SOUVENIRS

57 centièmes en disant que le tarif était trop élevé. - Eh! morbleu, monsieur, si le tarif est trop
élevé, que: ne le modifie-t-on ; pourquoi ne pas le ramener à de justes proportions?- Cela ne me
regarde pas le juge, voilà mon affaire. D'ailleurs, portez plainte ... -Nous! Accuser ! non,
monsieur. Ce n'est pas à Maurice que vous trouverez des accusateurs particuliers. On peut
rencontrer ici des gens assez courageux pour attaquer d'une manière générale de scandaleux
abus; mais des dénonciateurs, jamais. Du moins, ce ne sera pas, nous qui remplirons cet indigne
rôle. Nous allions continuer, déterminé que nous étions à signaler les vices et les anomalies
frappantes qui se rencontrent dans l'ensemble de l'administration judiciaire et même dans le jury
appliqué à Maurice, lorsque l'heure de l'audience appela le juge au Palais.
Encore une petite histoire. C'est la dernière de ce genre que nous raconterons, avant de
pénétrer, s'il est possible, dans le gouffre où le monstre de la chicane a établi son empire, et d'où
il conseille, dirige, ameute, désunit, ruine et dévore le pays.
Une pauvre femme avait pour ressource unique un petit colportage dont elle avait confié
la gestion à une femme libre, au prix de deux piastres par mois. Sa boîte, remplie de tresse, de
cordonnets, d'aiguilles et autres menus objets du même genre, pouvait bien valoir une soixantaine
de piastres. Elle se servait de la patente d'un marchand, qui, pour lui rendre service, la
lui avait cédée. La colporteuse est arrêtée à Flacq, parce que, au lieu de répondre: c'est pour
M. Jean que je colporte, elle répondit: c'est pour Mlle Perrette. Aussitôt le procureur du roi,
le commissaire civil, le brigadier de gendarmerie, tout est en mouvement, excepté la boîte
qui reste déposée dans un lieu sûr où on la laisse dormir, comme pièce de conviction. Quatre
mois s'écoulent sans qu'aucune décision intervienne. Démarches, prières, sollicitations ne
sont pas épargnées. Il s'agit de mon existence, disait la malheureuse femme; condamnez~
moi à l'amende, je paierai; confisquez ma boite, je ne me plaindrai pas; mais finissez, car je
paie toujours les deux piastres par mois à la colporteuse, dont je suis satisfaite, sur la
promesse que demain tout sera terminé. Quelle a été l'issue de cette affaire? Quel a été le
sort de la boîte, celui de Perrette? Nous l'ignorons; mais ce dont nous sommes certain, c'est
que, six mois après la capture, rien n'était encore décidé. Est ce donc là la promptitude avec
laquelle on accorde justice au pauvre, et n'est-il pas évident que les formes du tribunal de
paix, toutes simples qu'elles sont, deviennent encore pour le malheureux un sujet d'onéreux
sacrifices et de longues inquiétudes. Sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, une réforme
est indispensable.