SOUVENIRS

En homme qui connaissait la politique anglaise et les besoins d'appui et de stations pour
ses vaisseaux, sir Robert avait compris que Maurice resterait colonie anglaise, quels que fus-
sent, d'ailleurs, les résultats d'une guerre qui durait depuis quinze ans. L'Angleterre se sent sans
nul doute imposé des sacrifices en Europe, si les circonstances l'eussent exigé; jamais elle ne se
serait départie d'une possession si chèrement acquise. Ce fut donc sur ces bases que sir Farquhar
assit son système général de gouvernement. Approuvé, soutenu dans tous ses actes par la
métropole, il put blesser, dans le principe, quelques amours - propres nationaux; mais obéissant
à la voix d'une conviction fortement arrêtée, rien ne fut capable de le faire dévier de la route
qu'il s'était tracée et où nous continuerons à le suivre. L'histoire des vingt - cinq dernières
années de Maurice est inséparable de celle de ses gouverneurs, parce que le sort actuel de la
colonie est leur ouvrage, et que sir Robert est celui qui a réellement posé les bases de la
prospérité dont elle jouit en ce moment.
Nous avons parlé de la bienveillance du gouvernement pour ses nouveaux sujets; nous
n'avons encore rien dit des moyens auxquels il eut recours pour réprimer soit les écarts d'une
jeunesse imprudente, soit les excès d'une population nombreuse, attachée à la culture et qui se
flattait d'obtenir, quelque temps après la prise, ce qui vient récemment de lui être accordé.
Plusieurs crimes furent commis au milieu de l'effervescence qu'avait excitée dans les esprits
l'abolition de la traite; mais la prompte et sévère pour qu'ils attirèrent sur la tête des coupables,
anéantit le fol espoir dont se berçait cette population. Toutefois, nous devons rendre hommage à
sa fidélité. Quelques têtes furent égarées un moment) tandis que la masse, malgré ses
prétentions, resta constamment attachée à ses devoirs. La justice veillait sur elle et pour elle.
Elle n'était soumise qu'à la loi, et si parfois des plaintes réciproques se firent entendre, le
magistrat, protecteur de la société, sut rendre ses arrêts avec une noble indépendance qui ne
pliait même pas devant les exigences les- plus intraitables, devant les plus puissants préjugés.
Juste et tenant d'une main ferme la balance du pouvoir, le gouvernement qui ne voulait ni
tyrannie, ni anarchie, réprimait au besoin toute tendance qui se manifestait en faveur de l'une ou
de l'autre. C'est précisément à l'accord de cette modération et de cette fermeté que nous devons
les vingt années de calme dont nous avons été en possession et qui nous ont permis de nous
occuper de nos intérêts, sans être obligés de pourvoir au soin de notre défense intérieure. Plus
tard, nous dirons comment cette tranquillité a été troublée; à quel titre et sous quels prétextes
des anarchistes l'ont compromise, sans négliger leurs propres affaires au sein des désordres
qu'ils provoquaient, et comment enfin le pouvoir, en les amnistiant, leur a livré à peu près sans
obstacle la fortune et les affaires publiques.