T4 - La Place de Vérité

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28.06.2013 Views

demeurer dans ce village auquel Néfer avait consacré sa vie. En lisant la missive expédiée par le médecin-chef de la province thébaine, Claire crut que le ciel lui tombait sur la tête. — Vous en êtes certaine ? s’étonna Kenhir. — Lisez vous-même : le médecin-chef me refuse des livraisons de baume, y compris du styrax ! Sans ces produits, il existe quantité de maladies que je ne pourrai plus combattre. — C’est la première fois que se produit un incident de cette nature ! Mais pour qui se prend cet incapable ? — Il affirme que sa décision est dictée « par des motifs graves et indiscutables ». De quoi peut-il s’agir ? — Je me rends immédiatement au palais pour faire rétablir les livraisons, déclara le scribe de la Tombe. Gras, les jambes trop courtes, de petits yeux noirs luisant souvent de méchanceté, Daktair lissait et parfumait chaque matin sa barbe rousse. Fils d’un mathématicien grec et d’une chimiste perse, il avait bénéficié de l’appui secret de Méhy pour obtenir la direction du laboratoire central et de la caste des médecins. Longtemps, il avait cru pouvoir imposer sa vision, celle d’une science pure, mais la tradition l’avait empêché de mettre ses projets à exécution. Daktair avait rêvé d’une Égypte débarrassée de ses croyances inutiles et résolument engagée sur la voie du progrès, mais il avait dû déchanter et s’était endormi dans le confort de postes officiels qui lui procuraient aisance et respectabilité. Voilà longtemps qu’il ne croyait plus à l’existence de la pierre de lumière, dont la conquête hantait encore le général Méhy. Et lui, le conquérant prêt à tout pour régner, qu’était-il devenu, sinon le simple maître de la riche province thébaine, sans aller au terme de ses ambitions ? Aigri, Daktair s’amusait à créer des dissensions entre les médecins spécialistes attachés au palais et il mangeait de plus en plus, préférant la bonne chère de son cuisinier aux filles de joie qu’il ne fréquentait plus que rarement. Lorsque Serkéta lui avait proposé de porter un coup fatal à la - 82 -

Place de Vérité en s’attaquant à la femme sage, le savant avait éprouvé un plaisir qu’il pensait à jamais perdu. Lui que l’Égypte et le monde entier auraient dû considérer comme un génie et qui se trouvait réduit à un banal poste d’administrateur tenait une revanche qu’il appréciait avec gourmandise. Et bien entendu, le scribe de la Tombe venait, en personne, lui demander des comptes. Entre les deux hommes, l’antipathie fut immédiate et totale. Pour Kenhir, Daktair était l’exemple parfait de l’arriviste devenu un haut fonctionnaire inutile, incompétent et arrogant. Pour Daktair, Kenhir incarnait la détestable tradition des scribes, nourrie d’une sagesse périmée. — Que signifie cette lettre stupide ? interrogea Kenhir. — Vous oubliez à qui vous parlez ! — Malheureusement non : à un individu répugnant qui se pare d’un titre immérité et doit avoir perdu la raison pour enfreindre les lois régissant la Place de Vérité. La virulence de l’assaut laissa Daktair sans voix quelques instants, mais la colère lui permit de reprendre l’initiative. — Je les connais aussi bien que vous, ces fameuses lois ! — Alors, vous savez qu’il vous est interdit d’interrompre la livraison des substances médicinales à la Place de Vérité. Daktair eut un sourire féroce. — Sauf dans un cas où mon devoir me contraint d’intervenir. L’attitude satisfaite de son adversaire inquiéta le scribe de la Tombe. — Précisez. — Vous me prenez pour un médiocre, n’est-ce pas ? Eh bien, vous vous trompez, mon cher Kenhir ! En tant que médecin-chef du palais, j’exerce une surveillance constante sur mes subordonnés et je ne tolère aucun laxisme dans leur comportement, et encore moins une faute grave. — Vous n’êtes expert qu’en paperasse et tout à fait incapable de soigner la maladie la plus bénigne ! Daktair s’empourpra. - 83 -

<strong>Place</strong> <strong>de</strong> <strong>Vérité</strong> en s’attaquant à la femme sage, le savant avait<br />

éprouvé un plaisir qu’il pensait à jamais perdu. Lui que l’Égypte et le<br />

mon<strong>de</strong> entier auraient dû considérer comme un génie et qui se<br />

trouvait réduit à un banal poste d’administrateur tenait une<br />

revanche qu’il appréciait avec gourmandise.<br />

Et bien entendu, le scribe <strong>de</strong> la Tombe venait, en personne, lui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s comptes.<br />

Entre les <strong>de</strong>ux hommes, l’antipathie fut immédiate et totale.<br />

Pour Kenhir, Daktair était l’exemple parfait <strong>de</strong> l’arriviste <strong>de</strong>venu<br />

un haut fonctionnaire inutile, incompétent et arrogant.<br />

Pour Daktair, Kenhir incarnait la détestable tradition <strong>de</strong>s<br />

scribes, nourrie d’une sagesse périmée.<br />

— Que signifie cette lettre stupi<strong>de</strong> ? interrogea Kenhir.<br />

— Vous oubliez à qui vous parlez !<br />

— Malheureusement non : à un individu répugnant qui se pare<br />

d’un titre immérité et doit avoir perdu la raison pour enfreindre les<br />

lois régissant la <strong>Place</strong> <strong>de</strong> <strong>Vérité</strong>.<br />

<strong>La</strong> virulence <strong>de</strong> l’assaut laissa Daktair sans voix quelques<br />

instants, mais la colère lui permit <strong>de</strong> reprendre l’initiative.<br />

— Je les connais aussi bien que vous, ces fameuses lois !<br />

— Alors, vous savez qu’il vous est interdit d’interrompre la<br />

livraison <strong>de</strong>s substances médicinales à la <strong>Place</strong> <strong>de</strong> <strong>Vérité</strong>.<br />

Daktair eut un sourire féroce.<br />

— Sauf dans un cas où mon <strong>de</strong>voir me contraint d’intervenir.<br />

L’attitu<strong>de</strong> satisfaite <strong>de</strong> son adversaire inquiéta le scribe <strong>de</strong> la<br />

Tombe.<br />

— Précisez.<br />

— Vous me prenez pour un médiocre, n’est-ce pas ? Eh bien,<br />

vous vous trompez, mon cher Kenhir ! En tant que mé<strong>de</strong>cin-chef du<br />

palais, j’exerce une surveillance constante sur mes subordonnés et<br />

je ne tolère aucun laxisme dans leur comportement, et encore moins<br />

une faute grave.<br />

— Vous n’êtes expert qu’en paperasse et tout à fait incapable <strong>de</strong><br />

soigner la maladie la plus bénigne !<br />

Daktair s’empourpra.<br />

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