SOUVENIRS

offraient une harmonie parfaite; il n'y avait pas jusqu'à ceux qui l'entouraient, jusqu'à ses
domestiques dont les habitudes n'eussent pris une teinte de cette douceur, de cette inaltérable
bonté qui brillait sur la figure du général. Tant il est vrai que la force de l'exemple impose et
se fait suivre!
Le clergé lazariste qui desservait les églises des Iles de France et de Bourbon avait à
sa tête un homme de mérite, M. Darthé, mort seulement en 1831, et sous la direction duquel
se trouvaient huit ecclésiastiques pour les campagnes, un curé et un vicaire au Port, un
aumônier à l'hôpital et huit sœurs de la charité pour le service des malades. Ami de M.
Dupuy et peut-être son conseil, il fut bientôt en butte aux différents partis. L'époque des
révolutions est aussi l'époque des accusations: elles ne manquaient pas plus à l'Ile-de-France
qu'à Paris. Enveloppé dans celles que l'on portait contre le chef de l'administration, M. Darthé
partit avec lui et remit ses pouvoirs au curé des Pamplemousses, M. Durocher. Mais aucun de
ces ecclésiastiques n'a laissé des souvenirs plus honorables que l'abbé Flageollet, mort, il y a
quelques années, curé de Moka. Ma1gré ses vertus, ou plutôt à cause de ses vertus, ce digne
prêtre ne fut pas épargné par la tourmente révolutionnaire. Accusé plusieurs fois, conduit au
Port au milieu d'une haie de baïonnettes, on semblait se faire un jeu de le tourmenter; mais ce
n'était pas dans un cœur comme le sien, plein de courage, d'amour et de charité pour le
prochain, que l'on pouvait faire entrer ni la haine ni la crainte. Dans ses souffrances il priait,
Comme son divin maître, pour ceux qui l'abreuvaient ainsi d'insultes et de mauvais
traitements. Oh! si l'on savait jusqu'à quels excès de fureur et de démence peut se porter un
peuple quand il a brisé tous les liens de l'obéissance aux lois et au pouvoir, comme on se
garderait de le soulever en excitant ses passions! Nous avons vu ici cet abbé Flageollet, offert à
l'amusement et à la risée du public ; nous l'avons vu garrotté sur un tonneau à côté d'une espèce
de bacchante, et forcé de donner à boire aux passants qui l'accueillaient aux cris de vive la
république! Mais enfin le jour de la justice s'est levé; son mérite a brillé avec d'autant plus
d'éclat qu'il avait été plus méconnu; un hommage éclatant a été rendu à son caractère, et ses
paroissiens, pleins d'admiration pour ses vertus apostoliques, ne citent jamais son nom que
pour le comparer aux pasteurs qui ont le plus honoré l'Église par leur ardente et constante
charité!
La division de M. de St-Félix, contre-amiral, arrive en 1791 avec des secours en
hommes et en argent, mais aussi elle arrive pour donner des forces au parti Sans-Culotte qui
se recrutait dans tous les rangs où l'esprit révolutionnaire se faisait jour, au travers des
obstacles de la discipline. Le secrétaire du contre-amiral était ce Litrai, homme à figure pâle,
à cheveux noirs, tombant sur les épaules, qui devint par la suite le Marat du parti. Sombre