romeo castellucci - Théâtre de la Ville
romeo castellucci - Théâtre de la Ville
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The Four Seasons<br />
Restaurant<br />
ROMEO CASTELLUCCI<br />
SOCÌETAS RAFFAELLO SANZIO<br />
mise en scène, décor,<br />
costumes & lumières<br />
ROMEO CASTELLUCCI<br />
musique SCOTT GIBBONS<br />
avec<br />
CHIARA CAUSA,<br />
SILVIA COSTA,<br />
LAURA DONDOLI,<br />
IRENE PETRIS<br />
EN ITALIEN SURTITRÉ EN FRANÇAIS<br />
DU 17 AU 27 AVRIL 2013<br />
THÉÂTRE { AU THÉÂTRE DE LA VILLE }<br />
Dossier pédagogique SAISON 2012 I 2013<br />
© Fe<strong>de</strong>l
© Berthelot<br />
ROMEO CASTELLUCCI SOCÌETAS RAFFAELLO SANZO<br />
The Four Seasons Restaurant CRÉATION<br />
DU CYCLE Le Voile noir du Pasteur<br />
2<br />
MISE EN SCÈNE, DÉCOR & COSTUMES Romeo Castellucci<br />
MUSIQUE Scott Gibbons<br />
ASSISTANTE À LA MISE EN SCÈNE Silvia Costa<br />
COLLABORATION À LA DRAMATURGIE Piersandra Di Matteo<br />
DIRECTION À LA CONSTRUCTION DU DÉCOR Massimiliano Peyrone<br />
ACCESSOIRES Carmen Castellucci<br />
AVEC Chiara Causa, Silvia Costa,<br />
Laura Dondoli, Irene Petris<br />
PRODUCTION EXÉCUTIVE Socìetas Raffaello Sanzio<br />
COPRODUCTION Theater <strong>de</strong>r Welt 2010 – <strong>Théâtre</strong> National <strong>de</strong> Bretagne,<br />
Rennes – <strong>de</strong>Singel international arts campus, Anvers – The National<br />
Theatre, Oslo – Barbican London – SPILL Festival of Performance<br />
Chekhov International Theatre Festival, Moscou – Hol<strong>la</strong>nd Festiva,<br />
Amsterdam – Athens Festival GREC 2011 – Festival <strong>de</strong> Barcelona –<br />
Festival d’Avignon – International Theatre Festival DIALOG Wroc<strong>la</strong>w,<br />
Pologne – BITEF (Belgra<strong>de</strong> International Theatre Festival) – Foreign<br />
Affairs I Berliner Festspiele 2011 – <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Ville</strong> – Paris –<br />
Romaeuropa Festival 2011 – Theatre festival SPIELART Munich<br />
(Spielmotor München e.V.) – Le Maillon, <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Strasbourg,<br />
scène européenne – TAP <strong>Théâtre</strong> Auditorium <strong>de</strong> Poitiers, scène<br />
nationale – Peak Performances @ Montc<strong>la</strong>ir State-USA<br />
Socìetas Raffaello Sanzio est subventionnée par Ministero per i Beni<br />
e le Attività Culturali ; Regione Emilia Romagna ; Comune di<br />
Cesena/Emilia Romagna Teatro Fondazione.<br />
L’IMAGE, SON MYSTÈRE<br />
Pourquoi nul ne peut maîtriser l’effroi qui le saisit, face<br />
à une image qui pourrait être <strong>la</strong> sienne, face à <strong>de</strong>s yeux<br />
qui regar<strong>de</strong>nt au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> lui.<br />
La saison <strong>de</strong>rnière, Romeo Castellucci adaptait un roman <strong>de</strong> Nathaniel Hawthorne, Le<br />
Voile noir du Pasteur, sur <strong>la</strong> peur qui s’empare <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong>vant une image familière<br />
soudain étrangère. Peu avant, il développait une performance sur le même<br />
thème, Sur le concept du visage du fils <strong>de</strong> Dieu. Visage qui n’est plus voilé <strong>de</strong> noir, mais<br />
domine <strong>la</strong> scène en un tableau d’Antonello <strong>de</strong> Messine, <strong>de</strong>vant lequel un homme et<br />
son père tentent en vain <strong>de</strong> museler <strong>la</strong> nature, et qui se désagrège. On se souvient <strong>de</strong>s<br />
scandales provoqués par <strong>de</strong>s intégristes fort politisés. Mais ce n’est pas <strong>la</strong> provocation<br />
qui intéresse Castellucci, c’est le défi <strong>de</strong> pouvoir « montrer une disparition ». À nouveau,<br />
il invoque un peintre, Mark Rothko, à qui, en 1958, le Four Seasons restaurant<br />
<strong>de</strong> New York offre ses murs. Et qui, par rejet <strong>de</strong> cette société qui vient se goinfrer là,<br />
déci<strong>de</strong> d’enlever ses tableaux. « Le thème fondamental reste le même, le tourment d’un<br />
homme face à son image, son visage », dit Castellucci, fabuleux magicien <strong>de</strong> l’image<br />
théâtrale.<br />
Colette Godard
© Raynaud De Lage<br />
SOMMAIRE<br />
L’Obsession du regard I Colette Godard p. 4<br />
Conversation p. 5<br />
BIOGRAPHIES<br />
Empédocle p. 8<br />
Friedrich Höl<strong>de</strong>rlin p. 9<br />
Romeo Castellucci p. 10<br />
À écouter p. 11<br />
3
© Raynaud De Lage<br />
L’OBSESSION DU REGARD<br />
L’impérialisme <strong>de</strong> l’image, l’importance du regard, <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’artiste :<br />
