SOUVENIRS

Invoquons des exemples. Croit - on (ceci soit dit sans intention de blesser personne),
croit-on que nous ayons des magistrats plus intègres et plus instruits que les Chazal et les La
Butte; des avocats et des médecins plus savants que ce doyen du Barreau qui existe encore,
que ce M. Foisy dont le nom est écrit sur toutes les lois de l'assemblée coloniale; que cet
Esnouf, créole mort président à la cour d'Orléans; que ce Nevier dans la mémoire duquel
étaient classés tous les codes, toutes les ordonnances et toutes les coutumes de France ? Quant
à la médecine, les Laborde, les Lapeyre ont eu et laissé après eux une telle réputation, que nous
sommes dispensé d'en parler. L'administration, le clergé, le barreau, la magistrature, le
commerce, les campagnes, les ateliers étaient peuplés d'hommes tous aussi recommandables
par l'intégrité de leurs mœurs que par leur savoir et leur dévouement aux intérêts généraux. Les
Dupuy, les Chauvalon, les Lejuge, les de Courci, les Hiriard, les Trublet ont été connus de la
génération actuelle. A la tête des finances et de l'administration pendant de longues années, ils
sont tous morts ou ils mourront pauvres; c'est le plus bel éloge que l'on puisse faire de leur
administration, pendant une période de troubles et d'anarchie comme celle de 1792.
Mais un homme que nous n'avons pas fait connaître encore, et dont le nom brille à côté
des plus beaux noms, c'est celui du comte de Malartic, lieutenant général des armées du Roi de
France. Lorsque Dieu, pour châtier les peuples, permet les révolutions, il laisse souvent
prévaloir le crime sur la vertu; mais toujours il réserve quelques âmes d'une forte trempe,
quelques nobles et grands caractères dont la mission est d'instruire le monde par l'exemple de
leur vertu et de protester avec énergie contre les scandales et les crimes d'une époque
calamiteuse. Malartic fut un de ces élus destinés par la Providence à sauver Maurice. Avec les
solides et brillantes qualités qui: font les héros, il possédait les éminentes vertus qui font les
saints. Toute sa vie ne fut qu'un long exercice de bravoure et de piété. Ferme au milieu des
dangers, humble devant Dieu, Malartic sut allier, comme nos preux d'autrefois, mais à un degré
plus éminent encore, les devoirs de sa religion avec ceux qu'il avait à remplir envers son pays.
Nous l'avons vu le matin prier à genoux au pied des autels, pendant toute la durée du sacrifice
de la messe, et le soir, au milieu des soldat~ mutinés, découvrir sa poitrine sillonnée par le feu
de la guerre, leur imposer silence et les faire rentrer dans l'ordre. Admirable ascendant d'un
esprit supérieur qui tire sa force d'une autorité morale et de la confiance que la vertu seule
peut inspirer!
Tel était cet homme dont le portrait est devant nous au moment où nous écrivons ces
lignes, et qui, par un des derniers actes du trop malheureux Louis XVI, fut nommé
gouverneur-général de tous nos établissements dans l'Inde. Qui n’a pas connu n'a jamais vu
l'association de toutes les vertus dans un seul homme. Ses traits, ses yeux, sa parole, sa taille