde, dont il a été question déjà; Fresnoy, située
à Mormant-sur-Venisson; La Brosse, près de Chevillon – les
deux dernières sont en banlieue de Montargis. Plusieurs
rentes sont aussi mentionnées dans le document.
On peut voir comment sa vie s’insère bien dans les
traditions familiales : Montargis et les environs, fidélité
donc au choix géographique; une fortune assez considérable;
des postes dans l’administration régionale. Il faut toutefois
signaler une chose qui diffère; s’il y a eu des garçons parmi
ses enfants, ils n’ont pas survécu; l’inventaire de ses biens fut
réalisé à la requête de sa veuve et de ses deux filles : Victoire
Dubé de La Borde, épouse de M r m e Estienne Aubépin,
conseiller du roi, son procureur au bailliage et siège présidial
de Montargis, et D lle Marie Dubé de La Borde, fille majeure.
Une étude plus poussée nous permettrait peut-être de savoir
si c’est la fin de la branche des Dubé inaugurée par le
marchand tanneur de Bléneau.
Mais il importe, croyons-nous, avant de conclure ce court
exposé, de citer ici la notice nécrologique qui fut consacrée
à Pierre III peu après son décès, et à laquelle nous faisions
allusion au début de ce chapitre 100 .
La perte de ce magistrat est un des plus malheureux
evenements que cette ville ait éprouvé cette année.
Generalement estimé Monsieur de La Borde s’était concilié
la confiance universelle, en remplissant les fonctions des
places dont il était pourvu avec toutes les qualités qui
rendent precieux à la patrie les travaux d’un citoyen
qui lui etoit dévoué sans reserve. Juge intègre, homme
public sans partialité, patriote sage, qui ne connut ni les
ecarts dangereux d’un zèle inconsidéré, ni les souplesses
coupables que la fausseté colore du beau nom de respect
humain. Tout à tous, tendre au sein de sa famille dont ses
vertus faisoient l’exemple et le bonheur; fidèle à ses amis.
Travaillant à l’avantage de ses concitoyens.
Il y a lieu de reproduire plus amblement le témoignage
que les ursulines avaient laissé à la mort du médecin
Paul Dubé en 1698 101 , et auquel nous faisions allusion
dans l’introduction de notre livre. On peut y déceler une
remarquable coïncidence entre deux destins bien différents
l’un de l’autre.
C’etoit un homme aussi parfait dans la spiritualité
qu’il étoit estimé sçavant dans l’art de son ministere, il
etoit consulté de toutes parts : attiré aux consultations
importantes; traitoit toute la Noblesse de la Province
dans leurs maladies. Mademoiselle de Montpensier eut
bien voulu l’avoir pour son médecin, mais il pria son
Altesse de trouver bon qu’il achevat sa vie comme il
l’avoit commencé, c’est a dire dans l’exercice d’une charité
continuelle. Il étoit le pere des pauvres. Il destinoit à ses
aumones, particulierement ses dernières années, ce qu’il
gagnoit dans son Ministere, et à l’erection d’un hopital
general dont il avoit procuré l’établissement en cette ville.
Il étoit honnête, obligeant, éloquent sur toutes sortes
de sujets.
On peut donc dire que la ville de Montargis et la
région environnante ont été marquées par la présence de
cette famille : du médecin qui y arrive vers 1637 et s’y fait
une solide réputation, au magistrat qui meurt, en 1771,
grandement apprécié de ses « concitoyens », sans oublier
Pierre I, qui, à la suite de son père, dirigea plusieurs années
l’hôpital général et Pierre II, qui fut maire de la ville et
subdélégué de l’intendant d’Orléans.
j

30 Le père des pauvres L’ascension d’une famille du Gâtinais sous l’Ancien Régime 31
Cette famille, qu’on a pu suivre sur près de deux siècles,
présente donc un cas très intéressant d’évolution sociale sous
l’Ancien Régime. N’en retenons ici que quelques éléments
révélateurs.
