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Christine et Jean Marie Villemin

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<strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong><br />

« Vous ferez part à Mme <strong>Villemin</strong>, au nom de la justice française, de nos excuses<br />

pour ce qu'elle a enduré depuis des années <strong>et</strong> de mes excuses personnelles pour<br />

ce qu'elle a vécu pendant six semaines ».<br />

Qui tient ces propos surprenants ? C'est M. Olivier Ruyssen, Président de la Cour<br />

d'assises de la Côte d’Or, à l'issue du procès, à la fin de l'année 1993, de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong><br />

<strong>Villemin</strong>, époux de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> père du p<strong>et</strong>it Grégory <strong>Villemin</strong>, assassiné près<br />

de 10 ans plus tôt, très précisément le 16 octobre 1984.<br />

À qui s'adressent ces paroles extraordinaires ? Aux avocats de <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong><br />

<strong>Villemin</strong>, mes confrères Henri Garaud, <strong>Marie</strong>-<strong>Christine</strong> Chastant, François Robin<strong>et</strong> <strong>et</strong><br />

moi-même.<br />

L'exceptionnelle procédure <strong>Villemin</strong> a occupé 10 ans de ma vie professionnelle <strong>et</strong> m'a<br />

bouleversé.<br />

Je ne puis raconter par le menu ce dossier hors normes. Il faudrait y consacrer à tout le<br />

moins un épais volume. Je renvoie d'ailleurs le lecteur à l’excellent livre de Laurence<br />

Lacour « le bûcher des innocents » aux éditions des arènes : « un livre formidable <strong>et</strong><br />

effrayant », « une saisissante enquête », selon les critiques, ou encore, « une<br />

implacable <strong>et</strong> indispensable leçon de civisme ».<br />

Je vais me limiter à relater l'essentiel <strong>et</strong> je crois nécessaire dans un premier temps de<br />

donner quelques repères chronologiques pour que le lecteur puisse s'y r<strong>et</strong>rouver, tant<br />

c<strong>et</strong>te procédure a présenté un caractère de complexité.<br />

Il faut dire que nous étions, mes confrères <strong>et</strong> moi, les défenseurs du couple <strong>Christine</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, face à deux procédures criminelles imbriquées l'une dans l'autre,<br />

d'une part la procédure relative à l'assassinat odieux du p<strong>et</strong>it Grégory, <strong>et</strong> d'autre part, la<br />

procédure résultant de l'assassinat quelques mois plus tard, au printemps 1985, de<br />

Bernard Laroche par son cousin <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, le père de Grégory.<br />

Commençons par le commencement. Nous sommes le 16 octobre 1984 dans la vallée<br />

de la Vologne, non loin d'Épinal. Il a fait beau <strong>et</strong> chaud toute la journée mais<br />

malheureusement, des événements tragiques vont se produire en fin d'après-midi.<br />

Peu après 17 heures, Grégory <strong>Villemin</strong>, qui a un peu plus de quatre ans comme étant<br />

né le 24 août 1980 à Saint-Dié, disparaît alors qu'il joue devant la maison de ses<br />

parents 4, rue des champs à Lepanges-sur-Vologne. La maison coqu<strong>et</strong>te se trouve dans<br />

un lieu relativement isolé, sur une colline dominant la vallée de la Vologne, à la lisière<br />

d'une forêt. Le pavillon a été construit en 1981 par <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>.<br />

Des recherches angoissées s'engagent <strong>et</strong> vers 21 h 15, les pompiers découvrent le<br />

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cadavre de Grégory dans la Vologne, au centre de l'agglomération de Docelles, un<br />

village qui est situé à six ou 7 Kms en aval de Lepanges.<br />

Le corps de l'enfant est adossé à un barrage déversoir à une dizaine de mètres au-delà<br />

d'une passerelle franchissant la rivière. L'enfant porte son anorak bleu à parements<br />

verts <strong>et</strong> orange, son pantalon vert foncé <strong>et</strong> ses souliers bleus.<br />

La tête du p<strong>et</strong>it est coiffée de son bonn<strong>et</strong> de laine bleu marine, blanc <strong>et</strong> bleu roi, enfoncé<br />

jusqu'à la base du cou.<br />

Les chevilles <strong>et</strong> les poign<strong>et</strong>s de la victime sont liés au moyen de cordel<strong>et</strong>tes. Une autre<br />

cordel<strong>et</strong>te entoure le cou de l'enfant. Les membres de celui-ci sont encore souples.<br />

Grégory semble dormir paisiblement. Aucune trace de violence n’est visible.<br />

La catastrophe s'abat sur <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>.<br />

Le lendemain, le facteur dépose au domicile des époux <strong>Villemin</strong> une l<strong>et</strong>tre qui était<br />

postée à Lepanges, la veille, soit le jour du crime. Le Courrier porte le cach<strong>et</strong> de 17 h<br />

15. La l<strong>et</strong>tre est adressée à <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> le texte stipule ceci : « j'espère que<br />

tu mourras de chagrin le chef. Ce n'est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils.<br />

Voilà ma vengeance, pauvre con ».<br />

Ce Courrier odieux est évidemment anonyme. Il émane selon toute vraisemblance du<br />

corbeau qui, depuis un certain temps déjà, cherche à terroriser le couple <strong>Christine</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> l'entourage familial du père de Grégory.<br />

Les prémices du drame se situent à l'automne 1981, 3 ans avant l'assassinat du p<strong>et</strong>it<br />

enfant. À partir de c<strong>et</strong>te époque, Albert <strong>Villemin</strong>, père de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, son<br />

épouse Monique Jacob <strong>Villemin</strong>, mère de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong>, demeurant tous deux à<br />

Aumontzey dans les Vosges, sont harcelés de centaines d'Appels téléphoniques<br />

anonymes, malveillants, parfois mu<strong>et</strong>s ou moqueurs, souvent insultants ou menaçants.<br />

Les Appels détestables sont aussi adressés à l'entourage familial du couple Albert <strong>et</strong><br />

Monique <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> notamment à leurs enfants, Jacky, Jacqueline, Michel, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong><br />

père de Grégory, <strong>et</strong> Gilbert.<br />

Quelle est la finalité de ces Appels téléphoniques ? Il s'agit pour le, ou les, auteur, de<br />

déstabiliser la famille <strong>Villemin</strong>, de la diviser, de pousser Albert à se détruire en lui<br />

rappelant le suicide de son propre père, à savoir le grand-père paternel de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong><br />

<strong>Villemin</strong>.<br />

Face à c<strong>et</strong>te situation intolérable, Albert <strong>Villemin</strong> dépose plainte en décembre 1982 à la<br />

gendarmerie de Corcieux. Une information judiciaire est ouverte mais ne donne aucun<br />

résultat car les Appels persistent. L'auteur semble très bien renseigné sur les faits <strong>et</strong><br />

gestes des victimes. Toutefois, les agissements délictueux cessent le 17 mai 1983 au<br />

moment du placement sous écoute de la ligne téléphonique d'Albert <strong>Villemin</strong>.<br />

Mais d'autres membres de la famille continuent à recevoir des Appels. Les<br />

communications paraissent émaner tantôt d'un homme à la voix rauque <strong>et</strong> essoufflée, <strong>et</strong><br />

tantôt d'une femme. <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> figurent parmi les victimes du<br />

corbeau. Un moment donné, le correspondant inconnu annonce qu'il brûlera la maison<br />

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de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>. Il faut dire que celui-ci est contremaître à l'usine Auto-Coussin<br />

de La-Chapelle-devant-Bruyères. Homme actif, entreprenant, Courageux au travail,<br />

ambitieux, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> bénéficie d'une certaine aisance <strong>et</strong> visiblement sa jolie<br />

maison suscite des jalousies.<br />

J'apprendrai par la suite que dans le pays, certains traitent <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> de<br />

« Giscard » car ils vivent assez confortablement. RAppelons que la région comporte une<br />

population ouvrière qui vit difficilement. Le corbeau dit aussi qu'il s'en prendra à<br />

<strong>Christine</strong>, la femme de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong>. Le corbeau malfaisant dit enfin qu'il enlèvera le p<strong>et</strong>it<br />

Grégory <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong>, qui idolâtre son fils, de répliquer : « ne fait jamais çà » montrant<br />

ainsi à son interlocuteur quel est le meilleur moyen de l'atteindre.<br />

Les membres de la famille <strong>Villemin</strong> sont victimes de différentes persécutions : des<br />

fausses commandes passées en leur nom, des dégradations d'immeubles <strong>et</strong> de<br />

voitures, des vitres cassées <strong>et</strong> des pneus crevés.<br />

D'autre part <strong>et</strong> surtout, pendant l'année 1983, la famille <strong>Villemin</strong> reçoit des l<strong>et</strong>tres<br />

anonymes. La première l<strong>et</strong>tre, destinée à <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, est découverte le 4 mars<br />

1983 dans les vol<strong>et</strong>s du pavillon <strong>Villemin</strong>. Deux autres l<strong>et</strong>tres anonymes sont adressées<br />

le 27 avril <strong>et</strong> le 17 mai 1983, de Bruyères aux époux Albert <strong>et</strong> Monique <strong>Villemin</strong>.<br />

Quel est le thème de ces odieux messages ? Le corbeau prend fréquemment la défense<br />

de Jacky <strong>Villemin</strong>, fils aîné de Monique Jacob, né avant le mariage de celle-ci <strong>et</strong> légitimé<br />

par Albert <strong>Villemin</strong>, bien qu'il n'en soit pas le père biologique. Le corbeau reproche à la<br />

famille <strong>Villemin</strong> de tenir Jacky à l'écart <strong>et</strong> de le traiter moins bien que les autres enfants.<br />

À c<strong>et</strong> égard, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> est particulièrement visé car de tous les enfants <strong>Villemin</strong>, il est<br />

celui qui a le mieux réussi. Il est contremaître. Il a construit une jolie maison, il y a une<br />

femme charmante <strong>et</strong> un bel enfant.<br />

Prenons quelques morceaux choisis des l<strong>et</strong>tres du corbeau : « je ferai la peau à la<br />

famille <strong>Villemin</strong>... Vous ne devez plus fréquenter le chef... Vous devez le considérer lui<br />

aussi comme un bâtard <strong>et</strong> le m<strong>et</strong>tre entièrement de côté... Si vous ne le faites pas,<br />

j'exécuterai mes menaces que j'ai faites au chef pour lui <strong>et</strong> sa p<strong>et</strong>ite famille. Le chef se<br />

consolera avec son argent. La vie ou la mort... Toi, le vieux, je te hais au point d'aller<br />

cracher sur ta tombe le jour où tu crèveras... »<br />

Je rappelle que le dernier Courrier du corbeau porte la date du 17 mai 1983. Le corbeau<br />

annonce : « j'arrête <strong>et</strong> tu ne sauras jamais qui t’as fait ch… pendant deux ans... Ma<br />

vengeance est faite... Ceci est ma dernière l<strong>et</strong>tre <strong>et</strong> vous n'aurez plus aucune nouvelle<br />

de moi... ».<br />

Entre ce dernier Courrier <strong>et</strong> l'assassinat de Grégory <strong>Villemin</strong> le 16 octobre 1984, nous<br />

avons une période de relative accalmie étant précisé immédiatement que le jour de<br />

l'assassinat du p<strong>et</strong>it innocent, le corbeau se manifeste à nouveau téléphoniquement<br />

puisque, Michel <strong>Villemin</strong>, frère de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, habitant Aumontzey, village situé<br />

à une douzaine de kilomètres de Lepanges-sur-Vologne, prétend avoir reçu un Appel<br />

téléphonique peu après 17 h 30, indiquant ceci : « je te téléphone car cela ne répond<br />

pas à côté (au domicile d'Albert <strong>et</strong> de Monique <strong>Villemin</strong>). Je me suis vengé du chef <strong>et</strong> j’ai<br />

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kidnappé son fils. Je l’ai étranglé <strong>et</strong> je l’ai j<strong>et</strong>é à la Vologne. Sa mère est en train de le<br />

rechercher mais elle ne le r<strong>et</strong>rouvera pas. Ma vengeance est faite ».<br />

Comme dit ci-dessus, le corps d'un enfant est r<strong>et</strong>rouvé vers 21 h 15 à Docelles <strong>et</strong><br />

immédiatement, pour des raisons qui m’échappent quelque peu, les médias s'emparent<br />

de c<strong>et</strong>te affaire criminelle. Il est certain que la médiatisation extrême de ce dossier a été<br />

très préjudiciable à la bonne marche de l'information. L'opinion publique a été divisée,<br />

souvent d'ailleurs en fonction de critères politiques sans aucun rapport avec la réalité.<br />

On parlera beaucoup, par exemple, du statut social des protagonistes de ce dossier ou<br />

de la sensibilité politique de tel ou tel auxiliaire de justice. La médiatisation influença de<br />

nombreux témoins <strong>et</strong> dissuada plusieurs de révéler des informations qui auraient été<br />

très utiles à la bonne marche des investigations. La médiatisation incita à l'inverse<br />

certaines personnes à fournir des renseignements ne présentant aucun fondement<br />

sérieux <strong>et</strong> ayant pour eff<strong>et</strong> de brouiller les pistes <strong>et</strong> d’allonger inutilement les recherches.<br />

