SOUVENIRS

épars appartenant à des partis opposés, s'unissaient entr'eux par des liens d'agrégations et
venaient respectivement aboutir à un centre commun. Ainsi l'assemblée coloniale formait le
point de réunion de la classe aisée, qui avait à défendre ce qu'elle possédait. C'étaient les
aristocrates de l'époque qui valaient mieux que ceux d'aujourd'hui; car ils n'écrasaient
personne de leur faste insolent et n'avaient pas encore trouvé le secret de s'enrichir des
dépouilles d'autrui, tout en faisant parade d'abnégation et de dévouement aux intérêts
généraux.
Il est certain que, pendant ces orgies révolutionnaires, la bonne foi, l'honneur, la
probité, furent toujours un titre à la considération publique, et que ce n'était pas dans les
rangs des hommes notoirement diffamés ou par leurs banqueroutes, ou par leur mauvaise
foi, ou par toute autre action que l'honneur désavoue, que les magistrats et les
fonctionnaires étaient choisis. Ces hommes, et il y en avait bien peu, se tenaient à l'écart et
ne venaient pas se mettre en évidence pour imposer par leur audace. Leur conduite les
faisait plaindre, plutôt qu'elle n’attirait sur eux le mépris.
Le club des Amis de la Constitution, composé de la classe conservatrice, fut établi rue
Royale; c'est là que les ambitions allaient faire preuve de leurs talents dans l'art d'ameuter.
Une fraction de l'assemblée avait aussi un club aux séances duquel les membres seuls
étaient admis Fondé d'abord dans un but de bonne chère et de jeu, il devint politique, et là
s'élaboraient les propositions et les motions qu'ils avaient à faire. Dans la suite les membres
de ce club se firent tous admettre à celui de la Constitution. La colonie nomma pour ses
députés à l'assemblée nationale de France, MM. Colin, avocat, et Gouly, chirurgien : ils
périrent tous deux dans le naufrage du bâtiment qui les portait. Depuis, aucune nouvelle
nomination ne fut faite, et MM. Cossigni, Palma, Bertin et Dumolard, ancien habitant du
Bois - Rouge, furent chargés des intérêts de la colonie à Paris.
De pareils exemples ne pouvaient rester sans imitateurs; aussi les Sans - Culottes
s'empressèrent-ils de les suivre et d'organiser un club de Jacobins, arène où les chefs du
parti démocrate vinrent s'exercer au combat de la parole. Cette société, qui fut ouverte aux
sous-officiers des régiments et même aux soldats, devint par la suite formidable et tint
pendant quelque temps entre ses mains les destinées de l'Ile-de-France. Les membres dont
elle était composée formèrent deux compagnies ayant pour chefs des hommes sortis des
rangs de l'armée et pourvus du talent et de l'énergie nécessaires pour parvenir. Il fut facile
alors à l'assemblée de s'apercevoir qu'elle allait se trouver aux prises avec un parti puissant
et par le nombre et par sa force réelle. Divisée elle - même en deux fractions, dont chacune