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Novembre - Nervure Journal de Psychiatrie

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N°8 - TOME XX - NOVEMBRE 2007<br />

Napoléon, bien sûr, jalonneront notre<br />

texte, et donneront l’accent <strong>de</strong> vérité<br />

nécessaire pour appréhen<strong>de</strong>r ce qui<br />

fait le particulier, le singulier même, <strong>de</strong><br />

Napoléon Bonaparte. L’on évoque souvent<br />

le dictateur, le <strong>de</strong>spote, le tyran,<br />

l’homme assoiffé <strong>de</strong> puissance, <strong>de</strong> victoires,<br />

l’extension toujours plus gran<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> son pouvoir et <strong>de</strong>s frontières <strong>de</strong><br />

son Empire, son mépris pour la vie<br />

humaine, en un mot le versant « froid »<br />

et « mégalomaniaque » <strong>de</strong> Napoléon.<br />

On ne peut, certes, passer outre ces<br />

traits qui le caractérisent, mais qui le<br />

caractérisent, comme <strong>de</strong> bien entendu,<br />

en partie. De là à en faire un mégalomaniaque,<br />

au sens psychiatrique du<br />

terme, il n’y aurait qu’un pas, mais un<br />

faux-pas. A cet égard, nous ne pouvons<br />

qu’abon<strong>de</strong>r dans le sens <strong>de</strong><br />

T. Lentz qui écrit que « les guerres qu’il<br />

conduisit et, parfois, déclencha, n’avaient<br />

pas pour but <strong>de</strong> satisfaire on ne sait quel<br />

dérèglement psychologique ou hormonal<br />

» (30)... Nous le verrons, il n’y a<br />

aucun « pathos » du côté <strong>de</strong> Napoléon,<br />

il n’y a pas <strong>de</strong> délire <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur, au<br />

sens où l’entend la psychiatrie. Napoléon<br />

n’était ni mégalomaniaque, ni psychopathe,<br />

ni fou. Non, Bonaparte a pu<br />

<strong>de</strong>venir Napoléon, l’Empereur <strong>de</strong>s Français,<br />