Une information est ouverte <strong>et</strong> confiée à <strong>Jean</strong>-Michel Lambert, juge d'instruction depuis<br />

plusieurs années à Épinal. Le juge instruction donne commission rogatoire à la<br />

gendarmerie <strong>et</strong> il charge le professeur De Ren <strong>et</strong> le Dr Pagel, médecins légistes à<br />

Nancy, de procéder à l'autopsie de l'enfant. Les experts concluent à une mort par<br />

submersion vitale à double origine à la fois asphyxique <strong>et</strong> inhibitrice par arrêt du coeur<br />

au contact de l'eau froide.<br />

Trois semaines après la réalisation du crime, très précisément le 5 novembre 1984,<br />

Bernard Laroche, cousin germain de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, est inculpé d'assassinat <strong>et</strong><br />

incarcéré. Il refuse de s'expliquer dans un premier temps puis il nie catégoriquement les<br />

faits qui lui sont reprochés.<br />

Comment l'enquête en est-elle arrivée à Bernard Laroche ?<br />

Au départ, les menaces verbales <strong>et</strong> écrites reçues par les consorts <strong>Villemin</strong> orientent<br />

l'enquête en direction de leurs proches. Différentes personnes sont soupçonnées, à<br />

savoir Roger Jacquel, Jacky <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> Michel <strong>Villemin</strong>. Ces personnes sont rapidement<br />

mises hors de cause après vérification de leur emploi du temps.<br />

La gendarmerie procède à l'audition d'une jeune fille de 15 ans, Murielle Bolle, un<br />

personnage dont l'importance sera considérable dans ce dossier. Murielle Bolle est la<br />

soeur de <strong>Marie</strong>-Ange Bolle épouse de Bernard Laroche, celui-ci étant le cousin germain<br />

du père de l'enfant assassiné. Murielle Bolle fait à la gendarmerie des dépositions<br />

étonnantes <strong>et</strong> contrastées. Elle accuse finalement son beau-frère, Bernard Laroche,<br />

d'avoir enlevé Grégory au Cours d'une promenade effectuée ensemble <strong>et</strong> de l'avoir<br />

conduit à Docelles.<br />

Nous avons donc à l’époque des éléments troublants à l'encontre de Bernard Laroche <strong>et</strong><br />

celui-ci sera maintenu en détention par la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de<br />

Nancy au mois de décembre 1984, au terme d'un arrêt très motivé.<br />

Bernard Laroche est le premier suspect dans c<strong>et</strong>te épouvantable affaire criminelle.<br />

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Quelques mois plus tard, il sera malheureusement assassiné par <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, <strong>et</strong><br />

l'épouse de celui-ci, <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, deviendra le second inculpé, mais pour l'instant<br />

nous n'en sommes pas encore là. Je vais m'efforcer de respecter au mieux la<br />

chronologie pour que le lecteur puisse discerner l'essentiel du récit.<br />

Bernard Laroche est donc incarcéré début novembre 1984 mais très rapidement, sa<br />

belle-soeur qui a mesuré les conséquences dévastatrices pour la famille de ses<br />

accusations, va rapidement se rétracter.<br />

Elle indique que les propos accusateurs contre Bernard Laroche lui ont été extorqués<br />

par les gendarmes au Cours d'une éprouvante garde à vue. Murielle Bolle oublie<br />

certainement qu'elle a réitéré devant le juge instruction en personne les propos m<strong>et</strong>tant<br />

Bernard Laroche en cause.<br />

Quoi qu'il en soit, le juge instruction, qui dans un premier temps déclare publiquement,<br />

devant les médias, ne pas être troublé en quoi que ce soit par les rétractations de<br />

Murielle Bolle, se m<strong>et</strong> à douter. Le magistrat a le sentiment que les charges réunies<br />

contre Bernard Laroche apparaissent trop fragiles <strong>et</strong> il rem<strong>et</strong> l'inculpé en liberté le 4<br />

février 1985.<br />

Je précise que <strong>Jean</strong>-Michel Lambert relâche Bernard Laroche contre l'avis du Procureur<br />

de la République d'Épinal.<br />

Quelques jours plus tard, le juge instruction décharge la gendarmerie de l'enquête.<br />

Je rappelle que la loyauté de la gendarmerie a été gravement mise en cause par les<br />

avocats de Bernard Laroche, Paul Prompt, de Paris <strong>et</strong> Gérard Welzer d'Épinal. Le juge<br />

d’instruction est d'ailleurs sollicité par mon confrère Garaud qui, pour éviter toute<br />

polémique partisane, propose la saisine du service régional de la police judiciaire de<br />

Nancy, le S.R.P.J.<br />

C<strong>et</strong>te décision de <strong>Jean</strong>-Michel Lambert va s'avérer lourde de conséquences. On pourra<br />

le mesurer plus tard <strong>et</strong> la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Dijon ne<br />

manquera pas, dans l'arrêt fondamental du 3 février 1993 dont je parlerai plus tard, de<br />

stigmatiser la rivalité entre le S.R.P.J. <strong>et</strong> la gendarmerie.<br />

Exit la gendarmerie qui fait d'ailleurs l'obj<strong>et</strong> d'une plainte émanant des avocats de<br />

Bernard Laroche, une plainte pour faux en écritures publiques, subornation de témoins,<br />

violation du secr<strong>et</strong> de l'information, plainte dont je dis immédiatement qu'elle va se<br />

terminer le 24 novembre 1988, plusieurs années plus tard, par un non-lieu au profit des<br />

gendarmes, étant précisé d'ailleurs qu'aucune inculpation n'a d'ailleurs été prononcée<br />

dans le cadre de c<strong>et</strong>te procédure, ce qui montre bien son manque total de sérieux <strong>et</strong><br />

son caractère injurieux pour la gendarmerie.<br />

Entrée en scène du S.R.P.J. de Nancy <strong>et</strong> de son chef, le commissaire Jacques Corrazzi,<br />

dont le rôle dans ce drame criminel sera essentiel étant indiqué immédiatement que,<br />

aux yeux du S.R.P.J., les gendarmes ont fait totalement fausse route en impliquant<br />

Bernard Laroche <strong>et</strong> en considérant <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, la mère de Grégory, comme une<br />

victime.<br />

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À partir du mois de février 1985, le drame s'amplifie pour <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong><br />

<strong>Villemin</strong>.<br />

Leur enfant bien-aimé a été assassiné d'une façon atroce.<br />

Le premier suspect, Bernard Laroche, a été relâché après trois mois de détention<br />

provisoire <strong>et</strong> sans avoir jamais fourni des explications satisfaisantes. Les gendarmes<br />

enquêteurs ont été chassés honteusement du dossier, leur honnêt<strong>et</strong>é étant mise en<br />

doute, de façon totalement injustifiée, mais cela sera démontré seulement quelques<br />

années plus tard.<br />

Non seulement l'enquête piétine, mais encore les hommes du S.R.P.J. accentuent la<br />

pression sur le couple <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>. Pour différents motifs que<br />

j'évoquerai ultérieurement, la mère est considérée de façon insistante comme suspecte<br />

puis comme coupable. Le couple désemparé n'en peut plus. Il doute de la justice.<br />

Certains médias tirent à boul<strong>et</strong>s rouges sur la mère sans aucune pudeur, sans aucun<br />

respect pour la présomption d'innocence d'une personne qui à c<strong>et</strong>te époque n'est pas<br />

même inculpée. Pour certains journaux, la thèse de la mère coupable constitue une<br />

incitation à la vente <strong>et</strong> un profit considérable, ce qui au plan moral suscite évidemment<br />

une réaction de dégoût. Le lecteur qui souhaite en savoir plus pourra consulter l'ouvrage<br />

précité de Laurence Lacour qui décrit parfaitement bien le mécanisme odieux.<br />

C’est dans ces conditions que, au mois de mars 1985, <strong>et</strong> plus précisément le 29 mars,<br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> perd ses nerfs <strong>et</strong> comm<strong>et</strong> l'irréparable en abattant d'un coup de fusil<br />

Bernard Laroche qu'il tient pour l'assassin de Grégory <strong>et</strong> dont il ne comprend pas la<br />

remise en liberté.<br />

J'ajoute que plusieurs intervenants avaient attiré l'attention de la justice sur le danger<br />

que Courait Bernard Laroche, mais en vain... !.<br />

Il faut dire que <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> n'en était pas à son coup d'essai. Il avait déjà tenté<br />

précédemment de tuer Bernard Laroche. Il avait procédé à des tentatives infructueuses.<br />

Un second drame vient s'ajouter au premier. Bernard Laroche n’aurait jamais dû perdre<br />

sa vie dans des conditions aussi épouvantables. La mort de Bernard Laroche a<br />

également entravé fortement le déroulement de l'enquête. <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> se trouve<br />

hospitalisée dans une clinique d'Épinal pour des problèmes de santé au moment où<br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> passe à l'acte. L'hospitalisation de <strong>Christine</strong> avait d'ailleurs accrû le désarroi<br />

de son époux. À présent, les deux époux sont interrogés avec ardeur par le S.R.P.J.<br />

dans le cadre de la procédure relative à l'assassinat de Bernard Laroche. La famille de<br />

celui-ci est persuadée à tort que <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> a armé le bras de son mari. Elle<br />

l’aurait incité à tuer Bernard Laroche.<br />

Les avocats de la famille Laroche vont déployer pendant des années beaucoup d'efforts<br />

pour tenter d'obtenir des poursuites criminelles contre <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> du chef de<br />

complicité dans la mort du premier suspect, mais en vain.<br />

Quoi qu'il en soit, la tension est extrêmement vive à c<strong>et</strong>te époque. Elle l’est d'autant plus<br />

que les charges semblent s'accumuler à l'égard de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, charges dont je<br />

parlerai un peu plus tard.<br />

Le S.R.P.J. ne cache pas sa conviction de la culpabilité de la mère <strong>et</strong> s’emploie à<br />

fortifier le dossier en ce sens. Le juge d’instruction, de plus en plus indécis, mais très<br />

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malléable, multiplie les expertises de caractère technique dont il attend la solution.<br />

J'évoque ici les expertises dans le domaine des écritures <strong>et</strong> des voix. J'évoque aussi les<br />

expertises concernant les cordel<strong>et</strong>tes.<br />

En eff<strong>et</strong>, subitement, plusieurs mois après la réalisation de l'assassinat sur la personne<br />

de l'enfant Grégory, la police judiciaire, au Cours d'une perquisition dans le chal<strong>et</strong><br />

<strong>Villemin</strong>, découvre de la cordel<strong>et</strong>te qui serait semblable à celle ayant enserré le corps de<br />

l'enfant. Il sera longuement question pendant plusieurs années des conditions dans<br />

lesquelles la cordel<strong>et</strong>te accusatrice aurait été découverte. Des questions sont posées<br />

quant à la loyauté de la police judiciaire. De multiples interrogations vont<br />

malheureusement rester sans réponse malgré des efforts immenses pour découvrir la<br />

vérité, des efforts à m<strong>et</strong>tre à l’actif principalement du Président Maurice Simon de la<br />

Cour d'Appel de Dijon que j'évoquerai plus tard.<br />

Pour l'instant, n'anticipons pas. Nous sommes dans le premier semestre de l'année<br />

1985 <strong>et</strong> nous approchons du 5 juill<strong>et</strong> 1985, date à laquelle <strong>Jean</strong>-Michel Lambert va<br />

procéder à l'inculpation de la mère d'un enfant pour assassinat sur la personne de<br />

Grégory.<br />

Je connais Henri Garaud, de Paris, un confrère très réputé qui a mené avec succès des<br />

dossiers délicats depuis plusieurs années à c<strong>et</strong>te époque-là, <strong>et</strong> il décide de faire Appel à<br />

moi pour l'assister dans sa mission de défenseur du couple <strong>Villemin</strong>, dans les jours qui<br />

précèdent l'inculpation de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>.<br />

J'arrive à Épinal le 5 juill<strong>et</strong> 1985 <strong>et</strong> je r<strong>et</strong>rouve mon confrère tendu <strong>et</strong> angoissé. Il sait<br />

que <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> a été appréhendée par le S.R.P.J. à la maison d'arrêt de Saverne<br />

où elle rendait visite à <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> qui est incarcéré dans le cadre de la procédure<br />

résultant de l'assassinat de Bernard Laroche. Henri Garaud sait que les policiers<br />

arriveront d’un moment à l’autre au tribunal d'Épinal pour présenter au juge Lambert<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>. Henri Garaud sait que celle-ci sera inculpée <strong>et</strong> j<strong>et</strong>ée en prison alors<br />

qu'elle hurle son innocence <strong>et</strong> qu'elle est enceinte, l'enfant en son sein devant naître<br />

quelques semaines plus tard. Je vois les policiers de Nancy, qui ne peuvent s'empêcher<br />