thèmes familiers à Romeo Castellucci emportés dans <strong>la</strong> fureur du ciel.<br />
Les comédiennes surgissent du néant, <strong>de</strong> ce fragment d’espace indéfini, indéfinissable et tonitruant que les experts<br />
nomment « point noir ». Elles sont dix, b<strong>la</strong>nches et belles, gracieuses, comme rêvées par Botticelli. Tout en charmeuse<br />
délicatesse, elles se mutilent, <strong>de</strong>s chiens se gavent.<br />
Et puis ensemble, elles racontent le poème <strong>de</strong> Höl<strong>de</strong>rlin, La Mort d’Empédocle. Cet homme <strong>de</strong> science et philosophe<br />
qui d’abord vénéré, se vit rejeté, considéré comme hérétique, accusé <strong>de</strong> b<strong>la</strong>sphème, et finit par se jeter dans le feu<br />
<strong>de</strong> l’Etna. En lui, Romeo Castellucci reconnaît le <strong>de</strong>stin, <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’artiste, écartelé entre ses exigences et les<br />
malentendus qu’il provoque.<br />
D’où le titre du spectacle : The Four Seasons Restaurant. Luxueux restaurant new yorkais qui, pour orner ses murs,<br />
avait commandé une série <strong>de</strong> tableaux au peintre Mark Rothko. Né en Lituanie en 1903, lui aussi s’est suicidé, à<br />
New York en 1970. Et plutôt que <strong>de</strong> livrer son œuvre, son âme, aux regards <strong>de</strong> clients venus là pour consommer,<br />
se nourrir, il a préféré enlever ses tableaux, <strong>la</strong>isser les murs vi<strong>de</strong>s.<br />
En lui, en son histoire, Romeo Castellucci rencontre sa propre obsession du regard, son propre refus <strong>de</strong> se <strong>la</strong>isser<br />
utiliser par l’image. Plutôt le vi<strong>de</strong>, plutôt <strong>la</strong> mort.<br />
Mais que <strong>de</strong>vient un mon<strong>de</strong> sans art ?<br />
Alors l’espace <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène se transforme par l’effet <strong>de</strong> ri<strong>de</strong>aux, qui vont et viennent, dévoilent un cheval couché, un<br />
homme blessé, un visage féminin aux yeux fermés, projeté en gros p<strong>la</strong>n… Rien ne dure, l’espace se défait, s’engloutit<br />
dans une apocalypse <strong>de</strong> cauchemar, dans le tourbillon terrifiant d’une fureur céleste, assourdissante.<br />
Le noir, le bruit fracassant, le rien. La splen<strong>de</strong>ur picturale pour se défaire <strong>de</strong> l’ordinaire. Difficile <strong>de</strong> ne pas être<br />
atteint.<br />
Colette Godard<br />
4
CONVERSATION<br />
ENTRE CHRISTINA TILMANN DU BERLINER FESTSPIELE & ROMEO CASTELLUCCI<br />
The Four Seasons Restaurant commence avec une ouver ture:<br />
les sons que <strong>la</strong> NASA a enregistrés dans les trous noirs <strong>de</strong> l’uni -<br />
vers. Pourquoi ?<br />
ROMEO CASTELLUCCI : C’est le son réel d’un trou noir super -<br />
massif, un <strong>de</strong>s plus grands <strong>de</strong> l’univers connu. C’est un<br />
document <strong>de</strong> <strong>la</strong> NASA, un objet trouvé, qui fonctionne<br />
comme une ouverture. C’est comme entrer dans l’esprit<br />
du spectacle à travers un trou noir, à travers quelque<br />
chose qui fait précipiter les choses et les fait disparaître<br />
– c’est une attention totalement différente à <strong>la</strong> réalité<br />
<strong>de</strong>s phénomènes. La lumière elle-même est absorbée, c’est<br />
un effondrement, une éclipse <strong>de</strong> lumière. La raison en<br />
est que l’esprit du travail est inscrit dans <strong>la</strong> philosophie<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> dissimu<strong>la</strong>tion. C’est <strong>la</strong> philosophie qui est <strong>la</strong> structure<br />
qui construit <strong>la</strong> portée dramatique <strong>de</strong> ce travail.<br />
Après cette ouverture, il y a une scène au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle<br />
les actrices, toutes <strong>de</strong>s femmes, se coupent <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue.<br />
Pourquoi ?<br />
R. C.: L’amputation est accomplie comme un acte <strong>de</strong> vo -<br />
lonté : couper <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, l’exclure. Le caractère extrême<br />
<strong>de</strong> ce geste semble être indispensable à <strong>la</strong> création <strong>de</strong> cette<br />
communauté. Les dix jeunes femmes se prennent par <strong>la</strong><br />
main et forment un cercle. Dans un <strong>de</strong>uxième temps,<br />
