SOUVENIRS

parties de l'Inde, n'y était prononcé qu'avec un sentiment profond de respect, et pour
désigner en quelque sorte la vertu personnifiée.
Pendant toute la durée de la cérémonie, la division anglaise resta les vergues en croix,
le pavillon à mi- mât, et, comme nos batteries, elle aussi faisait entendre, en signe de deuil, le
bruit lugubre et prolongé du canon. On avait organisé des corps de musique, concurremment
avec celle du théâtre; de jeunes demoiselles s'étaient chargées d'exécuter, pendant la
cérémonie, les plus beaux morceaux de Roméo et Juliette, auxquels on avait appliqué des
paroles analogues à la circonstance. Le soir, l'apothéose du général eut lieu au théâtre, et M.
Lamonroux, qui s'était occupé de diriger la musique, le matin, prit soin également de faire
exécuter celle du soir par les artistes de la troupe. Un deuil général avait été ordonné à la mort
du comte de Malartic; il fut continué quelque temps et cessa du jour où les premiers blocs de
pierre qui couvrent le caveau furent posés. Son tombeau reste inachevé comme pour perpétuer,
eu quelque sorte, l'ingrat oubli des colons envers un chef auquel ils doivent peut-être leur
existence.
Le général Magallon de la Molière lui succéda dans le gouvernement des deux îles. Issu
d'une famille noble, M. de Magallon rappelait par ses manières, sa mise et son langage, les
habitudes et le ton de la haute société que la révolution s'était efforcée de détruire. Sa
douceur, son affabilité, son indulgence le faisaient aimer, et s'il n'accordait pas tout à ceux
qui sollicitaient, du moins personne ne sortait mécontent de ses audiences, Il s'était marié à
une créole d'une des plus anciennes familles de l'île et cette alliance avait resserré l'union
qui existait déjà entre lui et la colonie. Son gouvernement, calqué sur celui du général
Malartic, dont il suivit les errements, ne trouva d'antre opposition que celle de l'Assemblée,
toujours jalouse d'user dans toute sa plénitude de l'empire qu'elle avait pris, et ne voulant
reconnaître l'autre autorité que la sienne, ces autres pouvoirs que ceux qui émanaient de ses
actes. Pour colorer sa soif de domination, l'Assemblée s'appuyait sur des considérations qui
ne manquent jamais de produire de l'effet sur les masses: d'après elle, sa conduite était du
patriotisme. En pareil cas, l'amour-propre et l'intérêt personne se placent; c’est toujours
pour le pays qu'on agit. C'est toujours sa sécurité, son repos, son bonheur qu'on invoque,
termes magiques dont se servent tour à tour les ambitieux qui veulent parvenir, ou
conserver le pouvoir et les places. Mais disons tout : les îles, au moment où M. de
Magallon prit le commandement, se trouvaient encore en partie sous l'influence des lois
atroces de la convention. Le décret fatal sur la liberté immédiate des noirs pouvait être
promulgué, et l’Assemblée se servait de ce puissant levier pour soulever la colonie contre