- avec indécence – d’afficher un air de triomphe.<br />

Ils obtiennent aujourd'hui la consécration de leurs efforts visant à impliquer la mère de<br />

Grégory dans l'assassinat de celui-ci. Je ne m<strong>et</strong>s pas en doute le fait que le S.R.P.J. ait<br />

cru véritablement à la culpabilité de la mère. Je dis que le S.R.P.J. a commis une très<br />

grossière erreur entraînant des conséquences gravissimes, ce qui sera démontré des<br />

années plus tard par les travaux gigantesques du Président Maurice Simon <strong>et</strong> par l’arrêt<br />

tout à fait essentiel de non-lieu prononcé le 3 février 1993, sous la présidence de M.<br />

Martin, un magistrat très expérimenté qui prendra la suite de Maurice Simon, frappé par<br />

la maladie. J'anticipe une fois de plus. À ce moment de mon récit, nous sommes en<br />

juill<strong>et</strong> 1985 <strong>et</strong> non pas encore en février 1993.<br />

Je fais la connaissance, dans la salle d'attente, de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>. Je vois une jeune<br />

femme, jolie <strong>et</strong> émouvante, en proie à la révolte. Elle sait ce qu'il attend. Elle n'a aucune<br />

confiance en <strong>Jean</strong>-Michel Lambert dont les tergiversations tout au long de l'information<br />

ont constitué une épreuve complémentaire difficile à supporter.<br />

Henri Garaud <strong>et</strong> moi-même pénétrons avec <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> dans le bureau exigu du<br />

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magistrat instructeur qui ne nous regarde pas en face. Il déclare tout de go : « je me<br />

lance, je crève l'abcès <strong>et</strong> je lève l’hypothèque. Je vous inculpe, Madame, d'assassinat<br />

sur la personne de votre fils Grégory ».<br />

Hurlements, cris de révolte <strong>et</strong> d'indignation de la part de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>. Le magistrat<br />

annonce qu'il envisage un placement en détention provisoire. Je précise immédiatement<br />

que bien entendu, sa décision d'incarcérer est déjà prise, mais il lui faut respecter les<br />

dispositions légales <strong>et</strong> engager ce qu'on Appelle « le débat contradictoire », c'est-à-dire<br />

une discussion au Cours de laquelle le Procureur de la République <strong>et</strong> les avocats de la<br />

défense s'expriment sur l'opportunité <strong>et</strong> l'utilité d'une incarcération dite provisoire en ce<br />

sens qu'elle est subie avant le jugement sur le fond.<br />

Je précise immédiatement que, personnellement présent, le Procureur de la République<br />

d'Épinal s'oppose au placement sous mandat de dépôt. Henri Garaud <strong>et</strong> moi-même<br />

plaidons, mais sans aucun succès. Il est évident que la décision est déjà prise.<br />

À peine <strong>Jean</strong>-Michel Lambert a-t-il ordonné le placement en détention provisoire que<br />

nous déposons, mon confrère <strong>et</strong> moi, sur son bureau, une demande de mise en liberté.<br />

À l'époque, il n’est pas encore possible au plan procédural de faire Appel directement<br />

contre une ordonnance de placement en détention provisoire. Notre demande sera<br />

évidemment rej<strong>et</strong>ée 48 heures après. Nous ferons Appel <strong>et</strong> nous irons donc plaider<br />

devant la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Nancy.<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> nous demande de partir immédiatement apporter la nouvelle à <strong>Jean</strong>-<br />

<strong>Marie</strong> <strong>et</strong> tenter d'apaiser son chagrin. Henri Garaud <strong>et</strong> moi-même partons à toute allure<br />

à Nancy car, dans l'intervalle, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> a été transféré, je ne sais pourquoi, de<br />

Saverne à Nancy. Je fais sa connaissance dans la soirée du 5 juill<strong>et</strong> 1985 <strong>et</strong> il nous<br />

demande de r<strong>et</strong>ourner très vite chez <strong>Christine</strong> qui, de son côté, a été transportée à la<br />

maison d'arrêt de M<strong>et</strong>z.<br />

Les journées à venir sont vraiment très chargées. Je viens d'arriver dans ce dossier<br />

complexe mais passionnant que je cherche à assimiler le plus vite possible. Henri<br />

Garaud <strong>et</strong> moi-même devons préparer un mémoire précis <strong>et</strong> détaillé à l'intention de la<br />

chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Nancy pour tenter d'obtenir la mise en<br />

liberté de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>. Nous devons aussi faire des nav<strong>et</strong>tes entre <strong>Christine</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> qui sont tous deux incarcérés, désemparés, le mot est faible, révoltés,<br />

anéantis pour tout dire !<br />

Henri Garaud <strong>et</strong> moi-même nous réfugions, pour éviter la frénésie médiatique<br />

consécutive à l'inculpation de la mère de Grégory, à mon domicile privé <strong>et</strong> nous y<br />

passons une semaine de studieuses préparations de l'audience à venir. Nous sommes<br />

rejoints par <strong>Marie</strong>-<strong>Christine</strong> Chastant qui est la belle-fille de mon confrère Garaud.<br />

Certes, nous travaillons beaucoup mais nous rions aussi, ne serait-ce que pour<br />

combattre l'extrême tension qui est la nôtre à c<strong>et</strong>te époque.<br />

Henri Garaud est un confrère chaleureux <strong>et</strong> spirituel. Son humour est irrésistible. J'ai eu<br />

pour ce grand confrère qui m'a beaucoup appris de l'affection <strong>et</strong> de l'admiration.<br />

Pourtant, nous n’étions pas toujours d'accord, loin de là, sur la stratégie à développer<br />

dans le cadre de notre dossier commun. Nous avons connu des moments de tension<br />

entre nous, mais cela n'a rien d'étonnant.<br />

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Dans son livre : « une vie d'avocats politiquement incorrects », Henri Garaud a la<br />

gentillesse d’écrire ceci : « quelle satisfaction de voir à ses côtés des confrères qui<br />

réagissent au quart de tour, ont une commune sensibilité, connaissent parfaitement le<br />

dossier ! Alors, la défense une vraie machine de combat, elle tourne comme une<br />

montre, <strong>et</strong> je rends ici hommage à <strong>Marie</strong>-<strong>Christine</strong> Chastant, à François Robin<strong>et</strong> <strong>et</strong> à<br />

Thierry Moser dans la défense de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> qui fut un véritable modèle de<br />

travail collectif inefficacité. Accusé d'un assassinat revendiqué, il recouvrait la liberté 15<br />

jours après le procès... ».<br />

D'origine Ariégeoise, monté à Paris comme on dit, Henri Garaud a fait une très belle<br />

carrière d'avocat. Il a acquis une grande notoriété avec des procès d'assises célèbres. Il<br />

se battait avec acharnement <strong>et</strong> disait avec force ses convictions. Licencié en<br />

philosophie, ce dont il tirait fierté, c<strong>et</strong> avocat souhaitait avant tout être compris par les<br />

jurés <strong>et</strong> par les p<strong>et</strong>ites gens qu'il défendait. Homme de tradition, il a été connu au départ<br />

pour des affaires de légitime défense comme le transistor piégé. Il a ensuite plaidé de<br />

grandes causes : les époux <strong>Villemin</strong>, Simone Weber, Joëlle Pesnel, la boulangère de<br />

Reims, les policiers de l’affaire Malik Oussekine, l'embuscade de Hienghene à Nouméa.<br />

Henri Garaud était le maire de son p<strong>et</strong>it village de la Haute Ariège.<br />

J'ai été infiniment triste en apprenant, alors que j'étais en Italie, le décès subit d’Henri<br />

Garaud pendant l'été 1998 <strong>et</strong> je conserve un souvenir ému de ce grand confrère.<br />

Arrive le 14 juill<strong>et</strong> 1985, la veille de l'audience de la chambre d'accusation de la Cour<br />

d'Appel de Nancy. Nous travaillons d'arrache-pied, encore <strong>et</strong> toujours.<br />

Nous prenons pension dans un p<strong>et</strong>it hôtel près de la place Stanislas à Nancy. Le soir<br />

tombe. Nous sommes dans nos chambres face à l'épaisseur <strong>et</strong> à la complexité du<br />

dossier a plaider le lendemain. Il nous est difficile de travailler dans la sérénité en raison<br />

notamment du vacarme alentour en raison des festivités du 14 juill<strong>et</strong>. Je m'endors<br />

tardivement <strong>et</strong> la nuit est agitée. Je crois que je commence à plaider dans un demisommeil,<br />

<strong>et</strong> j'ai l'estomac noué lorsque le lendemain, avec les confrères Garaud <strong>et</strong><br />

Chastant, je pénètre à la Cour d'Appel de Nancy. Je fais la connaissance de deux<br />

confrères qui vont occuper, eux aussi, une place importante dans ma vie<br />

professionnelle, je veux parler de mes confrère Paul Lombard <strong>et</strong> Joël Lagrange qui<br />

viennent quelques jours plus tôt de se constituer partie civile contre <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong><br />

pour le compte principalement des époux Albert <strong>et</strong> Monique <strong>Villemin</strong>, les grands-parents<br />

paternels du p<strong>et</strong>it Grégory, les beaux-parents de l'inculpée <strong>Christine</strong>.<br />

Je fais donc la connaissance le 15 juill<strong>et</strong> 1985 de Paul Lombard <strong>et</strong> de Joël Lagrange. Il<br />

faudra pendant des années ferrailler avec ces deux rudes adversaires. Ils font valoir la<br />

thèse de la culpabilité de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>. Ils sont les alliés les plus solides de<br />

l'accusation dirigée contre la mère d'un enfant. Ils sont les alliés du service régional de<br />

la police judiciaire. Ils sont les conseillers en quelque sorte, du juge d’instruction qui s'en<br />

rem<strong>et</strong> indiscutablement à autrui pour la conduite de son information. Ils combattent dans<br />

le même sens que les avocats de Bernard Laroche. En eff<strong>et</strong>, en prônant la thèse de la<br />

culpabilité de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, les avocats des beaux-parents de celle-ci réhabilitent<br />

par la même occasion Bernard Laroche, sauf à supposer une collusion criminelle entre<br />

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<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> Bernard Laroche, hypothèse qui n'a jamais été posée même par les<br />

adversaires les plus acharnés de la mère de Grégory.<br />

A l’audience de la chambre d'accusation, je suis assis entre Henri Garaud <strong>et</strong> Paul<br />

Lombard. J'avoue que je suis un peu impressionné, bien conscient de mes<br />

responsabilités <strong>et</strong> de l'importance de l’audience qui commence à présent sous la<br />

présidence de Jacques D’alteroche. Ce magistrat fait un rapport précis <strong>et</strong> objectif sur le<br />

dossier avant de donner la parole aux différents intervenants, à savoir l'avocat général<br />

qui représente l'accusation <strong>et</strong> d'autre part, les défenseurs des différentes parties au<br />

procès.<br />

« On ne peut pas envoyer c<strong>et</strong>te femme au bagne avec un pareil dossier ! ». Ces propos<br />

très forts sont tenus par le représentant du ministère public, qui, avec objectivité,<br />

demande à la chambre d'accusation d'infirmer la décision de <strong>Jean</strong>-Michel Lambert, de<br />

rendre sa liberté à <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> moyennant un contrôle judiciaire. L'avocat général<br />

estime en eff<strong>et</strong> qu'il existe des interrogations dans ce dossier nécessitant des<br />

investigations.<br />

Soulagement pour les avocats de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, Henri Garaud, <strong>Marie</strong>-<strong>Christine</strong><br />

Chastant <strong>et</strong> moi-même. Nous plaidons dans le même sens. Nous fustigeons la conduite<br />

folle de l'information par le magistrat d'Épinal. Nous dénonçons les excès indicibles<br />

d'une certaine presse. Un journaliste ne m'a-t-il pas dit, avec un cynisme indirect : « Moi,<br />

ce qui m’intéresse dans le dossier Grégory, c'est de vendre du papier... ».<br />

L'affaire est mise en délibéré au lendemain 16 juill<strong>et</strong> 1985. Un grand bonheur ce jour-là :<br />

la juridiction de Nancy désavoue le juge Lambert dont la décision est infirmée. <strong>Christine</strong><br />

<strong>Villemin</strong> est mise en liberté sous contrôle judiciaire après avoir subi 11 jours<br />

d'incarcération.<br />

Un échec cinglant pour le juge Lambert <strong>et</strong> pour le S.R.P.J. qui vont s'employer dès lors<br />

à revoir leur copie. La défense de <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> reprend espoir.<br />

<strong>Christine</strong> reprend ses visites à son mari qui est incarcéré depuis le mois précédent pour<br />

avoir assassiné Bernard Laroche.<br />

Passons sur les détails <strong>et</strong> arrivons immédiatement au mois de juill<strong>et</strong> 1986, un an plus<br />

tard. Où en est-on à ce moment-là ? Au mois de juill<strong>et</strong> 1986, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> est<br />

renvoyé aux assises des Vosges pour assassinat sur la personne de Bernard Laroche.<br />

