SOUVENIRS

provenant de fournitures de charbon, d' œufs, de volaille et de beurre pour l'usage de la maison
pendant une année. Nous citons ce fait, non comme preuve d'une grande prospérité ni d'un
grand mouvement de culture; mais pour démontrer qu'avec du travail et de l'économie, plusieurs
routes peuvent conduire à l'aisance, surtout à Maurice, île qui, par sa position sur la route de
l'Inde, voit aborder dans son port tous les vaisseaux en relations commerciales avec cette partie
du monde. L'économie opère des prodiges dont il est difficile de se rendre compte, et cependant,
ils passent le plus souvent inaperçus. A quelles causes sont dues les fortunes des Leroux Kmoseven,
des Galdemard aîné, des Olivier, des Wantzloeben, des Latour-Ody, des Maillard et
Frappier et de tant d'autres encore, si ce n'est à une activité persévérante et à une règle
invariable de travail? Condamner ce qui existe aujourd'hui n'est pas notre intention; mais,
lorsque nous songeons à quel prix nous avons obtenu la grande et subite prospérité dont nous
sommes en possession, nous regrettons sincèrement que ce soit en partie par des moyens que
nos prédécesseurs auraient repoussés avec indignation. Et toutefois, nous l'avouerons, à la
vue de cette opposition de principes et de leurs conséquences affligeantes, on se sent moins
porté à condamner les hommes, qui, pour s'enrichir, ont eu recours à de pareils moyens, que
la Justice qui les a tolérés et, pour ainsi dire, sanctionnés par un coupable silence; la Justice
que l'on a enlacée dans les filets de la chicane et qui est devenue, sans le savoir et bien
innocemment sans doute, l'auxiliaire de ceux qu'elle aurait dû punir! Il y avait des mesures de
sagesse à prendre, des actes à examiner sérieusement, des enquêtes à faire, des séparations de
biens à contester, des acquéreurs à surveiller; il Y avait des fripons éhontés à flétrir et des
honnêtes gens à protéger. Eh bien! l'on n'a rien fait. Les autorités judiciaires, arrêtées par des
considérations dont ceux qui les entouraient, avaient soin de leur exagérer l'importance,
craignirent le renouvellement des scènes de 1832, et leur faiblesse, à cet égard, ne peut
trouver d'excuse. Eh quoi! ne voyaient elles donc pas que, lorsque les débiteurs voulaient se
rendre acquéreurs de leurs biens sous des noms supposés, ou sous celui de leurs femmes
pour la reprise de leurs droits , rien n'était plus facile qu'une expropriation? Le cas contraire
n'arrivait-il pas, lorsque le véritable créancier, celui qui avait fourni l'argent ou vendu le
bien, désirait rentrer dans ses fonds? Nous nous trompons quand nous disons qu'on n'a rien
fait : on a distingué les spoliateurs, en assistant chez eux aux fêtes splendides qu'ils
donnaient et en les invitant à celles qu'on offrait en retour, comme si l'on eût, en quelque
sorte, voulu par là les réhabiliter dans l'opinion publique, tandis qu'on aurait craint de
s'abaisser, de se compromettre en acceptant un modeste et frugal repas chez l'honnête
homme indignement dépouillé. On a été plus loin encore: on a récompensé les hommes, qui,
en 1832, ont été les auteurs et les instigateurs des tristes évènements dont Maurice a été le
théâtre et la victime. Certes, tout cela n'aurait pas eu lieu si les lords Bathurst, Murray,
Aberden se fussent trouvés à la tête des affaires; ils n'eussent pas, comme leurs pâles et