qu’en se saisissant avec une intelligence<br />

rare <strong>de</strong>s événements politiques<br />

<strong>de</strong> l’époque. Il avait, à cet égard, un<br />

point <strong>de</strong> vue tranché : « ceux qui ne<br />

savent pas se servir <strong>de</strong>s circonstances,<br />

disait-il, sont <strong>de</strong>s niais ». Ce qui l’a<br />

amené à atteindre cette place <strong>de</strong><br />

« <strong>de</strong>mi-Dieu » <strong>de</strong> son vivant, ce n’est<br />

donc certainement pas une quelconque<br />

La part obscure <strong>de</strong> nousmêmes<br />

Une histoire <strong>de</strong>s pervers<br />

Elisabeth Roudinesco<br />

Bibliothèque Idées<br />

Albin Michel, 18 €<br />

Inutile <strong>de</strong> débuter la lecture <strong>de</strong> cet<br />

ouvrage crayon en mains pour en<br />

souligner les passages importants, il<br />

finira entièrement noirci. Le titre est<br />

magnifique et doit tous nous interroger.<br />

Il traite <strong>de</strong> la perversion en prenant<br />

appui sur l’apport crucial <strong>de</strong><br />

Freud quand il estima « la perversion<br />

nécessaire à la civilisation en tant que<br />

part maudite <strong>de</strong>s sociétés et part obscure<br />

<strong>de</strong> nous-mêmes » ; mettant ainsi<br />

en avant que c’est l’accès à la culture<br />

qui « permet d’arracher l’humanité à<br />

sa propre pulsion d’anéantissement ».<br />

Réactualiser les étu<strong>de</strong>s sur la perversion<br />

est une nécessité car il s’agit<br />

d’une matière mouvante en permanence.<br />

On se souvient du livre <strong>de</strong> Marie-Laure<br />

Susini : « L’auteur du crime<br />

pervers » (1). E. Roudinesco revisite<br />

Sa<strong>de</strong>, Sacher Masoch aussi bien sur,<br />

avec <strong>de</strong>s plongeons vers la Grèce Antique<br />

et <strong>de</strong>s explorations vers Foucault.<br />

Elle nous explique que rien ne<br />

peut être compris à notre mon<strong>de</strong> actuel<br />

sans une perspective historique.<br />

Ainsi, on saisit comment, au fil du<br />

temps, on passe <strong>de</strong> l’enfant masturbateur<br />

à la sexualité dangereuse, à<br />

la femme hystérique, jusqu’à l’homosexuel<br />

- bref tout ce qui n’avait<br />

pas la procréation comme objet. Mais<br />

la politique n’est jamais loin. C’est<br />

ainsi qu’est évoqué Dorian Gray dont<br />

le portrait secret comporte tous les<br />

stigmates <strong>de</strong> la perversion vécue par<br />

le héros qui conserve face au mon<strong>de</strong><br />

ses traits <strong>de</strong> beauté éclatante et d’éternelle<br />

jeunesse. On pourrait ainsi traverser<br />

la littérature wildienne jusqu’à<br />

une réalité la plus effrayante d’un<br />

Adolph Eichmann responsable <strong>de</strong> l’élimination<br />

<strong>de</strong> plusieurs millions <strong>de</strong> juifs,<br />

un être si « affreusement normal » (ni<br />

psychopathe, ni pervers sexuel, ni sadique<br />

... ) qui avait inversé la Loi faisant<br />

du crime une norme, <strong>de</strong>venant<br />

un véritable génocidaire sans éprouver<br />

la moindre culpabilité. Pire encore<br />

si cela est possible, Höss, commandant<br />

d’Auschwitz entre 1940 et<br />

1943, inventeur <strong>de</strong> l’efficace gaz d’ex-<br />

Napoléon n’était pas fou<br />

et irrésistible dimension pulsionnelle<br />

ou encore une « folie <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs »<br />

animée par une idéologie que d’aucuns<br />

pourraient lui prêter. Pour en<br />

rendre compte, à travers les événements<br />

<strong>de</strong> l’époque, nous allons donc<br />

ainsi tenter <strong>de</strong> nous approcher au plus<br />

près <strong>de</strong>s dits et <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> l’homme<br />