Nous ne voulons pas qu'il soit jugé à Épinal. Les journaux Vosgiens ont accrédité la<br />

thèse de la mère coupable. Ils ont véhiculé le message selon lequel Bernard Laroche,<br />

innocent, a été tué par un homme furieux, manipulé par son conjoint.<br />

L'ambiance est très mauvaise dans les Vosges <strong>et</strong> nous voulons que le procès de <strong>Jean</strong>-<br />

<strong>Marie</strong> soit dépaysé. D'autre part <strong>et</strong> surtout, nous ne voulons pas que <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> soit<br />

jugé avant la clôture de l'information consécutive à la mort de Grégory, information dans<br />

le cadre de laquelle <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> est inculpée. Nous voulons obtenir ce que nous<br />

Appelons dans notre jargon, le sursis à statuer. Nous obtenons satisfaction. La Cour de<br />

Nancy renvoie <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> aux assises mais stipule qu'il ne sera pas jugé avant clôture<br />

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du dossier principal, dossier dont on croit à l'époque qu'il va se terminer à bref délai...<br />

En fait, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> ne sera jugé que sept ans plus tard, à la fin de l'année 1993, <strong>et</strong> dans<br />

l'intervalle, il se sera passé beaucoup de choses dans le dossier principal résultant de<br />

l'assassinat de Grégory, dossier dans lequel <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> a succédé à Bernard<br />

Laroche dans le champ de la suspicion.<br />

Où en est-on précisément au mois de juill<strong>et</strong> 1986 dans le dossier principal ?<br />

Depuis la libération de <strong>Christine</strong>, au mois de juill<strong>et</strong> 1985, un an plus tôt, le S.R.P.J. a<br />

cherché à fortifier les charges contre la jeune femme. Une fois encore le juge instruction<br />

d'Épinal a beaucoup varié dans ses convictions. On nous parle au printemps 1986 d'un<br />

possible non-lieu au profit de <strong>Christine</strong>. Les magistrats chargés de ce dossier obtiennent<br />

des mutations. Arrive un nouveau Procureur à Épinal qui a de ce dossier-là conviction<br />

propagée par le S.R.P.J. de Nancy. Partent ailleurs les magistrats de Nancy qui, en<br />

juill<strong>et</strong> 1985, ont mis en liberté la jeune femme.<br />

Le jeu des mutations modifie profondément les données de ce dossier hors du commun.<br />

Toujours est-il que le 9 décembre 1986, nous arrivons au fond de l’abîme, puisque la<br />

chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Nancy, autrement composée qu'au mois de<br />

juill<strong>et</strong> 1985, renvoie aux assises des Vosges <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> pour assassinat sur la<br />

personne du p<strong>et</strong>it Grégory. Pourtant, le Procureur général de Nancy, partie<br />

poursuivante, consciente des lacunes <strong>et</strong> faiblesses du dossier de l'accusation, avait<br />

sollicité à titre subsidiaire un supplément d'information.<br />

La chambre d'accusation, affolée sans doute par l'impact médiatique de la procédure<br />

criminelle, plus exactement des deux procédures criminelles - l'assassinat de Grégory <strong>et</strong><br />

l’assassinat de Bernard Laroche - décide qu'il faut trancher dans le vif, s'en rem<strong>et</strong>tre à la<br />

juridiction populaire, renvoyer aux assises, faire en quelque sorte le « Ponce Pilate ».<br />

Atterré par c<strong>et</strong>te décision de la chambre d'accusation, je rencontre fortuitement en fin de<br />

journée, dans les couloirs de la Cour d'Appel, le Président de c<strong>et</strong>te juridiction qui,<br />

benoîtement, me dit ceci : « Maître Moser, ne vous en faites donc pas. Nous avons<br />

renvoyé <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> aux assises. Le dossier ne tient pas trop. Si j'étais juré,<br />

j'acquitterai... ! ». Je m'abstiens de fait un commentaire qui, par définition, serait<br />

désobligeant pour le magistrat ayant tenu des propos aussi stupéfiants.<br />

Nous régularisons, mes confrères <strong>et</strong> moi immédiatement un pourvoi en cassation qui est<br />

confié à Maître Bore de Paris, dont le travail sera remarquable d'efficacité.<br />

<strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> sont désespérés, le mot est faible. Je rends visite régulièrement<br />

à <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> qui a réintégré la prison de Saverne. <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> vient aussi au<br />

parloir. Je suis face au couple au parloir de la prison. Ils sont plus soudés que jamais. Ils<br />

s’aiment fortement <strong>et</strong> ils se soutiennent dans l'épreuve. J'essaie de leur redonner<br />

confiance. Je leur dis que le pourvoi en cassation devrait aboutir. Je leur dis qu'une<br />

nouvelle chance leur sera donnée. Je plaide mais j'avoue qu'au fond de moi-même, je<br />

suis parfois bien découragé. Il me faut le cacher pour tenter de leur redonner un peu de<br />

force pour continuer c<strong>et</strong> épuisant combat judiciaire.<br />

J'entr<strong>et</strong>iens une correspondance fournie avec un magistrat r<strong>et</strong>raité, un fin procédurier,<br />

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auteur d'ouvrages de procédure pénale. Je lui demande conseil. Avec une immense<br />

disponibilité, il me répond <strong>et</strong> me fait savoir que, de son point de vue, le pourvoi devrait<br />

effectivement aboutir. Ceci dit, en matière de justice, on ne sait jamais...<br />

Une nouvelle catastrophe s’abat peu après l'arrêt du 9 décembre 1986. <strong>Christine</strong><br />

<strong>Villemin</strong> n'en peut plus. Elle ne peut plus lutter. Elle fait une tentative de suicide en<br />

absorbant des médicaments en quantité excessive. Dans son livre déjà cité, Laurence<br />

Lacour raconte ceci : « alors, avant de se coucher, elle écrit trois l<strong>et</strong>tres... Une pour sa<br />

grand-mère... Une pour Thierry Moser, le jeune avocat alsacien, le plus proche d’elle...<br />

Elle écrit ceci : « Je ne peux plus supporter c<strong>et</strong>te horrible accusation. Je suis innocente.<br />

Grégory était tout pour moi. La justice veut me séparer de l'homme que j'aime <strong>et</strong> plutôt<br />

que de vivre en prison, séparée de Julien (l'enfant né en septembre 1985 <strong>et</strong> dont elle<br />

était enceinte au moment de son placement en détention) <strong>et</strong> de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong>, je choisis<br />

de les quitter moi-même <strong>et</strong> de me r<strong>et</strong>rouver auprès de Grégory. Personne ne pourra me<br />

séparer de mon p<strong>et</strong>it homme. Pardonnez-moi ».<br />

Inutile de dire que je suis bouleversé lorsque je prends connaissance de ce courrier qui<br />

porte la date du 14 décembre 1986. Apprenant la nouvelle de la tentative de suicide, je<br />

me précipite à l'hôpital de Lunéville. Je suis rejoint par mes confrères <strong>et</strong> notamment par<br />

François Robin<strong>et</strong> de Nancy qui a rejoint l'équipe de la défense quelques mois plus tôt.<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> est dans le service des soins intensifs. Nous pouvons à peine<br />

échanger quelques mots avec elle. Nous la grondons avec gentillesse <strong>et</strong> nous partons à<br />

toute allure réconforter <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> qui attend des nouvelles dans sa cellule de Saverne<br />

avec l'angoisse que l'on peut imaginer. Les médecins nous disent que l’alerte a été<br />

chaude...<br />

Enfin un moment de bonheur quelques semaines plus tard à savoir, le 17 mars 1987,<br />

puisque ce jour-là la chambre criminelle de la Cour de cassation à Paris casse <strong>et</strong> annule<br />

l’arrêt de la Cour d'Appel de Nancy <strong>et</strong> renvoie le dossier à la Cour d'Appel de Dijon,<br />

chambre d'accusation, pour la suite de la procédure. La défense a été entendue. La<br />

juridiction suprême a pris conscience du caractère « abracadabrantesque » de la<br />

procédure suivie à Épinal <strong>et</strong> Nancy. Les magistrats parisiens veulent donner une<br />

nouvelle chance à la justice <strong>et</strong> c'est ainsi que le dossier va quitter la région d'Épinal<br />

Nancy pour se r<strong>et</strong>rouver à Dijon, en Bourgogne. C<strong>et</strong>te modification géographique va<br />

entraîner des eff<strong>et</strong>s considérables <strong>et</strong> nous entrons à présent dans une nouvelle phase<br />

de la procédure.<br />

Au printemps 1987, je suis à la Cour de Dijon <strong>et</strong> je rends une visite de courtoisie à M. le<br />

Président Maurice Simon qui préside la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de<br />

Dijon. Je fais la connaissance de ce magistrat remarquable, réputé pour sa pondération<br />

<strong>et</strong> sa prudence.<br />

M. Simon a déjà géré en tant que juge d'instruction des dossiers complexes <strong>et</strong> délicats.<br />

Il me reçoit avec une immense courtoisie. Je ressens rapidement à l'occasion de<br />

l'entr<strong>et</strong>ien un phénomène de sympathie réciproque.<br />

M. Simon a lu attentivement le dossier d'ores <strong>et</strong> déjà très volumineux. Il est sidéré par<br />

les lacunes touchant le fond <strong>et</strong> la forme, les approximations, les défectuosités de la<br />

procédure. Il pense qu'il faut tout rem<strong>et</strong>tra à plat. Il veut travailler dans le calme <strong>et</strong> la<br />

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sérénité sans aucune idée préconçue. Il m’annonce que la chambre d'accusation de la<br />

Cour de Dijon tiendra audience dans les semaines à venir <strong>et</strong> prendra une décision sur la<br />

suite à donner à ce dossier après avoir écouté le point de vue des uns <strong>et</strong> des autres.<br />

Je quitte Dijon rasséréné <strong>et</strong> heureux que dorénavant, l'instruction soit menée par des<br />

magistrats expérimentés, les magistrats de la chambre d'accusation de la Cour de Dijon.<br />

Effectivement, en date du 25 juin 1987, les trois magistrats dijonnais ordonnent un<br />

supplément d'information confié au Président de la chambre d'accusation, M. Maurice<br />

Simon.<br />

Un travail gigantesque commence alors. Il ne se terminera que six ans plus tard, en<br />

1993, au moment où interviendra l'arrêt de non-lieu au profit de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>.<br />

Maurice Simon reprend tout à zéro. Il ne ménage ni son temps ni sa peine. Il renonce à<br />

partir en r<strong>et</strong>raite alors qu'il pourrait prétendre au repos <strong>et</strong> ceci d'autant plus qu'il a une<br />

santé quelque peu chancelante. Maurice Simon estime que l'assassinat d'un enfant ne<br />

peut rester impuni.<br />

Il interroge pour la première fois <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> pendant l'été 1987. Il lui pose de<br />

multiples questions. Il veut sonder « les coeurs <strong>et</strong> les reins » des uns <strong>et</strong> des autres. Il<br />

veut se forger une opinion personnelle. Il prend son temps. Il est aidé par Mme Édith<br />

Gaudin, un greffier remarquable qui jouera un rôle éminent. Maurice Simon organise<br />

une reconstitution des faits qui va durer trois ou quatre jours. Rien n'échappe à son<br />

attention, à sa sagacité. C<strong>et</strong> homme de dialogue sait écouter avec patience les<br />

différents interlocuteurs. Je puis dire qu’il se tue littéralement à la tâche.<br />

Il va s'épuiser <strong>et</strong> devra effectivement, en 1990, s'effacer, vaincu par la maladie, au profit<br />

de M. Martin, le magistrat qui va en définitive parachever l'oeuvre de réhabilitation de<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>. Maurice Simon a fait honneur à la justice. Il occupe souvent mes<br />

pensées. Il a malheureusement perdu la vie après avoir été terrassé par la maladie.<br />

Et <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> dans tout cela ? Il est toujours en prison pendant l'année 1987<br />

mais il recouvre sa liberté le 24 décembre de c<strong>et</strong>te année-là à la suite d'un arrêt de la<br />

Cour de Dijon de mise en liberté sous contrôle judiciaire.<br />

Je me présente le 24 décembre 1987 vers 20 heures à la prison de Saverne pour<br />

chercher <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>et</strong> le ramener chez les siens. Il r<strong>et</strong>rouve <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> le p<strong>et</strong>it Julien,<br />

né en 1985, pour fêter Noël. Encore un souvenir inoubliable pour moi !<br />

Que se passe-t-il en 1988 <strong>et</strong> 1989 ? Maurice Simon travaille avec acharnement. Comme<br />

indiqué dans l'arrêt du 3 février 1993 réhabilitant <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, le Président Simon<br />

s'attache à combler les lacunes du dossier. Il prend soin de réétudier très attentivement<br />

la plupart des charges pesant sur <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> il entreprend des recherches<br />

dans des directions jusque-là négligées. En bref, il réalise un travail de très grande<br />

ampleur. Le magistrat déplie beaucoup d'efforts pour obtenir notamment la comparution<br />

dans son cabin<strong>et</strong> de <strong>Marie</strong> Ange Bolle veuve de Bernard Laroche, <strong>et</strong> de Murielle Bolle,<br />

soeur de la précédente, la jeune femme qui, par ses déclarations, peu après l'assassinat<br />

de Grégory, a contribué à provoquer l'inculpation de son beau-frère avant de se<br />

rétracter rapidement sous prétexte qu'elle aurait subi des pressions psychologiques<br />

imputables aux gendarmes dans le temps de la garde à vue. Les deux soeurs Bolle ne<br />

veulent absolument pas se présenter devant le Président Simon pour fournir leurs<br />

