SOUVENIRS

l'ouverture une couleur sombre. Un teinturier, mort depuis longtemps, se lève et veut
parler; il avance la main pour demander la parole au président. « Tirez votre gant! s'écrie
aussitôt M. Despéroux, un de nos artilleurs, aujourd'hui résidant à Bourbon. "A bas le
gant! "Alors le malheureux, objet de cette raillerie, se retourne et promenant sur
l'assemblée des regards où se lisaient l'ironie et la colère: "Vous riez de mes mains noires,
dit-il, vous riez, n'est-ce pas? Eh bien, vous vous amuserez bientôt d'une autre manière
quand elles seront rouges! .... Il faut le dire à l'honneur des Sans-culottes; comme nous, cette
sortie les saisit d'horreur et le citoyen, rappelé à l'ordre, fut vivement admonesté par le
président.
Une croisière avait paru; c'était la première depuis la déclaration de guerre. Les
jeunes gens s'offrirent comme volontaires pour aller la combattre à bord des bâtiments que
l'on armait. Ils partirent, restèrent six jours autour de l'Ile, et rentrèrent sans avoir rencontré
les ennemis.
On ne sait quel eût été le terme des parodies révolutionnaires dont la colonie était
déjà depuis longtemps le théâtre, peut-être eussent-elles dégénéré en sanglantes saturnales,
si la mort de Robespierre ne fût venue calmer les esprits et modérer l'effervescence des
Républicains. Les prisonniers furent élargis ( car en tout il fallait copier la France), mais
malheureusement la plupart d'entr'eux, comme St-Félix et Duplessis, avaient perdu la santé
au milieu des tortures physiques et morales qu'on leur avait fait subir; aussi ne purent-ils
survivre longtemps à leur sortie de la Tour. Plus heureux, MM. de Villèle et Marcenay
retournèrent à Bourbon.
Dès lors, l'esprit novateur s'affaiblit; à l'impulsion qui menaçait de briser tous les
liens sociaux et d'entraîner à leur perturbation et choses, gouvernement et institutions,
succéda une force réagissante et modératrice. Les haumières se fermèrent, et la guillotine,
emblème affreux d'un système de terreur, la guillotine, autour de laquelle se réunissaient
tous les soirs les Sans-Culottes, fut détruite: les jeunes gens se chargèrent de ce soin. Peu
après eut lieu le combat de la Cybèle et de la Prudente, frégates commandées par MM.
Regnaud et Trehouart, contre les vaisseaux le Centurion et le Diomède, l'un de 60 et l’autre
de 50 canons. Ce combat, le plus meurtrier qui ait été livré dans nos parages, pendant la
guerre, (il faut en excepter, celui du Grand - Port) occasionna des pertes considérables à
l'ennemi et ont pour résu1tat de déterminer la levée de la croisière. Nous possédons encore
des hommes qui portent les stigmates glorieux de cette sanglante rencontre. Nous citerons
MM. Ocana et Ligier: l'un y eut les jambes emportées, l'autre y perdit un bras. Tous deux