Napoléon, lesquels <strong>de</strong>vraient pouvoir<br />

mettre en lumière la « normalité » <strong>de</strong><br />

celui qui fut et qui reste sans conteste<br />

une <strong>de</strong>s figures les plus fascinantes <strong>de</strong><br />

l’histoire <strong>de</strong> France à bien <strong>de</strong>s égards.<br />

Ecrire encore et toujours sur Napoléon,<br />

donc. Mais après tout pourquoi<br />

pas ? Comme le soulignait H. Monin<br />

au début du XX ème siècle dans La<br />

Gran<strong>de</strong> Encyclopédie : « il est (...) impossible<br />

à personne <strong>de</strong> porter sur Napoléon<br />

un jugement définitif » (33), et Bainville<br />

dans le même sens : Napoléon « échappe<br />

toujours par quelques lignes <strong>de</strong>s pages<br />

où on essaie <strong>de</strong> l’enfermer. Il est insaisissable,<br />

non parce qu’il est infini, mais<br />

parce qu’il a varié comme les situations<br />

où le sort le mettait (...). Ainsi chacun<br />

<strong>de</strong> ses portraits est faux par quelque<br />

endroit » (1).<br />

Contrairement au fou, Napoléon ne<br />

se prenait pas pour Napoléon. En<br />

1946, J. Lacan écrivait à cet égard que :<br />

« Napoléon ne se croyait pas du tout<br />

Napoléon, pour fort bien savoir par quels<br />

moyens Bonaparte avait produit Napoléon,<br />

et comment Napoléon (...) en sou-<br />

termination, le Zyklon B. Dans ses<br />

aveux, à Nuremberg, il inverse la<br />

charge <strong>de</strong> la preuve : lui est bon père<br />

<strong>de</strong> famille, aimant sa femme et ses<br />

enfants, bon travailleur qui ne boit<br />

pas ni ne fume pas, habillé mo<strong>de</strong>stement<br />

; et s’il a assassiné autant <strong>de</strong><br />

juifs, c’est parce que ces <strong>de</strong>rniers aiment<br />

les châtiments et la prison, sont<br />

responsables <strong>de</strong> la haine qu’ils suscitent<br />

et <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> leur propre<br />

mise à mort. Il va visiter les chambres<br />

à gaz, contemplant les visages <strong>de</strong>s<br />

victimes « sans crispation » et se sent<br />

rassuré, estimant qu’ils ne souffrent<br />

pas.<br />

On pourrait multiplier les exemples<br />

<strong>de</strong> cette perversion poussée à l’extrême<br />

par Mengele, qui utilise la science<br />

comme outil <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction massive<br />

au profit d’une parole d’Etat. C’est<br />

comme cela que chacun a pu répondre,<br />

sans état d’âme, simplement<br />

obéir aux ordres.<br />

Avec le procès <strong>de</strong> Nuremberg, on<br />

croyait le racisme scientifique disparu.<br />

Avec les étu<strong>de</strong>s génétiques mo<strong>de</strong>rnes,<br />

on croyait même la notion <strong>de</strong> race<br />

mise à mal. On se prend à rêver à<br />

cauchemar<strong>de</strong>r peut-être, quand on<br />

apprend qu’en octobre <strong>de</strong>rnier, James<br />

Watson, prix Nobel, co-découvreur<br />

<strong>de</strong> la structure ADN, différencie l’intelligence<br />

<strong>de</strong>s noirs et <strong>de</strong>s blancs prenant<br />

à témoin « tous ceux qui ont eu<br />

affaires à <strong>de</strong>s employés noirs ». La mise<br />

entre parenthèse <strong>de</strong> ces idées, liée à<br />

la pério<strong>de</strong> réfractaire d’après guerre<br />

« tend à se dissiper » (Axel Kahn) (2).<br />

E. Roudinesco conclut sur ce que serait<br />

une société perverse qui se dirige<br />

déjà vers la désignation <strong>de</strong> l’« autre<br />

absolue », rejetée au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s frontières<br />

<strong>de</strong> l’humain (SDF, individu sale,<br />

alcoolique ... ) (3). Un livre passionnant<br />

écrit avec rigueur dont on méditera<br />

la <strong>de</strong>rnière phrase « à supposer... que<br />

nous ne soyons plus capable <strong>de</strong> nommer<br />

la perversion, cela ne nous évitera<br />

pas d’être confronté avec ses métamorphoses<br />

souterraines : la part obscure<br />

<strong>de</strong> nous-mêmes ».<br />

F. Caroli<br />

(1) M.L. SUSINI, L’auteur du crime pervers, Fayard<br />

2004.<br />

(2) A. KAHN, Cité par « Le Mon<strong>de</strong> », 31 Octobre<br />

2007<br />

(3) Le Maire d’Argenteuil eut un temps l’idée<br />

d’acquérir un produit répulsif pour chasser les<br />

SDF.<br />

tenait à chaque instant l’existence. S’il<br />

se crut Napoléon, ce fut au moment où<br />

Jupiter eut décidé <strong>de</strong> le perdre, et sa chute<br />

accomplie, il occupa ses loisirs à mentir à<br />

Las Cases à pages-que-veux-tu, pour<br />

que la postérité crût qu’il s’était cru Napoléon,<br />

condition requise pour la convaincre<br />

elle-même qu’il avait été vraiment Napoléon<br />

» (19). Tout au long <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> du<br />