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témoignages, <strong>et</strong> ce comportement est d'autant plus étonnant qu'elles se plaignent de la<br />

lenteur de la procédure <strong>et</strong> du fait que <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> n'a toujours pas été jugé à<br />

c<strong>et</strong>te époque. Les deux soeurs ont-elles des informations essentielles à dissimuler à la<br />

justice ? Elles se plaignent amèrement de la conduite de l'information menée par le<br />

Président Simon dont elles disent qu'il serait partial. L'arrêt du 3 février 1993 fera justice<br />

des affirmations des soeurs Bolle...<br />

En 1990, nouvelle catastrophe : Maurice Simon, frappé par la maladie, doit interrompre<br />

son activité. <strong>Jean</strong>-Paul Martin lui succède à l'automne 1997 pour continuer <strong>et</strong> terminer le<br />

supplément d'information qui a débuté trois ans plus tôt, en 1987.<br />

En 1990 se produit également un événement relativement exceptionnel : un témoin,<br />

Mme Conreaux, vient me faire des révélations dans mon cabin<strong>et</strong>. Je reparlerai de c<strong>et</strong><br />

épisode un peu plus loin. L'arrêt du 3 février 1993 stipule que les révélations de Mme<br />

Conreaux ont donné un nouvel essor à l'enquête.<br />

Au mois de juin 1992, le Président Martin estime que tout ce qui était humainement<br />

possible a été réalisé dans le cadre du supplément d'information. Un arrêt de dépôt est<br />

rendu le 3 juin 1992 par la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Dijon, ce qui<br />

signifie que c<strong>et</strong>te juridiction va se réunir pour faire le bilan, écouter le point de vue des<br />

différents intervenants à savoir le ministère public <strong>et</strong> les avocats de la défense <strong>et</strong> de la<br />

partie civile, en suite de quoi la Cour de Dijon aura à statuer sur le sort de <strong>Christine</strong><br />

<strong>Villemin</strong>. Les différents acteurs de la procédure sont invités à présenter leurs<br />

observations écrites <strong>et</strong> le Procureur général près de la Cour d'Appel de Dijon, <strong>Jean</strong><br />

Steffani, dépose à l'été 1992 des réquisitions d'une centaine de pages.<br />

Que dit en substance M. le Procureur général dont on pourrait penser qu'il va<br />

demander, à l'instar de ses prédécesseurs de Nancy, la traduction de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong><br />

devant la Cour d'assises pour l'assassinat de son enfant Grégory ?<br />

Ce n'est pas du tout le cas puisque <strong>Jean</strong> Steffani préconise le non-lieu au profit de<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>. Le haut magistrat écrit notamment ceci : « il est évident que les<br />

développements du supplément d'information, s'ils n'aboutissent pas à la découverte de<br />

l'auteur du crime, sont caractérisés par une évolution certaine vers l'affaiblissement, voir<br />

l'anéantissement, des indices qui avaient entraîné l'inculpation de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>... ».<br />

Le Procureur général indique aussi ceci : « mais de surcroît, on cherche vainement dans<br />

c<strong>et</strong>te affaire le moindre élément sérieux pouvant perm<strong>et</strong>tre de penser que la mère de la<br />

jeune victime aurait pu agir sous l'eff<strong>et</strong> d'une impulsion, dont on ne sait de quelle<br />

nature, ayant pu la conduire à assassiner son enfant, à moins d'adm<strong>et</strong>tre, ce qui serait<br />

un non-sens, qu’il s'agit d'une femme atteinte d'un déséquilibre mental profond - aucun<br />

mobile n’a été découvert pouvant perm<strong>et</strong>tre d'imputer le crime à <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>... De<br />

multiples témoignages présentent c<strong>et</strong>te jeune femme comme parfaitement normale, tant<br />

en ce qui concerne sa vie conjugale que son comportement de mère. Le couple <strong>Jean</strong>-<br />

<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> - Blaise <strong>Christine</strong> était uni, sans problème particulier, <strong>et</strong> il est exclu que<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> ait pu être l'auteur de la l<strong>et</strong>tre de revendication du crime, exprimant<br />

des sentiments de haine <strong>et</strong> de vengeance, comme il serait erroné de penser <strong>et</strong> de<br />

soutenir qu’elle ait pu téléphoner le 16 octobre 1984 à 17 h 32 dans les termes que l’on<br />

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sait. Le couple, c'est certain, aimait profondément le jeune Grégory, dont certains<br />

témoins ont pu dire ou faire comprendre qu'il était pour ses parents un « enfant roi »...<br />

Le Procureur général fait aussi valoir dans son développement que <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong><br />

n'aurait pas eu le temps matériel pour réaliser le crime. Des chronométrages très précis<br />

l’ont démontré. Par conséquent, impossibilité matérielle de réaliser le crime <strong>et</strong> d'autre<br />

part, absence totale de mobile !<br />

En clair, la partie poursuivante demande l'abandon des poursuites, ce qui constituait<br />

une situation inhabituelle, d'autant plus insolite que les prédécesseurs de <strong>Jean</strong> Steffani<br />

ont argumenté dans un sens tout à fait opposé.<br />

Enfin intervient l'arrêt du 3 février 1993 rendu sous la présidence de <strong>Jean</strong>-Paul Martin,<br />

un arrêt de 93 pages qui constitue une véritable réhabilitation au profit de <strong>Christine</strong><br />

<strong>Villemin</strong>. Tout à l'heure, j’analyserai les grandes lignes de c<strong>et</strong>te décision de justice. Pour<br />

l'instant, disons simplement l'essentiel.<br />

La Cour d'Appel de Dijon indique que la participation de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> à l'assassinat<br />

de Grégory apparaît invraisemblable <strong>et</strong> impossible. La Cour se rallie donc à<br />

l'argumentation du Procureur général. Je dois dire que l'arrêt de non-lieu présente deux<br />

particularités : tout d'abord, le non-lieu a été sollicité par l'ensemble des intervenants à<br />

la procédure. Le non-lieu a été demandé à la fois par les avocats de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong><br />

ce qui est naturel, par le ministère public, ce qui est beaucoup plus insolite <strong>et</strong> également<br />

par la partie civile à savoir les parents de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, alors cependant que les<br />

avocats de c<strong>et</strong>te partie au procès, Paul Lombard <strong>et</strong> Joël Lagrange, n'ont cessé pendant<br />

des années de faire en sorte que la mère de l’enfant assassiné ne soit traduite aux<br />

assises.<br />

Exceptionnelle unanimité pour demander un arrêt de non-lieu !<br />

Autre particularité de l'arrêt du 3 février 1993 : <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> obtient un non-lieu non<br />

pas pour insuffisance des charges, mais pour absence totale des charges, ce qui est<br />

totalement différent <strong>et</strong> me fait dire que nous sommes en face d'un arrêt de réhabilitation<br />

totale de la mère d'un enfant assassiné.<br />

Jacques Leaute, ancien professeur de criminologie très réputé, devenu avocat, ayant<br />

rejoint l'équipe de la partie civile animée par Paul Lombard, très vite convaincu de<br />

l'innocence de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, parfait honnête homme désireux de rendre justice à la<br />

mère de l’enfant, Jacques Leaute, dis-je, demande aux magistrats de la Cour de Dijon<br />

de décerner un non-lieu sans aucune ambiguïté. Il est évident que les défenseurs de<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> appuient fortement la suggestion de l'ancien professeur de droit <strong>et</strong> la<br />

Cour de Dijon nous donne totalement satisfaction.<br />

Non seulement l'arrêt de février 1993 réhabilite entièrement la mère du p<strong>et</strong>it Grégory,<br />

mais encore c<strong>et</strong>te décision de justice se montre sévère pour Bernard Laroche, le<br />

premier inculpé de c<strong>et</strong>te affaire criminelle. Les magistrats de Dijon font valoir qu'il existe<br />

contre Bernard Laroche des charges très sérieuses d'avoir enlevé Grégory <strong>Villemin</strong> le<br />

16 octobre 1984. Ils ajoutent que Muriel Bolle a assisté à l'enlèvement du p<strong>et</strong>it Grégory.<br />

En gardant son neveu Sébastien Laroche présent dans la voiture <strong>et</strong> en rassurant<br />

Grégory <strong>Villemin</strong> par sa présence, elle a facilité l'enlèvement. Peut-être n'a-t-elle pas<br />

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connu le but de l'expédition à laquelle elle a participé. Les magistrats estiment qu'il<br />

n'existe par contre Muriel Bolle des charges perm<strong>et</strong>tant d'envisager des poursuites du<br />

chef de complicité d'enlèvement.<br />

Enfin, la Cour de Dijon indique que <strong>Marie</strong>-Ange Laroche a pu supposer que son mari<br />

Bernard Laroche n'était pas étranger à l'assassinat de l'enfant. Elle a pu s'efforcer de<br />

découvrir une vérité dont elle avait l'intuition <strong>et</strong> de détourner les soupçons pesant sur<br />

son conjoint.<br />

Fin du cauchemar pour <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> après une inculpation qui aura duré huit<br />

années, de 1985 à 1993 !<br />

Je note que la presse donne un faible écho à l'arrêt du 3 février 1993 alors que<br />

l'inculpation de juill<strong>et</strong> 1985 a donné lieu à des débordements honteux. La présomption<br />

d'innocence de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> a été allègrement piétinée <strong>et</strong> ceci principalement pour<br />

de vils motifs mercantiles. Certains journaux ne songeaient qu'à gagner de l'argent<br />

facilement en flattant les mauvais instincts d'un certain lectorat !<br />

Pour autant, les épreuves de <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> ne sont pas terminées <strong>et</strong><br />

je vais rapidement m’en rendre compte au moment du procès aux assises de Dijon de<br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> qui doit répondre de l'assassinat de Bernard Laroche.<br />

Le procès débute le 3 novembre 1993 dans la magnifique salle du palais de justice de<br />

Dijon. Le procès va durer plus de six semaines <strong>et</strong> sera à certains moments d'une<br />

violence difficilement imaginable.<br />

Pourquoi ?<br />

L'enjeu de ce procès tout à fait exceptionnel a été décrit avec beaucoup de lucidité par<br />

Laurence Lacour dans son ouvrage précité : « le père de Grégory pourrait être jugé en<br />

quelques jours ... Mais comment juger c<strong>et</strong> homme sans tenir compte du fond de son<br />

acte, la mort de son propre enfant <strong>et</strong> sa certitude d’en avoir tué l'assassin ? Seule un<br />

long procès perm<strong>et</strong>trait d’évaluer sa responsabilité <strong>et</strong> peut-être, d'éclairer ce dossier au<br />

risque de voir juger la victime à la place de l'assassin. Un péril judiciaire comme<br />

l’institution en a rarement connu ».<br />

Laurence Lacour explique que Olivier Ruyssen, le Président de la Cour d'assises, a<br />

convoqué les avocats des deux parties - la défense de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> d'autre<br />

part, les avocats de la famille de Bernard Laroche - pour connaître leurs souhaits quant<br />

à la nature <strong>et</strong> à la longueur du procès. Mes confrères <strong>et</strong> moi réclamons un examen<br />

exhaustif de l'affaire <strong>et</strong> nous espérons disposer d'une ultime occasion d'approcher la<br />

vérité. Paul Prompt, chef de file des avocats de la partie civile préfère une procédure « a<br />

minima » qui éviterait de s'appesantir sur le rôle éventuel de Bernard Laroche dans la<br />

mort de Grégory.<br />

Le Président tranche : nous aurons un procès long <strong>et</strong> détaillé où tout sera remis à plat.<br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, assassin de Bernard Laroche, sera en position d'accusateur face à<br />

sa victime. La famille de Bernard Laroche, partie civile, sera sur la défensive, cherchant<br />

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à défendre la mémoire de Bernard Laroche. Quel étonnant procès !<br />

Mes confrères, Henri Garaud, <strong>Marie</strong>-<strong>Christine</strong> Chastant, François Robin<strong>et</strong> <strong>et</strong> moi-même,<br />

nous partageons la tâche. Il m'incombe de faire valoir le caractère significatif <strong>et</strong><br />

concordant des éléments d'implication pénale de Bernard Laroche dans la mort du p<strong>et</strong>it<br />

