SOUVENIRS

timides successeurs, cédé devant la menace ou l'importunité; leur volonté ferme,
inébranlable eût su briser tous les obstacles pour assurer et maintenir le triomphe d'une
cause qui puise sa force dans une question de principe, plutôt que dans une question de fait.
C'est lorsque les circonstances sont graves, que les magistrats, interrogeant leur conscience et
coin prenant l'étendue de leur auguste mission, ont besoin de se montrer tels qu'ils doivent
être. Ceux de Maurice n'avaient qu'à feuilleter les actes de leurs prédécesseurs, pour s'assurer
qu'il est des cas où la justice peut laisser tomber son bandeau pour s'instruire du passé. Les
temps antérieurs à la révolution le gouvernement de M. Decaen, et l'époque de l'incendie leur
eussent fourni des précédents qui eussent légalisé leurs déterminations et légitimé leurs actes.
En 1775, par exemple, l'usure dévorait le pays; une mesure fut prise pour en arrêter les excès.
En 1795, on eut recours à un parère; en 1805 ou 1807, des engagements pris payables en
café, lorsque les cafés, alors très-communs, valaient 7 ou 8 piastres, furent exigés à 11 et 12
piastres, avec intérêt à 12 et 15 pour cent, parce que ces mêmes cafés étaient devenus trèsrares
sur la place et que les demandes avaient occasionné leur renchérissement. La justice
vint au secours des débiteurs sans frustrer notoirement les créanciers de leurs droits. En 1816,
les poursuites furent suspendues pendant six mois, afin de donner aux incendiés et au
commerce le temps de déblayer les décombres que le désastre avait amoncelés. Nous ne
savons pas quel mal ces trois mesures extraordinaires ont produit; mais ce que nous pouvons
assurer, c'est que deux d'entr'elles, dont une fut par nous proposée et conseillée, amenèrent les
plus heureux résultats. Endormie ou fascinée, la justice n'a pas agi de la même manière depuis
1832; on a fait beaucoup de bruit autour d'elle, sans doute pour qu'à l'imitation de l'usage
observé dans les anciens sacrifices, le public n'entendît pas les cris et les gémissements des victimes
qu'on immolait.
Les traites sur Londres se négociaient en juin, juillet, août et septembre 1816, de 15 à 16
piastres la livre sterling, ce qui offrait aux preneurs un bénéfice de 7 à 8 pour cent. Sur France,
la piastre coloniale se négociait à 4 et 4,10 le piastre, ce qui donnait, à peu de chose près, le
même résultat que celles sur Londres. Le vin valait de 40 à 50 piastres, l'huile d'olive de 5 à 8, le
riz du Bengale de sac, les cafés valaient de 11 à 12 et demie la balle, le coton de 3,15 à 4 la livre,
le gérofle 7 piastres, l'arack 5,10, le bois d'ébène 20 piastres le cent, le sucre 7 piastres et
l'indigo du pays 8 piastres la livre. L'argent était assez commun, les affaires faciles et la
confiance réciproque entre les prêteurs et les emprunteurs, comme entre les gouvernants et les
gouvernés. C'est dans cette situation que, pendant la nuit du 25 septembre 1816, le tocsin
vint nous réveiller; nuit de deuil et de désolation dans laquelle le Port-Louis vit périr, au
milieu des flammes et dans l'espace de six heures, une valeur de six millions de piastres,
fruit du travail et des économies de la classe la plus active et la plus industrieuse de la ville.