Le passage de l’artisanat à des professions libérales,
comme la médecine, le droit, mais aussi à des tâches
administratives, au niveau local ou régional; sans oublier la
participation à l’Église. Tout cela impliquant des alliances,
qu’on a signalées; il a alors été possible de découvrir tout
un réseau, dont il eût été fort opportun de pousser l’étude,
parce qu’il aurait mis en valeur des convergences et des
influences dont on soupçonne déjà l’importance. Il faut
également mentionner l’accès à un certain niveau de fortune :
acquêt de propriétés dans la ville de Montargis ou dans les
environs; beaucoup de rentes, des maisons bien garnies.
Or cela n’oblitérait pas la dimension charité : aide aux
démunis, participation à la gestion des hôpitaux. On peut
voir là l’influence, qui ne se démentit pas au xviii e siècle,
de Paul Dubé, qualifié par ses contemporains de « père
des pauvres ». Il avait su inculquer à ses enfants cet intérêt
pour le bénévolat ou ce qu’on pourrait aussi appeler le
service du prochain, issu d’un christianisme fervent qu’il
avait adopté.
La dimension géographique est aussi intéressante
à retenir. Les noms qui n’ont cessé de revenir dans nos
considérations sont Montargis, Bléneau, Gien, Saint-Fargeau,
Sens; mais, à côté de ces endroits, il ne faut pas oublier
les campagnes environnantes – et tout spécialement pour
le médecin Paul Dubé. Les relations avec Paris sont bien
présentes – on en verra un bel exemple quand on parlera des
contacts du médecin avec l’Académie des sciences –, mais
elles n’oblitèrent pas l’intérêt pour la province, qui demeure
pendant deux siècles le centre des préoccupations des
personnes que nous avons étudiées ici. Une seule exception
à ce scénario : François Dubé, le fils de François et de
Anne Collesson, qui décida, on ne sait pour quelle raison,
d’aller s’établir, avant 1733, à Saint-Domingue, où il mourut
en 1756.
Il convient, croyons-nous, pour compléter notre réflexion,
d’esquisser une comparaison qui nous permettra d’apprécier
la représentativité de la famille Dubé. Le cas que nous
voulons brièvement aborder est celui d’une famille issue de
la paysannerie qui émergea, au milieu du xvi e siècle, grâce à
la profession médicale, et dont le destin est, lui aussi, assez
exceptionnel 102 .
Louis Du Laurens naquit en 1511 (m. 1574). Ses parents,
qui étaient paysans et habitaient près de Chambéry,
déménagèrent à Turin. C’est dans cette ville qu’il commença
ses études; puis, accompagnant à Paris un jeune Piémontais
qui allait y étudier la médecine, il réussit à se faire admettre,
lui aussi, à la faculté. Il se lia d’amitié avec un célèbre docteur,
Honoré Castellan, lequel passa une partie de sa vie au service
de la famille royale. Une fois son doctorat terminé, il alla
s’établir à Tarascon, où il épousa la sœur de Castellan. Il y
pratiqua la médecine avec succès.
Nous ne donnons ici qu’un bref aperçu des carrières
remarquables que connurent ses cinq fils.
Honoré (1554-1612) étudia d’abord la médecine, qu’il
abandonna ensuite pour le droit (voir le cas, signalé plus
haut, de Pierre I Dubé). Il devint avocat général au parlement
de Provence. Puis il fit partie de la Ligue; il décida peu après
d’accéder au sacerdoce, et il termina sa vie archevêque
d’Embrun. Une vie peu banale, faut-il conclure.
André (1558-1609) étudia, lui, à la faculté de médecine de
Montpellier, et il y enseigna après l’obtention de son doctorat;
il fut même quelques années chancelier de l’université de
Montpellier. Il devint premier médecin d’Henri IV en 1606.
Il publia quelques livres, qui l’ont rendu célèbre; retenons
l’Apologia pro Galeno, et l’Historia anatomica humani corporis.
Il avait épousé la fille d’un magistrat.
Antoine (1564-1629) étudia en droit et devint avocat au
conseil du roi. Un de ses fils, Richard, fut médecin à Lyon.