Grégory.<br />

Commentaires de mon confrère Garaud dans son livre de souvenirs : « on avait entendu<br />

aussi le solide Maître Moser qui n'avait pas développé moins de 15 arguments pour dire<br />

sa certitude de la culpabilité de Bernard Laroche, <strong>et</strong> que c'est donc bien l’assassin de<br />

son fils que <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> avait abattu. La plaidoirie construite avec calme, force <strong>et</strong><br />

détermination, me rappelait l'architecture du château du haut-Koenigsbourg de sa terre<br />

alsacienne ».<br />

Je reviendrai tout à l'heure sur le sur le déroulement de ce gigantesque procès. Disons<br />

simplement pour l'instant que le verdict tombe le 16 décembre 1993.<br />

Après plus de six semaines de procès, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> est condamné pour<br />

assassinat sur la personne de Bernard Laroche à cinq ans d'emprisonnement dont un<br />

an avec sursis soit quatre ans d'emprisonnement ferme étant précisé que Jacques<br />

Kohn, l'avocat général, avait réclamé à tout le moins 10 ans de réclusion criminelle en<br />

faisant valoir notamment l'état dangereux de l'accusé <strong>et</strong> l’impossibilité de le rendre<br />

immédiatement à la liberté. Le ministère public n’est donc pas suivi par les juges de la<br />

Cour d'assises de Dijon <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> r<strong>et</strong>rouve définitivement sa liberté 10 jours après<br />

la sentence. Il remplit en eff<strong>et</strong> les conditions pour bénéficier d'une libération<br />

conditionnelle. Le résultat de ce procès a été heureux. Mes confrères <strong>et</strong> moi sommes<br />

soulagés. Bien entendu, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> doit payer à la famille de Bernard Laroche<br />

des dommages intérêts d'un montant relativement substantiel, conformément aux<br />

dispositions légales.<br />

Est-ce la fin de la procédure <strong>Villemin</strong> ? La réponse est négative, comment va le voir.<br />

Au mois de juill<strong>et</strong> 1995, la commission d'indemnisation siégeant à la Cour de cassation<br />

à Paris, alloue à <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> un montant de 410 000 F en réparation du préjudice<br />

résultant de l'incarcération totalement injustifiée pendant une dizaine de jours au mois<br />

de juill<strong>et</strong> 1985, 10 ans plus tôt.<br />

Habituellement, la commission d'indemnisation est beaucoup plus chiche. La justice<br />

semble avoir pris la mesure des graves dysfonctionnements qui ont affecté la conduite<br />

de l’information à Épinal <strong>et</strong> Nancy. Heureusement que le remarquable travail réalisé<br />

Dijon a permis d'interrompre la marche au désastre qui avait débuté dans les Vosges.<br />

J'ajoute que l’indemnité allouée par la Cour de cassation a permis à <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> de<br />

payer une partie des indemnités dues à la famille de Bernard Laroche...<br />

Commence alors une période d'accalmie. Les époux <strong>Villemin</strong> n'ont qu'un seul désir : se<br />

faire oublier, vivre avec leurs trois enfants dans la discrétion <strong>et</strong> la tranquillité. <strong>Christine</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> sont plus que jamais attachés l'un à l'autre. Trois autres enfants sont nés au<br />

sein du couple. Pour autant, Grégory n’est évidemment jamais oublié. Il occupe de<br />

façon constante les pensées de ses parents dont le regr<strong>et</strong> est de n'avoir pu parvenir à la<br />

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manifestation totale de la vérité, malgré des efforts incessants en ce sens.<br />

À la demande des parents de Grégory, j'écris au mois de novembre 1999 à Mme le<br />

Procureur général près la Cour d'Appel de Dijon pour solliciter des investigations<br />

scientifiques visant à déterminer si une expertise ADN est encore techniquement<br />

possible, nonobstant l'ancienn<strong>et</strong>é du crime.<br />

La sollicitation produit ses eff<strong>et</strong>s puisque le 14 juin 2000, la chambre d'accusation de la<br />

Cour d'Appel de Dijon ordonne la réouverture de l’information close, je le rappelle, par<br />

l'arrêt de non-lieu du 3 février 1993.<br />

À c<strong>et</strong>te date, la Cour de Dijon ordonne un supplément d'information à l'eff<strong>et</strong> de procéder<br />

à l'identification par son empreinte génétique de l'expéditeur de la l<strong>et</strong>tre du 27 avril 1983.<br />

Il s'agit donc, en l'an 2000 pour les experts généticiens, de se pencher sur un document<br />

confectionné 17 ans plus tôt par un malfaisant corbeau. Nous pensons que si nous<br />

pouvons, de la sorte, identifier le corbeau ou l'un des corbeaux, nous aurons fait un pas<br />

en avant dans le sens de l'identification de l'assassin de Grégory. Le corbeau n'est pas<br />

forcément l'assassin mais il n'est certainement pas éloigné de celui-ci. <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<br />

<strong>Marie</strong> se rem<strong>et</strong>tent à espérer. Ils voudraient tant que justice soit enfin rendue à leur<br />

enfant.<br />

Malheureusement, au mois d'octobre 2000, les experts du centre hospitalier<br />

universitaire de Nantes, mandatés par la Cour d'Appel de Dijon, déposent un rapport<br />

indiquant que l'ADN visualisé sous un demi timbre, ne peut être interprété. Les<br />

conditions de conservation de la pièce n’ont pas été satisfaisantes. Le document a été<br />

manipulé par de nombreuses personnes. Les scientifiques n'ont pas la possibilité de<br />

travailler dans des conditions de rigueur. Il faut dire qu'à l'époque de l'assassinat de<br />

Grégory, les techniques de police scientifique étaient balbutiantes. Ce rapport négatif<br />

constitue à l'évidence une immense déception pour les parents de l'enfant assassiné <strong>et</strong><br />

pour leurs avocats. Je précise qu'à c<strong>et</strong>te époque, François Corn<strong>et</strong>te de Saint-Cyr,<br />

avocat à Paris, a complété l'équipe de la défense, Henri Garaud étant décédé pendant<br />

l'été 1998.<br />

Voilà pour la chronologie de ce dossier exceptionnel.<br />

Faut-il rappeler l'essentiel ?<br />

- 16 octobre 1984 : assassinat du p<strong>et</strong>it Grégory <strong>Villemin</strong>,<br />

- 29 mars 1985 : assassinat par <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> de Bernard Laroche, le premier<br />

inculpé qui était incarcéré de novembre 1984 à février 1985 ,<br />

- juill<strong>et</strong> 1985 : inculpation de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, la mère de Grégory qui séjourne en<br />

prison pendant 11 jours, la Cour d'Appel de Nancy s’empressant de désavouer le juge<br />

d'instruction d'Épinal en ce qu'il a ordonné l'incarcération de la jeune femme,<br />

- second semestre 1986 : <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> sont renvoyés aux assises<br />

des Vosges, l'un <strong>et</strong> l'autre, chaque fois pour assassinat,<br />

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- premier trimestre 1987 : la Cour de Cassation casse l'arrêt de Nancy renvoyant aux<br />

assises <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>. Le dossier est confié à la chambre d'accusation de la Cour<br />

d'Appel de Dijon qui ordonne un supplément d'information d'une très grande ampleur.<br />

- 3 février 1993 : justice s'est rendue à <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> qui obtient une véritable<br />

réhabilitation à travers un arrêt de non-lieu particulièrement élaboré <strong>et</strong> relativement<br />

sévère pour Bernard Laroche, le premier inculpé de ce tragique dossier.<br />

- fin de l'année 1993 : le procès de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> aux assises de Dijon.<br />

- fin 1999, début 2000. La Cour de Dijon ordonne à la demande des parents, la<br />

réouverture de l'information mais les connaissances scientifiques nouvelles dans le<br />

domaine de la génétique ne perm<strong>et</strong>tent malheureusement pas à la justice de progresser<br />

dans ce dossier.<br />

La chronologie étant rappelée, venons-en maintenant, comme je l'annonçais<br />

précédemment, à l'arrêt de la Cour de Dijon du 3 février 1993. Je n'ai indiqué tout à<br />

l'heure que l'essentiel <strong>et</strong> je voudrais à présent voir les choses d’un peu plus près, encore<br />

qu'il soit très difficile de résumer une décision de justice de 93 pages, des pages très<br />

denses.<br />

La Cour de Dijon énonce tout d'abord que le supplément d'information a été<br />

particulièrement difficile à réaliser pour différents motifs :<br />

- un grand nombre de personnes pouvait être soupçonné d'avoir commis le crime,<br />

- l’enquête initiale présentait des lacunes <strong>et</strong> des insuffisances, sans parler des erreurs<br />

de procédure,<br />

- il existait des dissensions au sein de la famille de la victime. La rivalité qui opposait le<br />

service régional de police judiciaire de Nancy à la gendarmerie a constitué une<br />

regr<strong>et</strong>table difficulté complémentaire.<br />

- des liens unissaient certains enquêteurs à des témoins <strong>et</strong> des journalistes, ce qui ne<br />

constitue pas un climat très sain au regard de la sérénité de l'enquête.<br />

- la Cour de Dijon déplore également les multiples querelles d'experts, les violations<br />

répétées du secr<strong>et</strong> de l'instruction <strong>et</strong> enfin, la médiatisation excessive de c<strong>et</strong>te affaire, ce<br />

dont j'ai déjà parlé.<br />

J'ajoute à c<strong>et</strong> égard que rares ont été les journalistes qui ont su garder la tête froide <strong>et</strong><br />

informer tout en respectant la présomption d'innocence successivement de Bernard<br />

Laroche puis de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>.<br />

La Cour de Dijon indique que du fait de 10 nombreuses difficultés que je viens de<br />

rappeler, des interrogations restent hélas sans aucune réponse, nonobstant les efforts<br />

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immenses pour découvrir la vérité.<br />

Précisément, quelles sont ces interrogations ?<br />

La Cour a indiqué que l’heure du décès de l'enfant demeure ignorée. Nous avons eu à<br />

c<strong>et</strong> égard des rapports très contrastés de la part des médecins légistes.<br />

De même, la cause du décès est incertaine. On s’est posé la question de savoir si<br />

Grégory n'avait pas subi, avant d'être j<strong>et</strong>é à l'eau, une piqûre d'insuline au moyen de la<br />

seringue <strong>et</strong> du flacon découverts quelques jours après l'assassinat par un garde<br />

champêtre. Une injection de ce produit aurait pu plonger la victime dans le coma <strong>et</strong><br />

rendre sa noyade aisée.<br />

Selon la Cour de Dijon, l'eau dans laquelle l'enfant a été asphyxié n'est pas davantage<br />

connue. Grégory a-t-il été noyé dans la Vologne ou, éventuellement, dans une<br />

baignoire avant d'être précipité dans un second temps, dans la rivière ?<br />

Le lieu d'immersion de Grégory n'a pas pu être déterminé avec certitude. Le Président<br />

Maurice Simon a procédé, au mois de novembre 1987, à une longue <strong>et</strong> minutieuse<br />

reconstitution du traj<strong>et</strong> éventuellement suivi par le corps de l'enfant jusqu'au lieu de sa<br />

découverte. C<strong>et</strong>te mesure n'a pas été probante, malheureusement, pour différentes<br />

raisons. Un mannequin n'a évidemment pas le même comportement qu'un corps<br />

humain. D'autre part, des travaux réalisés après le crime avaient modifié le Cours de la<br />

Vologne.<br />

On s’est interrogé aussi sur la réalité de l'appel téléphonique qui aurait été adressé le 16<br />

octobre 1984, après 17 heures, à Michel, le frère de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong>.<br />

Des questions se posent aussi quant à l’heure à laquelle la l<strong>et</strong>tre de revendication du<br />

crime a été déposée à la poste de Lepanges le 16 octobre 1984. On a beaucoup glosé<br />

sur la mention d'oblitération.<br />

La Cour de Dijon fait valoir que d'autres incertitudes subsistent, concernant notamment<br />

l'auteur des Appels téléphoniques, l'auteur des l<strong>et</strong>tres anonymes <strong>et</strong> celui du crime.<br />

Il me paraît certain qu'une enquête qui débute dans de mauvaises conditions est vouée<br />

à l'échec. Je dois malheureusement rappeler les propos tenus à c<strong>et</strong> égard par Jacques<br />

Kohn, ministère public, au moment du procès de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>. Le magistrat du<br />

parqu<strong>et</strong> a très exactement indiqué ceci : « il ne m'est pas possible, ici, de masquer les<br />

erreurs commises par le premier magistrat instructeur. Il a accumulé, en quelques jours,<br />

<strong>et</strong> dès le moment de l'autopsie, des erreurs d'ordre technique <strong>et</strong> d'ordre juridique trop<br />

nombreuses pour qu'il me soit possible d'en dresser l'inventaire. Je ne me sens<br />

d'ailleurs aucun goût pour ce genre d'exercice <strong>et</strong> je veux croire que M. Lambert,<br />

mémorable funambule de la pensée, malgré ses pertes de mémoire, malgré son<br />

indifférence euphorique, a conscience des catastrophes dont il a été indirectement la<br />

cause ».<br />

Une charge vraiment exceptionnelle de la part d'un magistrat contre un autre magistrat,<br />

en pleine audience publique <strong>et</strong> dans le cadre des réquisitions dirigées contre l'accusé<br />

