Pratiques langagières de jeunes urbains : peut-on parler de «parler» ?

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28.06.2013 Views

chez les garçons, sans que cette intensité ne s’accompagne d’une plus granong>deong> diversité lexicale, puisque les filles utilisent aussi ces mêmes lexies, mais moins fréquemment. Enfin, ces analyses, à la fois ong>deong>s usages eux-mêmes et ong>deong> la façon dont les locuteurs/trices les appréhenong>deong>nt, tenong>deong>nt à montrer que certaines filles ong>deong>s cités jouent un rôle prépondérant dans la diffusion ong>deong> traits initiés ou réactivés par les garçons, traits qu’elles jugent acceptables, pour être exportés hors ong>deong> leur réseau le plus local. Ainsi, l’étuong>deong> ong>deong> Maillochon (2003) sur les premières relations amoureuses adolescentes dans les cités montre que les filles ont un environnement plus mixte que celui ong>deong>s garçons d’une part, et que, d’autre part, les relations amoureuses affectent davantage les réseaux féminins que les réseaux masculins. Ce sont généralement les filles qui intègrent le réseau relationnel du garçon fréquenté, ce que la sociologue dénomme le «nomadisme relationnel» (dont on ong>peutong> penser qu’il n’est pas exclusif ong>deong> ces milieux sociaux). Et comme les relations amoureuses sont particulièrement labiles à cet âge, les filles étenong>deong>nt leurs liens sociaux en entrant en contact avec différents réseaux masculins 12 . Les réseaux féminins étant, comme le montrent les travaux ong>deong> Rubi (2003), plus vastes que ceux ong>deong>s garçons, moins ancrés uniquement dans le quartier d’habitation et plus perméables aux autres pairs fréquentant l’école, les filles sont donc à même ong>deong> diffuser certains traits qu’elles (et les «adopteurs») jugent socialement acceptables, c’est-à-dire non stigmatisés. Ce constat rejoint le point ong>deong> vue ong>deong> Labov (2001) selon qui les changements linguistiques par le bas seraient diffusés par ong>deong>s locutrices qui côtoient ong>deong>s réseaux fermés masculins (ong>deong>nses et multiplexes) tout en développant ong>deong>s liens hors ong>deong> ceux-ci 13 . 12 Le contrôle ong>deong>s fréquentations féminines oblige les filles à développer ong>deong>s relations amoureuses hors ong>deong> la sphère relationnelle la plus surveillée, ce qui est sans doute un facteur ong>deong> diffusion exogroupale ong>deong> traits langagiers. 13 Labov nomme ce type ong>deong> locutrices «expanong>deong>d centrality», ce que Jamin & Trimaille (à par.) traduisent par «centralité élargie».

4. Conclusion Il semble que le constat ong>deong> Conein & Gaong>deong>t (1998) reste aujourd’hui d’actualité : peu ong>deong> phénomènes nouveaux se manifestent dans le(s) PJ, hormis dans les fréquences ong>deong> certains traits (phonétiques, lexicaux, mais aussi l’intégration d’éléments allogènes) et ong>peutong>-être aussi dans les modalités d’interaction. Ce qui ong>peutong> sembler nouveau ou nouvellement mis en éviong>deong>nce, résiong>deong> ong>peutong>-être dans les phénomènes ong>deong> refonctionnalisation. Refonctionnalisation touchant à la fois les plans linguistique et social – inextricablement imbriqués et donc proprement sociolinguistiques – par exemple grâce aux recatégorisations pragmatico-sémantique que nous n’avons fait qu’entrevoir ici. L’imbrication entre pratiques ong>langagièresong> et dynamiques iong>deong>ntitaires (individuelles et collectives) ong>deong>meure délicate à saisir avec ong>deong>s outils soit très «macro» soit très «micro». Peut-être l’introduction d’une notion comme «communauté ong>deong> pratiques» permet-elle d’appréhenong>deong>r les relations réciproques et imbriquées entre individus, réseaux sociaux à base locale et groupes plus abstraits (par exemple en terme ong>deong> «classe sociale»). En effet, parmi les activités conjointes qui fonong>deong>nt toute «communauté ong>deong> pratiques 14 », figure en bonne place une « façon ong>deong> parler », un «speech style» (Hymes, 1972) selon Eckert (2000), qui touche non seulement les différents niveaux d’analyse linguistique, mais aussi les moong>deong>s d’interaction (tonalité, conduites non-verbales, etc.) et les orientations discursives, et qui, ce faisant, construit et marque l’appartenance ong>deong>s membres à cette communauté. Tout sujet appartenant à plusieurs communautés ong>deong> pratiques, son répertoire verbal est constitué ong>deong> diverses façons ong>deong> parlers qui se recoupent plus ou moins en fonction ong>deong>s caractéristiques ong>deong> son réseau social. La ong>deong>scription en termes ong>deong> PJ, variété «à part» et figée, parlée par ong>deong>s locuteurs «monostyles», ne serait 14 Entendue, selon Eckert (2000:35), comme «an aggregate of people who come together around some enterprise. United by these common enterprise, people come to ong>deong>velop and share ways of doing things, ways of talking, beliefs, values – in short, practices – as a function of their joint engagement in activity».

4. C<strong>on</strong>clusi<strong>on</strong><br />

Il semble que le c<strong>on</strong>stat <str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g> C<strong>on</strong>ein & Ga<str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g>t (1998) reste aujourd’hui<br />

d’actualité : peu <str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g> phénomènes nouveaux se manifestent dans le(s) PJ,<br />

hormis dans les fréquences <str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g> certains traits (ph<strong>on</strong>étiques, lexicaux, mais<br />

aussi l’intégrati<strong>on</strong> d’éléments allogènes) et <str<strong>on</strong>g>peut</str<strong>on</strong>g>-être aussi dans les<br />

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Ce qui <str<strong>on</strong>g>peut</str<strong>on</strong>g> sembler nouveau ou nouvellement mis en évi<str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g>nce,<br />

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inextricablement imbriqués et d<strong>on</strong>c proprement sociolinguistiques – par<br />

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n’av<strong>on</strong>s fait qu’entrevoir ici.<br />

L’imbricati<strong>on</strong> entre pratiques <str<strong>on</strong>g>langagières</str<strong>on</strong>g> et dynamiques i<str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g>ntitaires<br />

(individuelles et collectives) <str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g>meure délicate à saisir avec <str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g>s outils soit<br />

très «macro» soit très «micro». Peut-être l’introducti<strong>on</strong> d’une noti<strong>on</strong><br />

comme «communauté <str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g> pratiques» permet-elle d’appréhen<str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g>r les<br />

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base locale et groupes plus abstraits (par exemple en terme <str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g> «classe<br />

sociale»).<br />

En effet, parmi les activités c<strong>on</strong>jointes qui f<strong>on</strong><str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g>nt toute<br />

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touche n<strong>on</strong> seulement les différents niveaux d’analyse linguistique, mais<br />

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les orientati<strong>on</strong>s discursives, et qui, ce faisant, c<strong>on</strong>struit et marque<br />

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14 Entendue, sel<strong>on</strong> Eckert (2000:35), comme «an aggregate of people who come together<br />

around some enterprise. United by these comm<strong>on</strong> enterprise, people come to <str<strong>on</strong>g>de</str<strong>on</strong>g>velop<br />

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as a functi<strong>on</strong> of their joint engagement in activity».

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