arrive le chien qui mange les morceaux <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngue abandonnés<br />
par terre. Dès lors, il est trop tard : on ne peut<br />
plus récupérer <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, elle est d’abord dénoncée<br />
comme une partie animale et, ensuite, elle doit retourner<br />
aux animaux. Le paradoxe sur lequel se fon<strong>de</strong> cette<br />
scène consiste dans le retour à <strong>la</strong> parole <strong>de</strong>s femmes<br />
mutilées. Mais désormais, elles le font avec une « autre<br />
<strong>la</strong>ngue », <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie qui n’a pas <strong>de</strong> rapport<br />
avec le réel. C’est <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> Höl<strong>de</strong>rlin – tirée <strong>de</strong> son<br />
drame La Mort d’Empédocle, un texte philosophique qui<br />
décrit le processus adopté par Empédocle pour disparaître.<br />
Le suici<strong>de</strong> qui est raconté n’est pas un suici<strong>de</strong><br />
existentiel : c’est un suici<strong>de</strong> <strong>de</strong> type esthétique, comme<br />
un enseignement, un geste accompli au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté<br />
et pour elle.<br />
5<br />
C’est un geste volontaire ?<br />
R. C.: Oui, c’est un geste volontaire : pour <strong>la</strong> vie.<br />
Ce désir <strong>de</strong> disparaître qui surgit constamment dans votre<br />
œuvre n’est pas une chose négative mais semble en revanche<br />
un acte héroïque. C’est bien ce<strong>la</strong> ?<br />
R. C.: Je ne sais pas s’il est héroïque, je ne sais pas non<br />
plus s’il s’agit d’un acte <strong>de</strong> résistance par rapport à ce<br />
mon<strong>de</strong>. Disons qu’il s’agit surtout d’une façon <strong>de</strong> concevoir<br />
l’art, <strong>de</strong> concevoir l’affirmation <strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> manière<br />
différente. Tout ce<strong>la</strong> est en re<strong>la</strong>tion avec Mark Rothko, le<br />
titre The Four Seasons est seulement une référence, une ré -<br />
férence lointaine mais précise. Rothko aussi avait ce problème.<br />
Il avait compris, au début <strong>de</strong>s années soixante et<br />
principalement aux États-Unis, qu’une conception <strong>de</strong>s<br />
images très proche <strong>de</strong> <strong>la</strong> consommation s’imposait peu<br />
à peu, une sorte <strong>de</strong> boulimie hystérique. Rothko a réagi<br />
à cette attitu<strong>de</strong> et a refusé que ses tableaux soient exposés<br />
dans ce célèbre restaurant. Le peintre a refusé l’idée <strong>de</strong><br />
consommation, <strong>de</strong> boulimie <strong>de</strong> marchandises. De <strong>la</strong> même<br />
manière et à <strong>la</strong> même époque, Andy Warhol se rend<br />
compte <strong>de</strong> cette nouvelle attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> société face aux<br />
images. À ceci près que Warhol a sauté dans le train en<br />
marche et dit : « Je vais faire encore plus. Je vais en faire<br />
mon affaire ». Aussi bien l’un que l’autre dépasse le problème<br />
du style et <strong>de</strong> l’artiste comme personne. Derrière,<br />
il n’y a personne, c’est du moins ce qui semble arriver.<br />
Mais cette critique <strong>de</strong> <strong>la</strong> boulimie d’images est-elle encore<br />
va<strong>la</strong>ble aujourd’hui ?<br />
R. C.: Le comportement <strong>de</strong> <strong>la</strong> société américaine <strong>de</strong> ces<br />
années-là se prolonge à l’évi<strong>de</strong>nce encore aujourd’hui,<br />
alors que nous sommes plongés dans un flux continu<br />
d’images toute <strong>la</strong> journée. Il s’agit d’images qui ne<br />
disent absolument rien, qui n’ont pas <strong>de</strong> signification<br />
profon<strong>de</strong> pour nous et qui n’ont rien à voir avec les actes<br />
<strong>de</strong> notre résistance. Alors, quelle est l’image juste ? Si<br />
nous <strong>de</strong>vons choisir, quel est le bon choix ? Culture<br />
aujourd’hui signifie choisir. Ce n’est pas une chose<br />
négative, ce noir, cette soustraction <strong>de</strong> couleur, les <strong>de</strong>rniers<br />
tableaux <strong>de</strong> Rothko sont presque noirs. Ce n’est<br />
pas un noir négatif, c’est un noir <strong>de</strong> commencement, du<br />
principe <strong>de</strong>s choses. Un noir qui promet un mon<strong>de</strong> à<br />
venir. Ce n’est pas le noir <strong>de</strong> l’Apocalypse, c’est le noir <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> Genèse.