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<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> !<br />

Après avoir rappelé ce que j'ai brièvement résumé, les trois magistrats de la Cour de<br />

Dijon examinent longuement les charges r<strong>et</strong>enues par la Cour d'Appel de Nancy contre<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, laquelle avait été, je le rappelle, renvoyée aux assises des Vosges,<br />

l'arrêt de Nancy étant par bonheur cassé au printemps 1987.<br />

Difficile de relater les différentes charges de façon précise <strong>et</strong> détaillée. Ce serait<br />

d'ailleurs fastidieux, l'essentiel étant de se rappeler que, à l'issue des investigations de<br />

Maurice Simon, la justice a reconnu sans aucune hésitation, l’innocence absolue de la<br />

mère de Grégory.<br />

J’indiquerai donc ce qui me paraît le plus significatif.<br />

L'accusation disait à <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> ceci : vous prétendez qu'un tiers non identifié<br />

s'est emparé de l'enfant qui jouait devant votre maison alors que vous faisiez du<br />

repassage à l’intérieur. Or, votre maison est isolée. Elle se trouve exposée à la vue de<br />

tout un chacun. Nous n’avons constaté aucun visiteur suspect autour de votre maison.<br />

Qui donc aurait pu déplacer l'enfant à la rivière si ce n'est vous ?<br />

C<strong>et</strong>te argumentation apparemment de bon sens s'est avérée totalement fausse. C'est à<br />

présent que j'évoque les révélations que me fait à l'automne 1990, à mon cabin<strong>et</strong>, Mme<br />

Charlotte Conreaux. Qui est c<strong>et</strong>te dame ?<br />

Le couple Conreaux a ach<strong>et</strong>é fin 1985, le chal<strong>et</strong> des époux <strong>Villemin</strong> à Lepanges-sur-<br />

Vologne. Mme Conreaux à un litige d'ordre commercial en Alsace <strong>et</strong> elle me choisit<br />

comme avocat. À l'occasion d'une visite à Mulhouse, elle évoque spontanément le<br />

dossier <strong>Villemin</strong>, alors qu'elle est venue pour parler de son dossier personnel. Elle me<br />

demande si Mme Claudon a enfin révélé à la justice ce qu'elle savait. Que sait donc<br />

Mme Claudon qui est une fermière voisine du chal<strong>et</strong> <strong>Villemin</strong> ?<br />

Mme Conreaux fait état devant moi de confidences très importantes qu'elle a reçues de<br />

la fermière. En substance, Mme Claudon aurait dit à Mme Conreaux avoir aperçu<br />

Bernard Laroche <strong>et</strong> Murielle Bolle dans leur voiture le jour <strong>et</strong> à l'heure de l'enlèvement<br />

de Grégory. Mme Claudon aurait aperçu la voiture de Laroche à proximité du chal<strong>et</strong> des<br />

parents de Grégory.<br />

Je suis abasourdi <strong>et</strong> j'invite Mme Conreaux à rédiger sur le champ une relation écrite<br />

que j'adresse par télécopie au Président Martin à Dijon, qui a succédé depuis peu au<br />

Président Simon. Passons sur les investigations multiples qui suivent. R<strong>et</strong>enons<br />

simplement que, pour la Cour de Dijon, Charlotte Conreaux a été un témoin Courageux<br />

au civisme de laquelle la Cour a rendu hommage. Ce que j'indique apparaît en toutes<br />

l<strong>et</strong>tres dans l'arrêt du 3 février 1993. Nous avions donc un élément démontrant d'une<br />

part l'inanité de l'argumentation développée contre la mère de l'enfant <strong>et</strong> d'autre part,<br />

fortifiant les charges d'ores <strong>et</strong> déjà rassemblées contre Bernard Laroche.<br />

On reprochait aussi à <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> une discordance troublante entre ses relations<br />

sur son emploi du temps le jour du crime, peu avant 17 heures, à sa sortie de la<br />

manufacture vosgienne de confection où elle travaillait <strong>et</strong> le récit de différents témoins, à<br />

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savoir des collègues de travail que nous avons fini par appeler « les filles de la poste »,<br />

pour les raisons que le lecteur comprendra immédiatement.<br />

Le récit de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> était le suivant : « après mon travail, j'ai pris la direction de<br />

Docelles pour me rendre aux HLM Gais champs où habitait la gardienne de Grégory.<br />

J'ai cherché mon enfant <strong>et</strong> je suis rentrée chez moi. J'ai fait du repassage <strong>et</strong> mon p<strong>et</strong>it<br />

jouait à l'extérieur du pavillon. J'en ensuite constaté sa disparition... ».<br />

Des collègues de travail affirment au contraire avoir vu <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> se diriger vers<br />

Bruyères à 16 H 52 c'est-à-dire vers la poste de Lepanges. Trois autres collègues disent<br />

avoir aperçu la mère de Grégory devant la poste. On la verrait m<strong>et</strong>tre un pli dans la<br />

boîte aux l<strong>et</strong>tres. En clair, l'accusation aurait établi que la mère de Grégory avait posté<br />

une l<strong>et</strong>tre à l'instant même où l'assassin avait posté le sinistre message de<br />

revendication réceptionné par <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> le lendemain de l'assassinat.<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> disait être passée à la poste le 15 octobre 1984, la veille de<br />

l'assassinat, pour poster une l<strong>et</strong>tre à l'intention de la société de vente par<br />

correspondance LE VERT BAUDET. C<strong>et</strong>te assertion fit l'obj<strong>et</strong> de vérifications positives.<br />

La déposition des « filles de la poste » constituait une charge considérable à l'encontre<br />

de <strong>Christine</strong>, charge qui fut balayée dans le cadre du supplément d'information diligenté<br />

par le Président Simon.<br />

En substance, certaines jeunes femmes ont admis une confusion entre le 15 <strong>et</strong> le 16<br />

octobre 1984. La reconstitution démontra que certains témoins ne pouvaient pas avoir<br />

vu ce qu'ils indiquaient eu égard à la configuration des lieux. Il a été démontré aussi que<br />

Sandrine L., la première jeune femme ayant prétendu 10 jours après le crime, avoir vu<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> le 16 octobre 1984 vers 17 heures devant la poste de Lepanges, était<br />

en mauvais termes avec l’inculpée à laquelle elle n’adressait pas la parole.<br />

L'arrêt du 3 février 1993 indique ceci : « plusieurs des témoignages qui accusaient<br />

l'inculpée ont donc été détruits <strong>et</strong> le crédit qui s'attache aux autres se trouve grandement<br />

fragilisé ».<br />

Autre grief contre la mère de Grégory : la déposition de Bernard Colin, un homme qui,<br />

demeurant à Lepanges, promenait son chien le 16 octobre 1984 dans la forêt située audelà<br />

du domicile des époux <strong>Villemin</strong>.<br />

A 17 heures, le témoin est dépassé rue des champs par la voiture de <strong>Christine</strong> qui<br />

rentre chez elle en compagnie de son fils. 200 m plus loin, le promeneur passe devant le<br />

pavillon <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> il ne remarque ni la voiture de la mère, ni l’enfant qui pourtant à<br />

l'habitude de venir caresser le chien du témoin.<br />

Force est de constater que lors de sa première audition par la gendarmerie, le 22<br />

novembre 1984, Bernard Colin a simplement déclaré qu'il n'avait pas fait attention à la<br />

présence de la voiture. Celle-ci pouvait se trouver dans le garage. D'autre part, Grégory<br />

pouvait se trouver soit à l'intérieur de la maison ou alors, jouer derrière le bâtiment. Le<br />

grief est véritablement inconsistant <strong>et</strong> cependant, à une certaine époque, les<br />

accusateurs de la mère en font grand cas de façon tout à fait abusive.<br />

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Il a été beaucoup question aussi des chronométrages qui selon l'accusation dirigée<br />

contre la mère, auraient démontré que celle-ci disposait du temps nécessaire pour<br />

assassiner son fils entre 17 heures <strong>et</strong> 17 h 30.<br />

Elle aurait pu également téléphoner de son domicile à son beau-frère Michel <strong>Villemin</strong><br />

pour délivrer l'odieux message que l'on sait. Ce schéma de l'accusation supposait, selon<br />

la Cour de Dijon, un enchaînement d'actions accomplies avec une extrême célérité,<br />

sans aucun temps mort, sans le moindre incident de parcours <strong>et</strong> sans la plus légère<br />

hésitation. Qui plus est, ce schéma était parfaitement impossible ainsi que démontré par<br />

les investigations du Président Simon.<br />

À c<strong>et</strong> égard, la défense de <strong>Christine</strong> disposait par bonheur d'un élément objectif très<br />

solide à savoir les indications du contrôlographe de l'autobus de ramassage scolaire<br />

conduit par Christian Claudon, le fils de la fermière dont j'ai parlé précédemment. Les<br />

expertises ont démontré que le 16 octobre 1984, l'autobus était de r<strong>et</strong>our à la ferme des<br />

époux Claudon à 17 h 32 minutes <strong>et</strong> 41 secondes. Il est constant qu’à c<strong>et</strong> instant,<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> qui revenait des HLM Gais champs - elle cherchait avec angoisse son<br />

enfant disparu - se trouvait immobilisée rue des Bosqu<strong>et</strong>s au niveau de la ferme des<br />

époux Claudon, par le troupeau de vaches qui barrait la chaussée. Par conséquent, la<br />

mère ne pouvait être l'auteur de l'Appel téléphonique adressé au même instant à Michel<br />

<strong>Villemin</strong>.<br />

À noter aussi que <strong>Christine</strong>, en cherchant l’enfant chez la gardienne, avait annoncé à<br />

celle-ci son intention de repasser du linge. Or, les gendarmes qui se présentent au<br />

pavillon <strong>Villemin</strong> le soir du 16 octobre 1984, constatent effectivement la présence du<br />

linge fraîchement repassé.<br />

Venons-en à présent à l’interminable discussion sur l'identification de la voix du<br />

corbeau. Le corbeau est-il un homme ou une femme ?<br />

Des experts se succèdent <strong>et</strong> arrivent à des conclusions contrastées <strong>et</strong> contradictoires.<br />

Le Président Simon mandate un expert de Lyon <strong>et</strong> celui-ci écoute pendant des<br />

centaines d'heures des cass<strong>et</strong>tes enregistrées.<br />

L'expert s'appuie sur les timbres <strong>et</strong> le rythme des voix. Il prend aussi en considération la<br />

teneur des propos <strong>et</strong> la manière de les exprimer. L'homme de l’art estime que les<br />

communications anonymes sont l'oeuvre de deux personnes différentes. Tout cela est<br />

très confus <strong>et</strong> je ne discerne pas comment les accusateurs de la mère de l'enfant<br />

peuvent en tirer des conclusions contre la malheureuse.<br />

L'accusation dirigée contre la mère disait aussi que celle-ci serait pratiquement la seule<br />

à connaître certains faits rapportés par le corbeau. Des investigations très détaillées<br />

perm<strong>et</strong>tront de démontrer que c<strong>et</strong>te assertion était totalement infondée <strong>et</strong> partant, les<br />

conclusions que certains croyaient pouvoir en tirer. La Cour de Dijon rappelle qu'il y a eu<br />

environ un millier d'Appels du corbeau alors que le S.R.P.J. de Nancy n'en a répertorié<br />

que 87 dans un document d'une objectivité très discutable... La Cour relève aussi que le<br />

cahier sur lequel la mère de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> notait les communications téléphoniques<br />

anonymes, s'est révélé très incompl<strong>et</strong>, qui plus est tronqué puisque la majorité des<br />

feuill<strong>et</strong>s avait disparu.<br />

Autre discussion : le nombre des unités de base de la consommation téléphonique des<br />

époux <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> aurait augmenté de manière considérable <strong>et</strong> inexpliquée lors<br />

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des périodes de grande activité du corbeau. Encore un argument présenté comme<br />

décisif par les accusateurs de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> alors que les vérifications réalisées par<br />

Maurice Simon ont démontré l’incohérence <strong>et</strong> l'inanité de ce moyen.<br />

J'en arrive à présent à la querelle très intense au suj<strong>et</strong> de l'examen par les experts ou<br />

présumés tels, des l<strong>et</strong>tres anonymes du corbeau, je veux parler des l<strong>et</strong>tres des 4 mars<br />

1983, 27 avril 1983, 17 mai 1983 <strong>et</strong> enfin <strong>et</strong> surtout 16 octobre 1984.<br />

Là encore, une immense confusion <strong>et</strong> des experts en désaccord soit dans leurs<br />

conclusions, soit dans les techniques d'expertises qui sont mises en oeuvre.<br />

Il est impossible d'entrer dans les détails eu égard à la complexité de la question.<br />