Consulat (fin 1799 - mai 1804) et <strong>de</strong><br />

l’Empire (18 mai 1804- 4 avril 1814,<br />

puis 20 mars au 22 juin 1815), Napoléon<br />

a, en effet, travaillé ru<strong>de</strong>ment à<br />

la création <strong>de</strong> son propre personnage,<br />

<strong>de</strong> son propre mythe, <strong>de</strong> sa légen<strong>de</strong>, et<br />

fit tout ce qui était en son pouvoir (et<br />

il était immense) afin que son nom soit<br />

élevé au rang <strong>de</strong>s Alexandre le Grand,<br />

César, Auguste ou autre Charlemagne.<br />

Un objectif simple, donc : rester dans<br />

l’Histoire, ne pas être oublié, que son<br />

nom figure <strong>de</strong> manière indélébile aux<br />

côtés <strong>de</strong>s plus grands conquérants. Ne<br />

disait-il pas, d’ailleurs : « je ne vis que<br />

dans la postérité » ? Sur l’île <strong>de</strong> Sainte-<br />

Hélène (son exil dure un peu plus <strong>de</strong><br />

cinq ans et <strong>de</strong>mi, du 17 octobre 1815,<br />

à sa mort le 5 mai 1821), Napoléon<br />

n’eut <strong>de</strong> cesse <strong>de</strong> vouloir être plus qu’il<br />

ne fut, et ainsi <strong>de</strong> réécrire (<strong>de</strong> dicter), <strong>de</strong><br />

retraduire, <strong>de</strong> transformer, d’embellir<br />

son nom et son Histoire. Las Cases<br />

durant les <strong>de</strong>ux premières années, puis<br />

Bertrand, Gourgaud, Antonmarchi<br />

avaient pour tâche <strong>de</strong> prendre en note<br />

les dictées <strong>de</strong> Napoléon, auteur <strong>de</strong> sa<br />

propre histoire, acteur, bien sûr, mais<br />

aussi créateur <strong>de</strong> sa propre légen<strong>de</strong>.<br />

Le Mémorial <strong>de</strong> Sainte-Hélène <strong>de</strong> Las<br />

Cases est, sans doute, un <strong>de</strong>s documents<br />

les plus intéressants pour mieux<br />

cerner l’homme Napoléon, malgré les<br />

réserves qui sont faites parfois à son<br />

égard. Il va sans dire que l’Histoire,<br />

l’épopée napoléonienne, les exploits<br />

rapportés, et l’image <strong>de</strong> l’Empereur qui<br />

s’en dégage, y sont grandis plus que<br />

<strong>de</strong> raison, et c’est un point sur lequel<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s historiens sont d’accord.<br />

Le document (1600 pages serrées)<br />

reste toutefois incontournable, et, dans<br />

ses « mensonges » mêmes, ou plutôt<br />

dans ses « rectifications » historiques,<br />

dans ses reconstructions, se révèle une<br />

part <strong>de</strong> vérité qu’il nous faut savoir<br />

déchiffrer.<br />

La puissance et la gloire<br />

« J’aimais plus la puissance<br />

que la gloire » (Napoléon)<br />

A la lecture <strong>de</strong>s multiples Mémoires<br />

contemporains <strong>de</strong> Napoléon, à la lecture<br />

<strong>de</strong>s innombrables biographies qui<br />

lui furent consacrées, évi<strong>de</strong>mment, la<br />

dimension « hors normes » du personnage,<br />

l’aspect « <strong>de</strong>stin d’exception » et<br />

« ambition démesurée » sautent immédiatement<br />

aux yeux. Et c’est à partir<br />

<strong>de</strong> certains traits <strong>de</strong> caractères, à partir<br />

