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SOUVENIRS

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CHAPITRE III<br />

D’APRÈS L'APERÇU rapide que nous venons d’offrir de nos divisions, de nos<br />

craintes intérieures, et nos privations, il serait pénible auquel nous étions assujettis soit<br />

dans la ville, soit aux retranchements, soit sur les forts, on sera peut-être indisposé à nous<br />

dire : « Vous étiez donc bien malheureux! Non, assurément, et le croire serait une erreur. La<br />

jeunesse, en général, prenait peu de souci de ce qui se passait; le plaisir, les réunions<br />

joyeuses, le travail et l'amour: voilà les occupations au milieu desquelles s'écoulait son<br />

temps. Livrés à leurs opérations commerciales, les négociants vendaient, achetaient avec le<br />

papier; réalisant de minces bénéfices, ils faisaient une dépense en rapport avec l'exiguïté de<br />

leurs profits, élevaient leur famille et vivaient dans l'attente de la paix et l'espoir des<br />

avantages dont elle serait la conséquence. Les ouvriers travaillaient; mais la politique était<br />

loin de les trouver indifférents, et quand la société des Sans-Culottes s'assemblait, on les<br />

voyait le soir courir à la Chaumière et s'y montrer les assidus auditeurs des Mirabeaux du<br />

club. En somme, malgré les alertes du dedans, et les craintes que nous inspiraient les<br />

ennemis du dehors, malgré l'extrême pénurie où nous nous trouvions, nous prenions notre<br />

mal en patience et le caractère français toujours gai, toujours vif, toujours supérieur aux<br />

évènements les plus contraires, nous soutint au milieu d'un état que nous ne supporterions<br />

certainement pas d'une manière aussi stoïque aujourd'hui.<br />

Nous avons parlé des corsaires et des jugements rendus en matière de prises. Ce<br />

sujet n'est point épuisé, et le nom d'un avocat dont il n'a pas encore été question s'y rattache<br />

étroitement: c'est celui de M. Nivière. Si les plaidoyers de feu M. Nivière eussent été écrits à<br />

l'époque où ils furent prononcés, il nous offriraient non seulement un recueil précieux de<br />

documents, mais encore une foule de détails curieux et même plaisants sur la manière dont<br />

ce jurisconsulte envisageait les affaires qui lui étaient soumises, sur les moyens qu'il<br />

appelait à son secours et les formes oratoires qu'il donnait à la défense des malheureux<br />

capitaines arrêtés par les corsaires. Il fallait le voir s'armer aux yeux des juges de l'autorité<br />

de la loi, invoquer celle de l'équité, de la raison, et, tour-à-tour éloquent et spirituellement<br />

sarcastique, couvrir de honte et de ridicule les capitaines, ardents, malgré tout, à ne pas<br />

laisser échapper leur proie. Il faut l'avouer: ces débats judiciaires ne constituent pas la plus<br />

belle page de notre histoire, et les scènes auxquelles ils donnèrent lieu plus d'une fois, sont<br />

plus affligeantes qu'honorables. Plusieurs juges furent menacés, des avocats frappés, parce<br />

que les uns et les autres avaient embrassé la cause de la justice. Il semblait qu'on voulût

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