Jusqu’à quel point peut-on croire dans les images ?<br />
Jusqu’à quel point une image peut-elle nous ai<strong>de</strong>r à<br />
nous libérer <strong>de</strong>s images ? Une image <strong>de</strong>vient une expérience,<br />
pas seulement quelque chose à voir. Rothko,<br />
Empédocle ou Höl<strong>de</strong>rlin échappent à l’image, <strong>la</strong>quelle<br />
<strong>de</strong>vient le fond d’une représentation d’elle-même, comme<br />
pure apparition. Cette fragile apparence <strong>de</strong>vient le miroir<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> condition existentielle du spectateur. Le spectateur<br />
est abandonné <strong>de</strong>vant une image. Cette solitu<strong>de</strong> est<br />
pourtant un bien précieux qui est partagé par les autres<br />
spectateurs.<br />
Rothko ne vou<strong>la</strong>it pas qu’on regar<strong>de</strong> ses tableaux <strong>de</strong> loin. Il<br />
vou<strong>la</strong>it que le spectateur s’approche pour être plongé dans<br />
<strong>la</strong> sensation <strong>de</strong> <strong>la</strong> couleur.<br />
R. C.: Dans un tableau <strong>de</strong> Rothko, pour moi, en un certain<br />
sens, il n’y a rien à voir. L’image nous libère <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
nécessité <strong>de</strong> voir. Ce qui compte, ce n’est pas l’image, ce<br />
n’est pas le spectateur, mais c’est une chose qui existe<br />
entre eux, c’est une troisième chose entre le spectateur et<br />
le tableau. C’est <strong>la</strong> rencontre, le contact, une expérience ;<br />
je peux donc affirmer que le tableau me regar<strong>de</strong>.<br />
Comme le tableau d’Antonello da Messina que vous aviez<br />
utilisé dans Sur le concept du visage du fils <strong>de</strong> Dieu. C’était<br />
un tableau énorme et qui regardait le spectateur.<br />
R. C.: Exactement. Ce tableau dit: « Je suis moi, œuvre<br />
d’art, moi, modèle, moi, peinture, moi, tableau, moi, spectacle,<br />
qui te regar<strong>de</strong>. Je te regar<strong>de</strong> et tu me regar<strong>de</strong>s. Si en<br />
revanche nous voyons le théâtre ou l’art comme un objet, il<br />
n’y a pas contact, il n’y a pas <strong>de</strong> drame. »<br />
Il n’y a pas <strong>de</strong> progression dramatique.<br />
Qu’est-ce que le drame pour vous ?<br />
R. C.: Le drame n’est pas seulement une forme d’antagonisme<br />
qui existerait entre <strong>de</strong>ux personnages sur <strong>la</strong> scène.<br />
Le drame est entre <strong>la</strong> scène et le spectateur. C’est ce<strong>la</strong> le<br />
sens du drame grec. Le drame est entre le citoyen et<br />
l’acteur. Et <strong>la</strong> critique est <strong>la</strong> scène <strong>de</strong> <strong>la</strong> crise. Ce n’est pas<br />
simple d’accepter cette confrontation dramatique : une<br />
image peut révéler <strong>de</strong>s choses désagréables. Ce<strong>la</strong> peut être<br />
difficile, ce<strong>la</strong> peut être insupportable lorsqu’il affronte<br />
certains arguments ou touche <strong>de</strong>s points sensibles.<br />
Même au prix d’un scandale, comme ce<strong>la</strong> a été le cas<br />
pour votre spectacle Sur le concept du visage du fils <strong>de</strong><br />
Dieu ? Vous aimez ces réactions fortes ou violentes ?<br />
R. C.: Je ne peux pas dire que je les aime mais il est juste<br />
qu’elles aient lieu. Je n’ai pas <strong>de</strong> contrôle sur ce<strong>la</strong> parce<br />
que ce n’est pas mon métier. Mais si ce<strong>la</strong> arrive, ce<strong>la</strong><br />
signifie qu’il y a eu une interrogation profon<strong>de</strong>, quelque<br />
chose a été touché.<br />
6<br />
Pensez-vous que ces réactions soient plus fortes au théâtre<br />
que dans les arts visuels ? Et pourquoi ?<br />
R. C.: Dans tous les domaines <strong>de</strong> l’expression, il y a toujours<br />
ce danger <strong>de</strong> tomber dans l’illustration, dans le<br />
figuratif, comme conso<strong>la</strong>tion stéréotypée et con<strong>de</strong>scendante<br />
envers le public. Il a y beaucoup <strong>de</strong> cinéma, beaucoup<br />
<strong>de</strong> théâtre, beaucoup <strong>de</strong> littérature qui n’est pas <strong>de</strong><br />
l’art mais <strong>de</strong> <strong>la</strong> pure illustration. La nature profon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l’art est l’hérésie. Il y a toujours une déchirure. C’est ce<strong>la</strong><br />
le scandale <strong>de</strong> l’art – skandalon au sens grec – si on<br />
marche sur une route, qu’il y a une pierre, un obstacle<br />
et qu’on perd l’équilibre pendant un instant.<br />
C’est ce<strong>la</strong> le skandalon. Quelque chose qui oblige à changer<br />
<strong>de</strong> parcours. Je vois un cœur hérétique dans l’art<br />
occi<strong>de</strong>ntal et les grands artistes ont été <strong>de</strong>s hérétiques.<br />
L’idée <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie grecque a été centrale pour <strong>de</strong>s artistes<br />
comme Rothko, ou Höl<strong>de</strong>rlin ou vous-même. Pourquoi ?<br />
R. C.: Pour moi, <strong>la</strong> tragédie grecque n’est pas quelque<br />
chose qui appartient au passé mais c’est l’étoile po<strong>la</strong>ire,<br />
le point fixe nécessaire pour s’orienter. Il n’y a rien <strong>de</strong><br />
plus beau, <strong>de</strong> plus fort, <strong>de</strong> plus scandaleux, <strong>de</strong> plus<br />
hérétique qu’une tragédie grecque. C’est le modèle<br />
absolu <strong>de</strong> l’esthétique et <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie occi<strong>de</strong>ntale.<br />
Il y a beaucoup <strong>de</strong> choses à <strong>la</strong> fois. La force <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie<br />
grecque ne consiste pas à montrer une chose tragique,<br />
c’est le regard qui rend tout tragique. Le regard<br />
qui <strong>de</strong>vient tragique. Stratégique.<br />
Parlons <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté : <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> Höl<strong>de</strong>rlin est très belle<br />
mais c’est aussi un texte difficile…<br />
R. C.: La poésie <strong>de</strong> Höl<strong>de</strong>rlin peut être – et elle l’est au -<br />
jourd’hui – un geste transgressif. Elle est violente, <strong>de</strong><br />
cette violence capable <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>s idées comme<br />
quelque chose d’hérétique. C’est le contraire <strong>de</strong> l’équilibre,<br />
il n’y a rien d’équilibré dans sa poésie. Il en résulte un<br />
geste politiquement radical, une attitu<strong>de</strong> « hard core ».<br />
Derrière cette faça<strong>de</strong> parfaite, il y a <strong>de</strong> nombreuses contradictions.<br />
Par exemple on ne peut pas, socialement par<strong>la</strong>nt,<br />
accepter une idée comme le suici<strong>de</strong>. C’est <strong>la</strong> rupture<br />
définitive du contrat social : on ne peut pas se suici<strong>de</strong>r.<br />
Höl<strong>de</strong>rlin confirme, avec une incroyable beauté<br />
formelle, tout ce qu’il veut, même les idées les plus<br />
anarchiques, parce qu’il est protégé par cette beauté qui<br />
<strong>de</strong>vient arme, exosquelette armé qui peut être dangereux.<br />
Je trouve que <strong>la</strong> beauté <strong>de</strong> Höl<strong>de</strong>rlin consiste précisément<br />
dans ce danger. Travailler avec Höl<strong>de</strong>rlin, c’est<br />
comme manipuler <strong>de</strong> <strong>la</strong> dynamite. Elle peut exploser<br />
dans vos mains.
