SOUVENIRS

d'honneur qu'il ne lui serait fait aucun mal. Arrivé à l'assemblée, il ne lui fut pas difficile de
détruire les calomnies lancées contre lui pour le perdre.
Toutefois, il fut renvoyé sans avoir les honneurs de la séance, ce qui était d'un
mauvais augure, et remis entre les mains de quatre membres de l'assemblé, sous la sauve -
garde desquels il dut se rendre de l'Église, lieu de la réunion, jusque sur le port. Certes
l'assemblée avait connaissance de l'exaspération des esprits; elle savait, à n'en pas douter,
qu'une aussi faible escorte ne garantirait pas M. de Macnemara, si les soldats avaient formé le
dessein de l'assassiner; et cependant, ce furent là les seules précautions, les seules mesures de
sûreté qu'elle prit à son égard. Bien coupable négligence, sans contredit, s'il n'est pas permis de
soupçonner la criminelle arrière-pensée de donner satisfaction à un parti redoutable et placé
sous l'influence d'une aveugle irritation!
Au lieu de suivre la rue du Gouvernement, l'escorte remonta la rue Desforges pour
descendre sur le port par la rue de l'Église. Ici, la scène change de face et prend un caractère
inquiétant. Les menaces qui jusqu'alors n'avaient point franchi toutes limites, redoublent de
violence; les vociférations des grenadiers éclatent; les sabres se lèvent sur la tête du général.
Vainement cherche-t-on à rappeler la foule exaspérée à des idées d'ordre et de justice, au
respect du droit des gens; parvenu à l'angle de la rue Royale, à l'égout de gauche de la rue de
l'Église, il devient impossible au général de se frayer un passage. Le tumulte est à son comble.
On veut une victime: cette victime sera-t-elle livrée sans défense à ses bourreaux? En cet
instant décisif, M. de Macnemara , qui a compris l'imminence du danger, s'aperçoit que la
porte de M. Martin, horloger, rue Royale, est ouverte. Il s'y précipite, d'après le conseil
que lui en donnent les membres qui l'accompagnent, traverse le magasin, trouve un
escalier dont il franchit rapidement les degrés dans l'espoir de rencontrer une issue
favorable; mais deux grenadiers se sont lancés à sa poursuite et vont le saisir. M. de
Macnemara se détourne et veut décharger sur eux un pistolet; l'arme ne prend pas feu.
Alors il est saisi, traîné dans la rue ou on lui tranche la tête, trophée sanglant que l'on
promène au bout d'une pique par toute la ville, et son corps est ignominieusement jeté
dans un égout devant une immense population qui garde le silence, et devant quatre
membres de l'Assemblée qui laissent faire, sans proférer d'autres paroles que celles dont la
faiblesse et l'impéritie se sont servies depuis dans toutes nos révolutions comme d'une
excuse banale: "C'est un grand crime; mais ce n'est pas nous qu'il en faut accuser… Le
peuple, les soldats sont seuls coupables… Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour
le sauver, sans y parvenir... La colonie est exempte de reproche, et l'assemblée a tenu la
conduite qu'elle devait tenir ..."