<strong>de</strong> certains actes, en fonction <strong>de</strong> certaines<br />

décisions (politiques, militaires,<br />

administratives, etc.) que ses « détracteurs<br />

» ont voulu voir en Napoléon<br />

folie, délire, mégalomanie... H. Monin<br />

soulignait déjà au tout début du XX ème<br />

siècle que « <strong>de</strong> nos jours, certains physiologistes<br />

n’ont pas craint <strong>de</strong> le placer<br />

au nombre <strong>de</strong>s ‘’déséquilibrés supérieurs’’<br />

» (33). Et sans doute, il est indéniable<br />

que l’homme Napoléon apparaît<br />

à bien <strong>de</strong>s égards comme une figure<br />

hors normes, hors du commun. En première<br />

approche –et n’est-ce pas là l’idée<br />

que l’on se fait la plupart du temps du<br />

personnage ?- Napoléon est décrit (et il<br />

le fut) comme un homme d’ambitions,<br />

recherchant toujours plus la gloire, les<br />

conquêtes, menant ses hommes, son<br />

Armée Impériale et le peuple avec<br />

autorité, régnant en <strong>de</strong>spote, contrôlant<br />

et censurant la presse, la littérature,<br />

le théâtre, ne supportant pas qu’on<br />

le contredise, que l’on discute ses<br />

ordres, ou alors c’était s’exposer à <strong>de</strong><br />

terribles colères… Le goût du comman<strong>de</strong>ment,<br />

<strong>de</strong> la puissance et <strong>de</strong> la<br />

gloire, Napoléon l’a toujours eu, sans<br />

doute très tôt dans l’enfance semble til.<br />

Mais la célèbre bataille <strong>de</strong> Lodi (10<br />

mai 1796) marquera un tournant dans<br />

son histoire. Il aura d’ailleurs plus tard<br />

ces mots au sujet <strong>de</strong> l’impression que<br />

lui fit cette victoire : « je voyais le mon<strong>de</strong><br />

fuir sous moi comme si j’étais emporté<br />

dans les airs », et, après cette fameuse<br />

campagne d’Italie : « j’ai goûté du comman<strong>de</strong>ment<br />

et je ne puis plus y renoncer<br />

». Après l’Italie, puis l’Egypte (où là<br />

encore la propagan<strong>de</strong> par le discours et<br />

par l’image (II) fit admirablement son<br />

travail) Napoléon veut le pouvoir suprême,<br />

absolu. A trente ans, il se sent d’attaque<br />

pour gouverner la France, et l’occasion<br />

–qu’il ne laisse jamais passer- va<br />

lui en offrir la possibilité. Nommé<br />

Consul à vie le 10 mai 1802, puis proclamé<br />

Empereur en 1804 (et roi d’Italie<br />

l’année suivante), son pouvoir, sa<br />

puissance, sa renommée ne cessèrent<br />

<strong>de</strong> croître dans toute l’Europe. A partir<br />

<strong>de</strong> Tilsit (rencontre entre le tsar<br />

Alexandre Ier et Napoléon le 25 juin<br />

1807, puis traité signé le 7 juillet, assurant<br />

« paix et amitiés parfaites entre les<br />

<strong>de</strong>ux empereurs ») tout semble possible<br />

à Napoléon. « On a l’impression, écrit J.<br />

Bainville, d’une sorte <strong>de</strong> vertige, d’un<br />

délire <strong>de</strong> la puissance, d’un démiurge<br />

insensé qui brasserait sans arrêt le vieux<br />

mon<strong>de</strong>, ôtant ici <strong>de</strong>s rois pour les mettre<br />