© Raynaud De Lage<br />
La rupture du contrat social est aussi présente dans le récit<br />
Le Voile noir du Pasteur <strong>de</strong> Hawthorne, qui donnait son titre<br />
à l’étape précé<strong>de</strong>nte. Qu’est-ce que signifie ce récit pour<br />
vous ?<br />
R. C.: Il y a divers sujets : Höl<strong>de</strong>rlin, Rothko, Hawthorne,<br />
le trou noir. Mais tous ceux-ci sont dotés d’une structure.<br />
Plusieurs noms, plusieurs sujets et une structure<br />
qui prend forme en une sorte <strong>de</strong> constel<strong>la</strong>tion. Tout ce<strong>la</strong><br />
parle <strong>de</strong> <strong>la</strong> même chose. Il s’agit d’une rencontre fortuite,<br />
d’une révé<strong>la</strong>tion, mais c’est aussi peut-être parce<br />
que, en ce moment, je suis attiré par un certain type <strong>de</strong><br />
philosophie <strong>de</strong> l’image. Tout est né <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture du récit<br />
Le Voile noir du Pasteur <strong>de</strong> Hawthorne. Un récit d’une<br />
puissance absolue. C’est une brève nouvelle, mais il y a<br />
quelque chose en elle qui est capable <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r dans<br />
les yeux notre époque.<br />
Le pasteur déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne plus <strong>la</strong>isser voir son visage. Le<br />
geste encore plus radical serait <strong>de</strong> ne plus rien faire, <strong>de</strong><br />
ne plus travailler, comme fait Bartleby le scribe, le personnage<br />
du récit <strong>de</strong> Herman Melville.<br />
C’est un paradoxe dont Hofmannsthal et Rimbaud ont<br />
parlé. Ce choix du non-dire, du non-faire, il faut qu’il<br />
s’exprime à travers le dire et le faire et c’est là qu’est <strong>la</strong><br />
contradiction. De même lorsque Mark Rothko détache<br />
ses toiles <strong>de</strong>s murs du restaurant Four Seasons, le geste<br />
d’enlever <strong>de</strong>vient un geste esthétique. Il a fait quelque<br />
chose.<br />
7<br />
Ce<strong>la</strong> vaut aussi pour votre théâtre. Vous parlez <strong>de</strong> trou noir<br />
et montrez <strong>de</strong>s images grandioses…<br />
R. C.: Il faut trouver une image pour exprimer l’idée du<br />
manque d’image. Un autre philosophe allemand, Franz<br />
Rosenzweig, dans Der Stern <strong>de</strong>r Erlösung, parle <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
tragédie grecque et dit quelque chose que je trouve<br />
magnifique. Il dit que <strong>la</strong> tragédie grecque est « l’art du<br />
silence ». Et <strong>la</strong> chose extraordinaire, c’est que le héros<br />
tragique en par<strong>la</strong>nt, produit le silence. Le héros <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
tragédie <strong>de</strong> Höl<strong>de</strong>rlin, Empédocle, veut atteindre le zéro,<br />
le néant. Mais ce zéro n’est pas le zéro zen. C’est une<br />
zéro conflictuel, un zéro à haute <strong>de</strong>nsité dramatique.<br />
Vous aviez commencé à monter Le Voile noir du Pasteur et<br />
puis vous l’avez abandonné. Pourquoi ?<br />
R. C.: Je n’étais pas satisfait <strong>de</strong> <strong>la</strong> forme. Je crois que le<br />
sujet d’Hawthorne est très <strong>de</strong>nse et qu’on ne peut pas<br />
l’affronter directement. Mais ce n’est pas fini. Je pense<br />
que je reviendrai à ce récit. Il m’a totalement envahi, il<br />
me possè<strong>de</strong>.<br />
Duisburg, 15 août 2012<br />
Copyright Berliner Festspiele/Foreign Affairs
© X. DR<br />
EMPÉDOCLE<br />
Philosophe présocratique <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Pythagore et mé<strong>de</strong>cin. Personnage excentrique,<br />
figure politique et ar<strong>de</strong>nt défenseur <strong>de</strong> <strong>la</strong> démocratie, il fut banni d’Agrigente, sa ville<br />
natale. Il termina sa vie dans le Péloponnèse.<br />
Selon <strong>la</strong> légen<strong>de</strong>, il aurait remporté une victoire aux jeux olympiques et se serait jeté<br />
dans les cratères <strong>de</strong> l’Etna <strong>la</strong>issant au bord une <strong>de</strong> ses chaussures comme preuve <strong>de</strong><br />
sa mort. D’après une autre version, il erra une nuit aux alentours <strong>de</strong> l’Etna et disparut<br />
à jamais. À l’aube, le volcan vomit ses sandales <strong>de</strong> bronze. Ainsi, selon Lacan, il « <strong>la</strong>isse<br />
à jamais présent dans <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong>s hommes cet acte symbolique <strong>de</strong> son être pour <strong>la</strong><br />
mort. » (Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 320).<br />
Empédocle s’est montré capable dune action « unique et formidable » (Deleuze),<br />
