T4 - La Place de Vérité

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donnant au ka de Néfer les essences subtiles des nourritures incarnées dans l’albâtre. Ainsi, même lorsque les proches du maître d’œuvre auraient disparu, la pierre vivante continuerait-elle à le nourrir. Mais le fils spirituel du maître d’œuvre assassiné ne se contentait pas de cet hommage rendu à tous les défunts ; lui, le peintre, s’aventurait dans de nouvelles techniques qu’il appliquait après avoir scruté le travail des sculpteurs. Comme lors de ses précédentes explorations dans le monde de la matière, Paneb constatait que la main était esprit. Guidé par les conseils de la femme sage, l’Ardent avait décidé de façonner une statue de Néfer dotée d’yeux exceptionnels, correspondant à la réalité anatomique qu’avait déchiffrée la médecine égyptienne en découvrant les diverses parties de l’œil : une cornée en cristal de roche pour souligner l’acuité du regard, une sclérotique en carbonate de magnésium contenant des oxydes de fer qui traduisaient la présence des veinules, la pupille perforée dans le cristal de roche et l’iris matérialisé par de la résine brune, tout en imprimant les dissymétries nécessaires entre pupille et cornée1. L’aube naissait lorsque Claire pénétra dans l’atelier où le miniaturiste venait de poser ses outils. Un rayon de soleil éclairait la statue dont le regard contemplait l’éternité. L’épouse du défunt ne put retenir ses larmes. Grâce au génie de son fils spirituel, Néfer était vivant, hors de portée de la décrépitude et de la mort. Debout, le pied droit en avant, les bras le long du corps, il marchait sur les beaux chemins de l’Occident et il continuait à guider la confrérie vers l’Orient. Claire faillit s’agenouiller devant la statue, mais Paneb la retint. — Son ka subsistera dans la pierre, lui dit-il, mais c’est en toi qu’il vit, et c’est toi qui es dépositaire de sa sagesse. Toi qui es la souveraine de la Place de Vérité, ne nous abandonne pas. 1 Cette description se fonde sur une récente étude scientifique des yeux du célèbre « scribe du Louvre ». Elle a prouvé les connaissances remarquables des ophtalmologistes de l’ancienne Égypte. - 32 -

6. Ni Méhy ni Serkéta ne prêtèrent la moindre attention aux splendeurs de Pi-Ramsès, la capitale créée par Ramsès le Grand dans le Delta, à proximité du couloir d’invasion du nord-est. Ainsi Pharaon intervenait-il rapidement à la moindre alerte. Desservie par un port qui permettait l’accostage de bateaux de charge, « la cité de turquoise » était parcourue de canaux bordés de vergers, de jardins et de villas luxueuses ; douce à vivre, la ville abritait cependant une garnison d’élite et un arsenal d’où sortaient les armes destinées à équiper les troupes chargées de surveiller la frontière. Le général et son épouse furent conduits au palais sur les murs duquel se lisaient les noms de Ramsès, inscrits dans des ovales symbolisant l’univers que parcourait à jamais l’âme royale. Le chancelier Bay les reçut aussitôt dans son bureau dont les armoires à papyrus croulaient sous le poids des documents. Petit, fluet, nerveux, les yeux noirs très mobiles, le menton orné d’une barbichette, le chancelier était un homme de l’ombre qui tenait avec fermeté les rênes de l’administration, au service de la reine Taousert qu’il admirait et du jeune pharaon Siptah qu’il avait fait monter sur le trône afin d’étouffer querelles et intrigues. — Heureux de vous revoir, général... Et je suis également ravi de pouvoir saluer votre charmante épouse. Le voyage ne fut pas trop fatigant, j’espère ? — Pour moi, ce fut un moment de repos. — Tant mieux, tant mieux... Vous logerez dans un appartement du palais, et j’ai donné des ordres pour que votre séjour dans la capitale soit des plus agréables. Je suppose que votre épouse éprouve le besoin de se rafraîchir et de se reposer. Deux servantes apparurent, et c’est une Serkéta pincée qui fut invitée à les suivre. - 33 -

donnant au ka <strong>de</strong> Néfer les essences subtiles <strong>de</strong>s nourritures<br />

incarnées dans l’albâtre. Ainsi, même lorsque les proches du maître<br />

d’œuvre auraient disparu, la pierre vivante continuerait-elle à le<br />

nourrir.<br />

Mais le fils spirituel du maître d’œuvre assassiné ne se<br />

contentait pas <strong>de</strong> cet hommage rendu à tous les défunts ; lui, le<br />

peintre, s’aventurait dans <strong>de</strong> nouvelles techniques qu’il appliquait<br />

après avoir scruté le travail <strong>de</strong>s sculpteurs. Comme lors <strong>de</strong> ses<br />

précé<strong>de</strong>ntes explorations dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la matière, Paneb<br />

constatait que la main était esprit.<br />

Guidé par les conseils <strong>de</strong> la femme sage, l’Ar<strong>de</strong>nt avait décidé <strong>de</strong><br />

façonner une statue <strong>de</strong> Néfer dotée d’yeux exceptionnels,<br />

correspondant à la réalité anatomique qu’avait déchiffrée la<br />

mé<strong>de</strong>cine égyptienne en découvrant les diverses parties <strong>de</strong> l’œil :<br />

une cornée en cristal <strong>de</strong> roche pour souligner l’acuité du regard, une<br />

sclérotique en carbonate <strong>de</strong> magnésium contenant <strong>de</strong>s oxy<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fer<br />

qui traduisaient la présence <strong>de</strong>s veinules, la pupille perforée dans le<br />

cristal <strong>de</strong> roche et l’iris matérialisé par <strong>de</strong> la résine brune, tout en<br />

imprimant les dissymétries nécessaires entre pupille et cornée1. L’aube naissait lorsque Claire pénétra dans l’atelier où le<br />

miniaturiste venait <strong>de</strong> poser ses outils. Un rayon <strong>de</strong> soleil éclairait la<br />

statue dont le regard contemplait l’éternité.<br />

L’épouse du défunt ne put retenir ses larmes.<br />

Grâce au génie <strong>de</strong> son fils spirituel, Néfer était vivant, hors <strong>de</strong><br />

portée <strong>de</strong> la décrépitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la mort. Debout, le pied droit en<br />

avant, les bras le long du corps, il marchait sur les beaux chemins <strong>de</strong><br />

l’Occi<strong>de</strong>nt et il continuait à gui<strong>de</strong>r la confrérie vers l’Orient.<br />

Claire faillit s’agenouiller <strong>de</strong>vant la statue, mais Paneb la retint.<br />

— Son ka subsistera dans la pierre, lui dit-il, mais c’est en toi<br />

qu’il vit, et c’est toi qui es dépositaire <strong>de</strong> sa sagesse. Toi qui es la<br />

souveraine <strong>de</strong> la <strong>Place</strong> <strong>de</strong> <strong>Vérité</strong>, ne nous abandonne pas.<br />

1 Cette <strong>de</strong>scription se fon<strong>de</strong> sur une récente étu<strong>de</strong> scientifique <strong>de</strong>s yeux du célèbre<br />

« scribe du Louvre ». Elle a prouvé les connaissances remarquables <strong>de</strong>s<br />

ophtalmologistes <strong>de</strong> l’ancienne Égypte.<br />

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