ailleurs, donnant aux uns ce qu’il reprend<br />

aux autres, remaniant, agglomérant, divisant,<br />

annexant, et il est impossible <strong>de</strong> le<br />

suivre dans le détail sans donner au récit<br />

un caractère d’éparpillement et <strong>de</strong><br />

papillottement insoutenables pour l’esprit<br />

» (1). Démence, aliénation, folie, délire<br />

<strong>de</strong> domination et d’orgueil, esprit<br />

obscurci, dérangé, etc. Les qualificatifs<br />

allaient bon train du temps <strong>de</strong> l’Empire.<br />

Laissons pour l’heure cette question<br />

<strong>de</strong> côté. T. Lentz résume en fin<br />

<strong>de</strong> compte en quelques lignes qui en<br />

disent long l’ambition <strong>de</strong> Bonaparte :<br />

« A vingt-six ans Napoléon Bonaparte<br />

veut le pouvoir, sans hésitation, sans<br />

scrupule. A trente ans, il s’en saisit (…).<br />

Puis il se bat pour le conserver et l’accroître.<br />

A trente-quatre ans, il succè<strong>de</strong> à<br />

Charlemagne » (29). Relevons simplement<br />

qu’en 1802, à la date du 15 août,<br />

on célèbre la naissance <strong>de</strong> Napoléon (à<br />

partir <strong>de</strong> 1806 ce jour sera décrété<br />

Fête Nationale). En 1803 – l’année qui<br />

précè<strong>de</strong> le Sacre- le profil <strong>de</strong> Bonaparte<br />

vient orner les pièces <strong>de</strong> monnaie ;<br />

en avril 1806 est mis en circulation le<br />

« catéchisme impérial », lequel impose<br />

d’« honorer et servir son empereur », ce<br />

qui signifie « honorer et servir Dieu luimême<br />

». Selon L. Chardigny, « à partir<br />

<strong>de</strong> 1810, l’imagination <strong>de</strong> Napoléon<br />

atteint la démesure. Son penchant naturel<br />

au gigantisme frôle la folie <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs<br />

» (4). En 1811-1812, l’Empire<br />

compte 130 départements, s’étendant<br />

<strong>de</strong> Hambourg à Barcelone, d’Amsterdam<br />

à Rome (800 000 km2 environ).<br />

L’on peut noter déjà ce qui guidait, ce<br />

qui poussait Napoléon à étendre toujours<br />

plus les frontières <strong>de</strong> son Empire :<br />

« Je n’avais qu’un but, disait-il : tout<br />

réunir, tout concilier, faire oublier toutes<br />

les haines, rapprocher, rassembler tant<br />

d’éléments divergents et en recomposer<br />

un tout : une France, une patrie ». Dictateur,<br />

Bonaparte le fut, sans conteste.<br />

Les spécialistes s’accor<strong>de</strong>nt cependant<br />

pour préciser que cette dictature n’est<br />

peut-être pas tout à fait comparable à<br />

celles plus anciennes, ou à celles qui<br />

suivront. L’un <strong>de</strong> ses meilleurs biographes,<br />

F. Masson, soulignait par<br />

exemple que la dictature <strong>de</strong> Napoléon<br />

est « d’une espèce nouvelle (…) ; c’est <strong>de</strong><br />

la souveraineté nationale qu’elle procè<strong>de</strong><br />

en droit, et, en fait, c’est l’armée, c’est-àdire<br />

la force, qui l’a établie ; c’est par le<br />

consentement du peuple et par la force<br />

qu’elle se maintient » (31).<br />

<br />

PSYCHO BIOGRAPHIE ■ 7<br />

LIVRES<br />

Le Mérite et la République<br />

Essai sur la société <strong>de</strong>s émules<br />

Olivier Ihl<br />

nrf essais, Gallimard, 25 €<br />

Olivier Ihl, professeur à l’Institut d’étu<strong>de</strong>s<br />

politiques <strong>de</strong> Grenoble, spécialiste <strong>de</strong><br />

sociologie historique, s’est consacré<br />

ces <strong>de</strong>rnières années à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