« trop gran<strong>de</strong> pour lui » : il se précipite dans le chaos pour que <strong>de</strong> son moi se dissolvant<br />
naisse un mon<strong>de</strong> nouveau. « Car c’est mourir que je veux. C’est mon droit. », fait<br />
dire Höl<strong>de</strong>lin à Empédocle dont <strong>la</strong> chute volontaire dans l’Etna, telle qu’en elle : « La<br />
pesanteur tombe, tombe, et <strong>la</strong> vie, Ether limpi<strong>de</strong>, s’épanouit par-<strong>de</strong>ssus. » (Höl<strong>de</strong>rlin,<br />
Empédocle, troisième version, dans œuvres, trad. fr. R. Rovini, Paris Gallimard, 1967, p. 573, cité par J.-C. Goddard, Violence<br />
et subjectivité. Derrida, Deleuze et Maldimey, Paris, J. Vrin, « Moments philosophiques », 2008, p.14)<br />
L’obsession d’Empédocle pour le feu <strong>de</strong> l’Etna a donné naissance<br />
en psychanalyse au « complexe d’Empédocle ».<br />
Bache<strong>la</strong>rd met cette attirance du feu en rapport avec <strong>la</strong><br />
rêverie éveillée <strong>de</strong>vant le feu, phénomène observé universellement<br />
chez les humains : « Elle amplifie le <strong>de</strong>stin<br />
humain ; elle relie le petit au grand, le foyer au volcan, <strong>la</strong> vie<br />
d’une bûche et <strong>la</strong> vie d’un mon<strong>de</strong>. L’être fasciné entend l’appel<br />
du bûcher. Pour lui <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction est plus qu’un changement,<br />
c’est un renouvellement. Cette rêverie très spéciale et<br />
pourtant très générale détermine un véritable complexe où<br />
s’unissent l’amour et le respect du feu, l’instinct <strong>de</strong> vivre et<br />
l’instinct <strong>de</strong> mourir ». (Gaston Bache<strong>la</strong>rd, La Psychanalyse<br />
du feu, Paris, Gallimard, 1949)<br />
Empédocle semble avoir cru dans <strong>la</strong> métempsycose permettant aux âmes l’expiation <strong>de</strong>s « Si jamais l’une <strong>de</strong>s âmes a<br />
souillé criminellement ses mains <strong>de</strong> sang, ou a suivi <strong>la</strong> haine et s’est parjurée, elle doit errer trois fois dix mille ans loin<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>meures <strong>de</strong>s bienheureux, naissant dans le cours du temps sous toutes sortes <strong>de</strong> formes mortelles, et changeant un<br />
pénible sentier <strong>de</strong> vie contre un autre. »<br />
8<br />
http://174.142.61.76/thematiques/mort.nsf/Documents/Empedocle
FRIEDRICH HÖLDERLIN<br />
© Wikimedia Commons<br />
9<br />
Né le 20 Mars 1770 à Lauffen, mort le 7 Juin 1843 à<br />
Tübingen.<br />
Élevé pieusement par sa mère, Friedrich Höl<strong>de</strong>rlin entre à<br />
dix-huit ans au séminaire pour étudier <strong>la</strong> théologie où il a<br />
pour camara<strong>de</strong> Hegel et Schelling. D’un caractère sensible,<br />
tourmenté et mystique, il s’oriente vers <strong>la</strong> poésie qu’il conçoit<br />
comme un hymne et un chant.<br />
En 1796, grâce à Hegel, il trouve un emploi <strong>de</strong> précepteur,<br />
mais tombe amoureux <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère <strong>de</strong> son élève, qu’il décrira<br />
dans ses poèmes sous le nom <strong>de</strong> Diotima. Il quitte cet<br />
emploi, ébranlé par son amour malheureux. Dès lors, <strong>de</strong><br />
plus en plus inquiet et solitaire, à <strong>la</strong> recherche d’une communion<br />
extatique avec le divin, Höl<strong>de</strong>rlin sombre lentement<br />
dans <strong>la</strong> folie. Il est interné en 1806 dans une clinique, puis<br />
accueilli par un menuisier, il vécut dans une tour qui donne<br />
sur le Neckar.<br />
ŒUVRES PRINCIPALES<br />
→ Hypérion (1797)<br />
→ La Mort d’Empédocle (1798)<br />
→ Hymnes (1796-1804)<br />
→ Remarques sur Sophocle (1804)<br />
« »<br />
Que sont toutes les actions et les pensées<br />
<strong>de</strong>s hommes durant <strong>de</strong>s siècles<br />
contre un seul instant <strong>de</strong> l’amour ?<br />
Nous ne sommes rien.<br />
Ce que nous cherchons est tout.<br />
Sauvage est <strong>la</strong> proximité du sacré.<br />
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MARK ROTHKO<br />
LES PREMIÈRES ANNÉES<br />
ET LE GROUPE<br />
DES "DIX"<br />
Arrivé aux États-Unis en<br />
1913, Mark Rothko a fait<br />
ses étu<strong>de</strong>s à l’Université <strong>de</strong><br />
Yale avant <strong>de</strong> suivre les<br />
cours <strong>de</strong> Max Weber à l’Art<br />
Stu<strong>de</strong>nts League <strong>de</strong> New<br />
York à partir <strong>de</strong> 1925. Il<br />
apprend beaucoup <strong>de</strong> ses<br />
visites <strong>de</strong>s musées et <strong>de</strong> ses<br />
ren contres avec d’autres<br />
artistes. En 1929 il obtient<br />
un poste d’enseignant d’art<br />
