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SOUVENIRS

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Telle était l'influence favorable du gouvernement du Roi, que jamais l'habitant<br />

n'avait à craindre que ses récoltes invendues pourrissent dans ses greniers. Des magasins,<br />

établis sur toutes les côtes de l'Ile, recevaient, en tout temps, les grains nourriciers à un prix<br />

déterminé. Le propriétaire trouvait-il une occasion de s'en défaire plus avantageusement, il<br />

savait la mettre à profit. Si les acquéreurs ne se présentaient pas, alors il versait ses denrées<br />

dans les magasins du gouvernement qui lui en payait le prix, à son option, soit en espèces,<br />

soit en traites sur France au pair, argent de France pour argent de la colonie, ce qui assurait<br />

au vendeur plus de 25 p. % de bénéfice. Certes, soixante-dix millions de sucre sont un beau<br />

revenu; mais à quel prix avons-nous acquis cette production élevée? La colonie était<br />

heureuse alors, unie malgré la divergence des opinions. On ne se ruait point encore dans les<br />

voies d'un hideux antagonisme; l'ambition aveugle et le désir immodéré de dominer,<br />

d'écraser les autres n'avait point encore donné naissance à des inimitiés, à des haines<br />

violentes. Toutes les réunions étaient des réunions de familles où régnaient la franchise et<br />

l'urbanité des mœurs. Sortiez-vous de la ville; l'hospitalité loyale et généreuse vous attendait<br />

chez les habitants qui, presque tous, étaient décorés de la croix de St-Louis, dont le ruban<br />

brillait sur leur gilet de nankin ou de toile bleue. Ces gens, malgré la simplicité de leurs<br />

manières, de leurs vêtements, malgré la bonhomie de leur langage, avaient de l'orgueil sur<br />

cet article-là; noble orgueil qu'on pouvait assurément leur passer, car c'était à peu près tout<br />

ce qui leur restait de leurs longs et périlleux services. Tel était, au Teste, l'honneur français<br />

de l'époque. Si depuis tout cela a bien changé; si l'on préfère un sac de piastres aux rubans,<br />

il ne faut ni s'en étonner, ni s'en plaindre. Chaque siècle a son cachet distinctif: le dernier<br />

avait l'amour des rubans conquis sur le champ de bataille; le nôtre a l'amour de l'argent<br />

acquis ... d'une manière ou d'une autre, peu importe. Jadis, nous ne manquions jamais aux<br />

formes de respect que nous inspirait la vue d'un homme décoré, quelles que fussent<br />

d'ailleurs sa mise et sa suite; aujourd'hui nous tirons notre chapeau, bien plus, nous nous<br />

courbons jusque dans la poussière devant celui qui voyage ou se promène en carrosse<br />

doré, suivi d'une livrée nombreuse. Quoiqu'il en soit, tel était alors l'état de la colonie, que<br />

si la bure la revêtissait au dehors, l'or et la soie l'ornaient intérieurement.<br />

Le commerce avait aussi son honneur ; il n'empruntait aucun signe apparent et<br />

distinctif, mais il avait pour lui la bonne foi dans ses engagements. Une parole donnée<br />

était un contrat écrit. Si depuis un contrat écrit a moins valu qu'une promesse verbale, c'est<br />

que le commerce, comme tout le reste, a marché dans le progrès; cependant, même au<br />

milieu du dévergondage général, le commerce de Maurice a su généralement conserver la<br />

considération due à un corps respectable qui ne peut exister et se soutenir que par la bonne<br />

foi. En matière de commerce on ne peut tout prévoir, et si celui avec qui l'on traite ne se

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