T4 - La Place de Vérité

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28.06.2013 Views

pas alerter la police ? Restait encore à jeter un œil sur la décharge, creusée au sud, après l’abandon de celles de l’est et de l’ouest. Là étaient brûlés les déchets divers, réduits en une masse compacte purifiée par le soleil puis enfoncée dans une cavité bordée de murs de pierres liées avec du mortier. Paneb n’en crut pas ses yeux. Au sommet du tas de détritus, Aperti torturait le fils aîné d’Ouserhat le Lion en menaçant de lui enfoncer dans les paumes les aiguilles à démêler volées à sa mère. — Sors de là ! tonna le colosse. Aperti demeura tétanisé un long moment, et sa victime en profita pour s’enfuir. — Ce garnement m’avait insulté, expliqua le jeune homme de dix-sept ans dont la carrure promettait d’égaler celle de son père. — Pourquoi as-tu dérobé ces aiguilles ? La question prit Aperti au dépourvu. — Pour m’amuser... — Tu n’es qu’un petit voleur sadique, Aperti, et tu utilises de façon déplorable la force que t’ont donnée les dieux. C’est en tremblant que l’adolescent sortit de la décharge. — Tu... Tu ne vas quand même pas me corriger ? — Rends-moi d’abord les aiguilles ! Aperti s’agenouilla. — Les voici... Mais ne me frappe pas ! Maman ne te le pardonnerait pas et... La gifle fut si violente qu’Aperti fut projeté au sol. — Ce village a ses lois, mon garçon, et tu dois les respecter. Il n’y aura plus d’autre avertissement. Soit tu es au travail demain matin à la première heure, soit tu quittes la Place de Vérité. — Je... je peux rentrer à la maison ? — Cette nuit, tu dormiras sur le seuil, et sans manger. L’estomac vide, on réfléchit mieux à ses erreurs. Sa crise de goutte estompée, son arthrite apaisée, Kenhir souffrait à présent du milieu du dos et il ne pouvait plus passer une - 62 -

partie de la nuit à rédiger sa « Clé des songes » ; sur le conseil de Niout la Vigoureuse, il avait trouvé une position qui lui permettait d’oublier la douleur : assis sur un coussin, une jambe allongée, il tendait le bras pour écrire sur une tablette en bois accrochée à un clou planté dans le mur de son bureau. Ses hiéroglyphes étaient de plus en plus illisibles, mais le vieux scribe n’avait rien perdu de ses capacités intellectuelles et il ne laissait à personne le soin de tenir le Journal de la Tombe. — Vous devriez vous méfier de votre assistant, recommanda Niout. — Imouni est un technicien compétent et sérieux. Grâce à lui, les inventaires sont d’une exactitude absolue. — Tant mieux, mais il guigne votre place, et son cœur n’est pas bon. — T’aurait-il fait du tort ? — Qu’il ne s’y risque surtout pas ! Non, c’est à vous que je pense... — Rassure-toi, Imouni n’est pas encore prêt à me succéder. Et il ne le sera peut-être jamais. — Ne s’aigrira-t-il pas ? — Si tel est le cas, je l’enverrai poursuivre sa carrière dans une province tranquille. Ou bien Imouni perçoit la chance immense qu’il a de vivre ici, ou bien il deviendra un fonctionnaire banal. — Votre petit déjeuner est prêt. Des céréales grillées à point, des figues douces comme le miel et un gâteau fourré aux dattes... Chaque matin, Kenhir se régalait, et il en allait de même au déjeuner et au dîner. Imouni, lui, n’appréciait pas la bonne chère, et ce grave défaut l’empêchait de s’épanouir. Le petit scribe au visage de fouine demandait audience. Niout le fit patienter jusqu’à ce que son mari eût terminé son repas. — Un rapport du chef Sobek ! — Pourquoi piailler ainsi, Imouni ? — Parce que la réputation de la Place de Vérité est en cause ! Nous devons intervenir immédiatement. — À quel propos ? - 63 -

pas alerter la police ? Restait encore à jeter un œil sur la décharge,<br />

creusée au sud, après l’abandon <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> l’est et <strong>de</strong> l’ouest. Là<br />

étaient brûlés les déchets divers, réduits en une masse compacte<br />

purifiée par le soleil puis enfoncée dans une cavité bordée <strong>de</strong> murs<br />

<strong>de</strong> pierres liées avec du mortier.<br />

Paneb n’en crut pas ses yeux.<br />

Au sommet du tas <strong>de</strong> détritus, Aperti torturait le fils aîné<br />

d’Ouserhat le Lion en menaçant <strong>de</strong> lui enfoncer dans les paumes les<br />

aiguilles à démêler volées à sa mère.<br />

— Sors <strong>de</strong> là ! tonna le colosse.<br />

Aperti <strong>de</strong>meura tétanisé un long moment, et sa victime en<br />

profita pour s’enfuir.<br />

— Ce garnement m’avait insulté, expliqua le jeune homme <strong>de</strong><br />

dix-sept ans dont la carrure promettait d’égaler celle <strong>de</strong> son père.<br />

— Pourquoi as-tu dérobé ces aiguilles ?<br />

<strong>La</strong> question prit Aperti au dépourvu.<br />

— Pour m’amuser...<br />

— Tu n’es qu’un petit voleur sadique, Aperti, et tu utilises <strong>de</strong><br />

façon déplorable la force que t’ont donnée les dieux.<br />

C’est en tremblant que l’adolescent sortit <strong>de</strong> la décharge.<br />

— Tu... Tu ne vas quand même pas me corriger ?<br />

— Rends-moi d’abord les aiguilles !<br />

Aperti s’agenouilla.<br />

— Les voici... Mais ne me frappe pas ! Maman ne te le<br />

pardonnerait pas et...<br />

<strong>La</strong> gifle fut si violente qu’Aperti fut projeté au sol.<br />

— Ce village a ses lois, mon garçon, et tu dois les respecter. Il n’y<br />

aura plus d’autre avertissement. Soit tu es au travail <strong>de</strong>main matin à<br />

la première heure, soit tu quittes la <strong>Place</strong> <strong>de</strong> <strong>Vérité</strong>.<br />

— Je... je peux rentrer à la maison ?<br />

— Cette nuit, tu dormiras sur le seuil, et sans manger. L’estomac<br />

vi<strong>de</strong>, on réfléchit mieux à ses erreurs.<br />

Sa crise <strong>de</strong> goutte estompée, son arthrite apaisée, Kenhir<br />

souffrait à présent du milieu du dos et il ne pouvait plus passer une<br />

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