à <strong>la</strong> Center Aca<strong>de</strong>my <strong>de</strong><br />
Brooklyn. C’est aussi l’année<br />
où ses toiles sont exposées<br />
pour <strong>la</strong> première fois<br />
dans une galerie. Rothko<br />
peint alors <strong>de</strong>s paysages,<br />
<strong>de</strong>s portraits et <strong>de</strong>s nus. Sa<br />
première exposition personnelle<br />
date <strong>de</strong> 1933. En<br />
1935, Rothko fon<strong>de</strong> entre<br />
autres avec Adolph Gottlieb<br />
le Groupe <strong>de</strong>s “Dix” (The<br />
Ten). Influencés par l’Expres -<br />
sionnisme, ils s’opposent<br />
au Conservatisme et organi -<br />
seront plusieurs expositions<br />
y compris en Europe.<br />
10<br />
DU SURRÉALISME À L’ABSTRACTION<br />
À partir <strong>de</strong>s années 1940, Rothko se rapproche du surréalisme européen en fréquentant notamment <strong>la</strong> galerie “Art of<br />
This Century” tenue par Peggy Guggenheim. C’est là que seront exposées les toiles les plus surréalistes <strong>de</strong> Rothko.<br />
Influencé alors par Max Ernst, André Masson ou encore Arshile Gorky, il peint <strong>de</strong>s toiles très inspirées par <strong>la</strong> mythologie<br />
et les symboles. Vers 1947-1948, ses toiles jusque-là encore figuratives basculent vers l’abstraction. Les formes sont<br />
moins définies et <strong>de</strong>viennent floues. Peu à peu les seules formes représentées <strong>de</strong>viennent géométriques ; <strong>de</strong>s rectangles<br />
<strong>de</strong> couleurs différentes qui annoncent les toiles qui rendront Mark Rothko célèbre.<br />
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11<br />
LA COULEUR COMME MOYEN D’EXPRESSION<br />
À partir <strong>de</strong> 1950, les tableaux <strong>de</strong> Rothko vont prendre <strong>de</strong>s dimensions considérables. Leur composition en <strong>de</strong>ux ou trois<br />
rectangles <strong>de</strong> couleur est caractéristique <strong>de</strong> l’œuvre <strong>de</strong> Rothko. En jouant sur l’épaisseur <strong>de</strong>s couches <strong>de</strong> peinture, il fait<br />
varier le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> luminosité <strong>de</strong> ses tableaux, ce qui avec <strong>la</strong> variété <strong>de</strong>s couleurs utilisées, lui permet <strong>de</strong> suggérer une multitu<strong>de</strong><br />
d’atmosphères et d’humeurs. On peut rapprocher le style <strong>de</strong> Rothko <strong>de</strong> <strong>la</strong> technique dite du “Color field painting”<br />
(champ <strong>de</strong> couleur) bien que Rothko ait toujours refusé d’y être apparenté, tout comme il refusait d’être c<strong>la</strong>ssé parmi les<br />
expressionnistes abstraits.<br />
Au fil <strong>de</strong>s années, <strong>la</strong> peinture <strong>de</strong> Mark Rothko s’assombrit. En 1958, il réalise <strong>de</strong>s fresques murales pour le restaurant<br />
Four Seasons à New York. De 1964 à 1967, il réalise une série <strong>de</strong> 14 peintures pour <strong>la</strong> chapelle qui portera son nom : The<br />
Rothko Chapel. Souffrant d’un cancer, il se suici<strong>de</strong> en 1970.<br />
ŒUVRES<br />
Orange and Yellow, 1956<br />
Red, white and brown, 1957<br />
B<strong>la</strong>ck on Maroon, 1958<br />
En 1958, les architectes <strong>de</strong> <strong>la</strong> toute nouvelle tour<br />
Seagram avaient commandé ces tableaux pouvant<br />
mesurer jusqu’à 2,66 m sur 4,57 m pour décorer les<br />
murs du luxueux restaurant Four Seasons<br />
au rez-<strong>de</strong>-chaussée <strong>de</strong> ce gratte-ciel situé au cœur<br />
<strong>de</strong> Manhattan. Mais Rothko, pour une raison qui reste<br />
toujours mystérieuse, avait finalement décidé d’annuler<br />
cette comman<strong>de</strong>, avait restitué les sommes perçues<br />
et avait fait don, notamment à <strong>la</strong> Tate, <strong>de</strong>s toiles<br />
déjà réalisées. Les œuvres offertes étaient arrivées<br />
à Londres le 25 février 1970, le jour-même où l’artiste,<br />
alors âgé <strong>de</strong> 66 ans, s’est suicidé. La Tate détient,<br />
avec le MoMA (Museum of Mo<strong>de</strong>rn Art) <strong>de</strong> New York,<br />
le plus grand nombre d’œuvres <strong>de</strong> Rothko.<br />
http://www.nouvellesimages.fr/Mark-Rothko_id~artistes_aut~AUT001812<br />
© X. DR
© X. DR<br />
ROMEO CASTELLUCCI<br />
12<br />
En quelques années, le nom <strong>de</strong> Romeo Castellucci s’est<br />
imposé comme l’une <strong>de</strong>s références <strong>de</strong> l’art théâtral euro -<br />
péen. C’est en 1981 qu’il fon<strong>de</strong> <strong>la</strong> Socìetas Raffaello Sanzio,<br />
une compagnie basée à Cesena (Émilie-Romagne), consi -<br />