République, <strong>de</strong> la citoyenneté et <strong>de</strong><br />

la construction <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> représentation<br />

politique. Ses recherches<br />

actuelles portent sur la formation <strong>de</strong>s<br />

sciences <strong>de</strong> gouvernement en Europe<br />

<strong>de</strong>puis la Révolution française. Il a<br />

publié aux Editions Gallimard La fête<br />

républicaine (Collection Bibliothèque<br />

<strong>de</strong>s Histoire, 1996). L’histoire <strong>de</strong> l’émulation<br />

raconte l’institutionnalisation<br />

d’une technique <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s<br />

conduites. Aujourd’hui banalisée et<br />

professionnalisée, elle s’est transformée<br />

en une entreprise <strong>de</strong> cotation<br />

sociale. A la fois hiérarchisée et fonctionnelle,<br />

cette technique dont l’Etat<br />

se porte garant s’est instituée en<br />

moyen <strong>de</strong> réglementer les formes <strong>de</strong><br />

la gran<strong>de</strong>ur sociale. Que ce soit au<br />

moyen <strong>de</strong> signes honorifiques ou <strong>de</strong><br />

primes en numéraire, elle a donné<br />

naissance à une véritable discipline.<br />

Ce livre retrace les formes variables<br />

que cette <strong>de</strong>rnière a prises selon les<br />

époques ou encore les périls qui lui<br />

ont permis <strong>de</strong> se constituer comme<br />

un domaine <strong>de</strong> pratiques et <strong>de</strong> savoirs.<br />

En faisant du mérite une ingénierie<br />

<strong>de</strong> gouvernement, les institutions<br />

<strong>de</strong> la démocratie libérale ont<br />

redéfini l’échelle <strong>de</strong>s valeurs. Elles<br />

n’ont pas abaissé les gran<strong>de</strong>urs, encore<br />

moins avili les dignités comme<br />

le craignaient leurs détracteurs, effrayés<br />

par la montée <strong>de</strong> la roture ou<br />

<strong>de</strong> l’Etat. Elles en ont fait un nouveau<br />

moyen <strong>de</strong> salut : celui d’une émulation<br />

proclamée gardienne <strong>de</strong>s formes<br />

du paraître.<br />

Contingence et nécessité<br />

<strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> la nature au<br />

XVIII e siècle<br />

La philosophie secon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

lumières<br />

André Charrak<br />

Vrin, 26 €<br />

Au milieu du XVIII e siècle, les philosophes<br />

se réclamant <strong>de</strong> Locke et <strong>de</strong><br />

Newton interrogent le statut <strong>de</strong>s lois<br />

<strong>de</strong> la nature et se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt si elles<br />

pourraient s’avérer aussi nécessaires<br />

que les vérités mathématiques. Ils critiquent<br />

Leibniz sur la nécessité ex hypothesi<br />

<strong>de</strong>s lois et se prononcent sur<br />

leur révision wolffienne : d’une manière<br />

très cohérente, c’est finalement<br />

le concept central <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> possible<br />

qui se trouve écarté. Cette histoire,<br />

essentielle pour approfondir notre<br />

compréhension du problème <strong>de</strong> la<br />

connaissance à cette époque, se joue<br />

autour <strong>de</strong> Maupertuis, qui a la Théodicée<br />

sous les yeux lorsqu’il écrit son<br />

Essai <strong>de</strong> cosmologie ; <strong>de</strong> l’Académie<br />

<strong>de</strong> Berlin, dont cet ouvrage étudie<br />

certaines archives inédites ; <strong>de</strong> d’Alembert<br />

et <strong>de</strong> Kant enfin, qui en thématisent<br />

les enjeux fondamentaux. Ces<br />

débats éclairent ce qu’il convient <strong>de</strong><br />

désigner comme la philosophie secon<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s Lumières. Car l’idée <strong>de</strong> nature,<br />

jusqu’à la fin du XVIII e siècle, et<br />

du fait même <strong>de</strong> la recherche d’une<br />

nécessité supérieure dans les phénomènes,<br />

impose <strong>de</strong> situer la philosophie<br />

naturelle par rapport à la métaphysique<br />

et, parfois, <strong>de</strong> poursuivre<br />

l’une par l’autre. En témoignent les<br />

longues discussions qui portent sur<br />

la théologie physique, c’est-à-dire sur<br />

le rapport <strong>de</strong> l’intelligence souveraine<br />

à l’ordre du mon<strong>de</strong>, aux lois qui le<br />

régissent et à ses manifestations empiriques.

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