dérée comme « expérimentale » dans l’Italie <strong>de</strong>s années<br />
90. Sous sa signature, déclinée à <strong>la</strong> mise en scène, à <strong>la</strong><br />
scénographie, à l’adaptation, aux lumières et aux costumes,<br />
l’ancien diplômé <strong>de</strong>s Beaux-Arts <strong>de</strong> Bologne n’a<br />
cessé <strong>de</strong> passer <strong>la</strong> scène au crible <strong>de</strong> références picturales<br />
entre passé et présent, <strong>de</strong> Piero <strong>de</strong>l<strong>la</strong> Francesca à Warhol,<br />
ou, cette année, Antonello da Messina à Manzoni.<br />
L’étonnante p<strong>la</strong>sticité <strong>de</strong> ses images, <strong>la</strong> sobriété <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence<br />
humaine ou animale, <strong>la</strong> rigueur <strong>de</strong>s gestes et dép<strong>la</strong>cements,<br />
l’importance du texte projeté ou murmuré, <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce occupée<br />
par <strong>de</strong>s machineries <strong>de</strong> type nouveau, l’ampleur <strong>de</strong> l’inves -<br />
tissement sonore (due à son association avec Scott Gibbons)<br />
montrent <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong> Romeo Castellucci d’absorber tous<br />
les <strong>la</strong>ngages au service du théâtre.<br />
Nourri d’une italianité profon<strong>de</strong>, enraciné dans l’enfance,<br />
dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>la</strong>tine et le théâtre grec, puisant dans <strong>la</strong> linguistique<br />
et les recherches expérimentales, dans <strong>la</strong> philosophie<br />
et <strong>la</strong> théologie, son travail donne corps à une expérience<br />
intérieure au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle le verbe vacille. Les pièces<br />
qu’il crée forment un seul faisceau <strong>de</strong> paraboles dont le<br />
décryptage est livré à l’imagination du spectateur. Au<br />
Festival d’Avignon, Romeo Castellucci vient pour <strong>la</strong> première<br />
fois en 1998 avec Giulio Cesare d’après Shakespeare.<br />
Suivent Voyage au bout <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, un « concerto » d’après<br />
Céline, en 1999, et Genesi, en 2000.<br />
Par <strong>la</strong> suite, le Festival accueille <strong>la</strong> Tragedia Endogonidia avec A.#02 Avignon en 2001, avant <strong>de</strong> diffuser les épiso<strong>de</strong>s B.#03<br />
Berlin et BR.#04 Bruxelles en 2005, tout en déployant ses Crescite XII et XIII.<br />
En 2007, Romeo Castellucci présente Hey Girl ! avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir, aux côtés <strong>de</strong> Valérie Dréville, l’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux artistes associés<br />
<strong>de</strong> l’édition 2008 et <strong>de</strong> créer trois pièces inspirées par La Divine comédie <strong>de</strong> Dante : Inferno, Purgatorio et Paradiso.<br />
La même année, il crée une performance, Storia <strong>de</strong>ll’Africa contemporanea vol. 3 et en 2011, Sur le concept du visage du<br />
fils <strong>de</strong> Dieu, présenté au Festival d’Avignon 2011, puis à l’automne au <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Ville</strong>-Paris.<br />
Jean-Louis Perrier pour le Festival d’Avignon 2011
© Berthelot<br />
→ À ÉCOUTER cliquez sur l’adresse suivante :<br />
http://www.franceinter.fr/emission-le-grand-journal-<strong>de</strong>s-festivals-the-four-season-restaurant<br />
13
EMPÉDOCLE<br />
Elles parleront à ma p<strong>la</strong>ce quand je serai loin<br />
les fleurs du ciel, astres fleuris<br />
et celles qui par milliers bourgeonnent <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre,<br />
<strong>la</strong> Nature divinement présente<br />
n’a pas besoin <strong>de</strong> discours ; et jamais plus<br />
elle ne vous <strong>la</strong>issera solitaires, où Une fois<br />
elle vous aura approchés,<br />
car ineffable est son instant ;<br />
et victorieux œuvre à travers tous les temps<br />
en animant vers le bas, son feu céleste.<br />
Quand alors les heureux jours <strong>de</strong> Saturne,<br />
les nouveaux, plus virils, seront venus,<br />
alors pensez au temps passé, alors que revive<br />
réchauffé par le génie le dire <strong>de</strong>s pères !<br />
Que monte à <strong>la</strong> fête, comme s’élevant<br />
du chant <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière printanière, le mon<strong>de</strong><br />
oublié <strong>de</strong>s héros hors du royaume <strong>de</strong>s ombres,<br />
et qu’avec le doré nuage d’affliction se dépose<br />
le souvenir, vous joyeux, autour <strong>de</strong> vous –<br />
Ils étaient !<br />
La Mort d’Empédocle, F. Höl<strong>de</strong>rlin, Éd. Ombres, 1987