Disons simplement qu'il a fallu des années pour réaliser la légèr<strong>et</strong>é avec laquelle la<br />

mère de l'enfant a été accusée d'assassinat sur la base de mesures expertales tout<br />

particulièrement discutables. Un immense gâchis de mon point de vue !<br />

Une autre controverse, non moins éclatante : la découverte <strong>et</strong> l'analyse des cordel<strong>et</strong>tes.<br />

Je rappelle que le 15 avril 1985, 6 mois après l'assassinat, le service régional de police<br />

judiciaire de Nancy découvre au domicile de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>et</strong> <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> des<br />

cordel<strong>et</strong>tes semblables à celles ayant servi à ligoter Grégory.<br />

Ce type de ficelle serait peu Courant dans la région selon l'accusation. Dans un rapport<br />

du 4 juill<strong>et</strong> 1985, deux experts indiquent que les cordel<strong>et</strong>tes découvertes sont<br />

rigoureusement identiques aux liens de la victime. <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> est inculpée<br />

d’assassinat <strong>et</strong> précipitée en prison le lendemain 5 juill<strong>et</strong> 1985. Une longue discussion<br />

s'engage qu’il est impossible de résumer en quelques lignes.<br />

Certains journalistes accusent le S.R.P.J. de Nancy d’avoir fabriqué des preuves pour<br />

accabler <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>. Disons simplement que, dans l'arrêt du 3 février 1993, la<br />

Cour de Dijon conclut de la manière suivante : « en définitive, il est, en l'état, impossible<br />

d'affirmer que <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> détenait au moment du crime une cordel<strong>et</strong>te semblable<br />

à celle ayant ligoté son fils <strong>et</strong> qu'elle était la seule à la posséder ».<br />

Résumons une fois encore en précisant que, selon les magistrats dijonnais, aucun des<br />

25 éléments de conviction initialement r<strong>et</strong>enus par le ministère public à l'encontre de<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> ne justifie le renvoi de celle-ci devant la juridiction de jugement.<br />

Les magistrats dijonnais relèvent que la longue instruction complémentaire menée à<br />

Dijon n'a apporté aucune charge nouvelle contre la mère. Elle a démontré au contraire<br />

l'absence de mobile du crime imputé à <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>. La vie privée de la mère de<br />

Grégory a été explorée avec une extrême minutie. Les témoins ont souligné l'intérêt que<br />

<strong>Christine</strong> portait à son fils, les gestes les mots d'affection qu’elle prodiguait à son enfant.<br />

<strong>Christine</strong> racontait les espiègleries de Grégory avec une fierté amusée. Les juges de<br />

Dijon disent ceci : « Grégory, qui a été qualifié d'enfant roi, était en avance pour son<br />

âge, plein de vie, intelligent, épanoui <strong>et</strong> il donnait l'impression d'être heureux <strong>et</strong> choyé,<br />

ce qui n’eût pas été le cas s'il avait été mal aimé... Le couple qui gagnait largement sa<br />

vie était bien logé, n'avait pas de problème financier ou familial qui aurait pu inciter<br />

l'épouse à faire disparaître son fils ».<br />

La Cour de Dijon relève que le commissaire Corazzi du service régional de police<br />

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judiciaire de Nancy, principal artisan des accusations portées contre la mère, a dû<br />

adm<strong>et</strong>tre l'absence de mobile à l'assassinat de l’enfant par <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>.<br />

L'état psychologique de l'inculpée fait l'obj<strong>et</strong> d'investigations répétées <strong>et</strong> approfondies.<br />

La malheureuse <strong>Christine</strong> subit les questions de 11 experts ! Parisiens <strong>et</strong> Lyonnais, pas<br />

moins, dans le domaine psychiatrique <strong>et</strong> psychologique. La mère ne présente aucune<br />

particularité de naturel à expliquer de près ou de loin le crime. Elle ne présente<br />

évidemment aucun trouble mental ou aucun trait de caractère de nature à susciter<br />

l'inquiétude ou simplement la perplexité.<br />

Les appréciations des experts sont globalement confirmées par les enquêtes relatives à<br />

la personnalité de <strong>Christine</strong>. L'enfance, la scolarité, la vie conjugale <strong>et</strong> professionnelle<br />

de l'inculpée ne recèlent rien d'anormal ou de pervers <strong>et</strong> donnent au contraire l’image<br />

d’une jeune femme équilibrée. Au plan professionnel, elle est considérée comme une<br />

bonne couturière consciencieuse.<br />

Et la Cour d'Appel de Dijon de conclure ainsi : « toutes les investigations menées en<br />

direction de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> étant demeurées infructueuses <strong>et</strong> tendant au contraire à<br />

rendre à la fois invraisemblable <strong>et</strong> impossible sa participation à l'assassinat litigieux, la<br />

Cour doit examiner les charges pesant sur des tiers ».<br />

L'arrêt de Dijon examine effectivement les charges pesant sur Bernard Laroche, le<br />

premier inculpé. « Il est toutefois nécessaire d'examiner les charges pesant sur celui-ci<br />

puisque la chambre d'accusation de Nancy dont le ministère public avait, un temps,<br />

adopté les motifs, a considéré qu'elles étaient inexistantes afin de concentrer tous les<br />

soupçons sur <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong>, le cas échéant, en vue de rechercher s’il n’aurait pas<br />

eu des complices ou des co-auteurs qui resteraient à découvrir ».<br />

Les magistrats de Dijon, à l'issue de l'extraordinaire supplément d'information mené par<br />

Maurice Simon, aboutissent à des conclusions à l'opposé de celle des juges de Nancy<br />

qui avaient ordonné le renvoi aux assises de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>.<br />

Il me paraît impossible de résumer en quelques lignes les charges à l'encontre de<br />

Bernard Laroche. Rappelons simplement que selon les juges de Dijon, il existe contre le<br />

cousin de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> des charges très sérieuses d'avoir enlevé Grégory<br />

<strong>Villemin</strong> le 16 octobre 1984. Et la Cour d'Appel de Dijon d'ajouter ceci à l'issue de sa<br />

réflexion : «... En revanche les raisons profondes de la haine qui semble avoir dicté ce<br />

crime demeurent incertaines pour ne pas dire inconnues <strong>et</strong>, en l'état il est impossible<br />

d'affirmer que Grégory <strong>Villemin</strong> dont la mort demeure toujours entourée de mystère, a<br />

été tué par Bernard Laroche sur lequel d'excellents renseignements ont été recueillis <strong>et</strong><br />

que ses proches disent incapables d'avoir assassiné un enfant ».<br />

S'agissant des charges pesant sur Murielle Bolle, la Cour de Dijon fait valoir que la<br />

belle-soeur de Bernard Laroche a bien assisté à l'enlèvement de Grégory <strong>Villemin</strong>. En<br />

gardant son neveu Sébastien <strong>et</strong> en rassurant la victime Grégory par sa présence, elle a<br />

facilité l'enlèvement. Et la Cour d'ajouter : « en revanche il n'est pas établi qu'elle ait su,<br />

avant d'apprendre le lendemain par la lecture des journaux, la mort de Grégory <strong>Villemin</strong>,<br />

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le but de l'expédition à laquelle elle avait participé. Rien dans ses aveux à la<br />

gendarmerie, au juge Lambert <strong>et</strong> Louis<strong>et</strong>te Jacob ne perm<strong>et</strong> de penser qu'elle ait eu<br />

conscience de favoriser le rapt d'un enfant <strong>et</strong> son assassinat. Les confidences de<br />

<strong>Jean</strong>nine Bolle à son infirmière <strong>et</strong> les renseignements fournis par celle-ci confortent<br />

c<strong>et</strong>te opinion. Murielle Bolle aimait en eff<strong>et</strong> beaucoup les enfants <strong>et</strong> elle a été<br />

bouleversée à l'annonce du décès de Grégory <strong>Villemin</strong> ».<br />

Les juges de Dijon rappellent que, certes, Murielle Bolle a été soupçonnée d'avoir pris<br />

une part active à la disparition de Grégory en lui injectant une dose d'insuline peut être<br />

mortelle, en tout cas suffisante pour l'avoir plongé dans un coma ayant facilité la<br />

noyade. La Cour de Dijon rappelle la découverte du flacon d'insuline <strong>et</strong> de la seringue à<br />

proximité du lieu d'immersion possible de Grégory pour conclure finalement comme suit<br />

: «... En l'absence d'autres indices <strong>et</strong> de témoignages il est impossible d'imputer une<br />

telle injection à Murielle Bolle qui, à s'en tenir à la déposition de Mme Golbain, ne savait<br />

pas encore faire des piqûres à sa mère au mois d'octobre 1984. Même si elle avait<br />

piqué Grégory <strong>Villemin</strong>, il est douteux que c<strong>et</strong>te jeune fille de 15 ans, peu instruite, ait<br />

compris le but <strong>et</strong> les conséquences de l'acte demandé par son beau-frère ».<br />

Concernant les charges pesant sur <strong>Marie</strong> Ange Laroche, les trois juges dijonnais font<br />

valoir que l'épouse de Bernard Laroche a pu supposer que son mari n'était pas étranger<br />

à l'assassinat de Grégory. Elle a pu s'efforcer de découvrir une vérité dont elle avait<br />

l'intuition <strong>et</strong> de détourner les soupçons qui auraient pu peser sur son conjoint <strong>et</strong> par<br />

ricoch<strong>et</strong> sur elle. Pour autant, elle n’est pas impliquée de près ou de loin dans l'affaire<br />

criminelle. Les magistrats de Dijon ajoutent ceci : « l'assassinat de son mari par <strong>Jean</strong>-<br />

<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> n'a pu que la conforter dans ce réflexe de défense <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te quête des<br />

informations qui ne constituent pas contre elle des éléments à charge. Même si elle a<br />

percé tout ou partie du secr<strong>et</strong> de la mort de Grégory <strong>Villemin</strong>, il serait vain d'espérer en<br />

obtenir la révélation par de nouvelles auditions de ce témoin. À l'heure actuelle aucune<br />

investigation ne saurait être entreprise utilement dans sa direction ».<br />

La Cour d'Appel de Dijon examine aussi la question de savoir s'il existe des charges<br />

pesant sur d'autres personnes. Nous avons effectivement au dossier des éléments<br />

troublants mais véritablement, le supplément d'information est allé aussi loin que<br />

possible <strong>et</strong> la Cour d'Appel de Dijon doit se résigner à faire in fine le constat suivant :<br />

« Tant que les témoins qui prétendent ne rien savoir où donnent des faits des versions<br />

apparemment contraires aux autres résultats de l'instruction, notamment Murielle Bolle<br />

<strong>et</strong> les membres de la famille Claudon, demeureront soumis aux pressions qui s'exercent<br />

sur eux, aucune nouvelle audition, confrontation ou autre investigation ne réussira à<br />

vaincre leur obstination <strong>et</strong> à dissiper les brumes épaisses qui subsistent encore ».<br />

Résumons-nous :<br />

- <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> obtient justice en ce sens que son innocence est proclamée avec<br />

éclat <strong>et</strong> sans aucune ambiguïté,<br />

- pour autant, Grégory <strong>Villemin</strong> n'obtient pas justice puisque le mystère de son<br />

assassinat odieux n'est pas éclairci malgré des efforts considérables accomplis par la<br />

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justice dijonnaise.<br />

La décision du 3 février 1993, je l'ai déjà dit, suscite un écho médiatique bien moindre<br />

que le placement en détention provisoire ignominieux de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, huit ans plus<br />

tôt, au mois de juill<strong>et</strong> 1985. Il y aurait beaucoup à dire à ce suj<strong>et</strong>.<br />

Je suis convaincu qu'aujourd'hui encore, de nombreuses personnes croient à la<br />

culpabilité de la malheureuse mère sur la base de souvenirs tronqués <strong>et</strong> incompl<strong>et</strong>s. La<br />

justice a été rendue à <strong>Christine</strong> au plan judiciaire, sans doute, mais pas au plan<br />

médiatique. Vaste débat !<br />

Au printemps 1993, la défense de <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> est heureuse <strong>et</strong><br />

soucieuse, heureuse d'avoir obtenu la réhabilitation de la mère de Grégory, soucieuse<br />

face à la perspective du procès de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>. Nous attendons de ce procès<br />

d'une part, un dénouement heureux pour le père de Grégory <strong>et</strong> d'autre part <strong>et</strong> surtout, la<br />

possibilité de faire jaillir la vérité sur la mort de Grégory à travers le débat oral <strong>et</strong><br />

contradictoire dont nous savons qu’il va durer plusieurs semaines <strong>et</strong> qu’il sera<br />

fréquemment violent.<br />

Palais de justice de Dijon, début novembre 1993 :<br />

Les deux équipes d'avocats sont prêtes à en découdre. D'un côté, les avocats de <strong>Jean</strong>-<br />

<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, mes confrères Garaud, Chastant, Robin<strong>et</strong> <strong>et</strong> moi-même. De l'autre côté,<br />

les avocats de la famille de Bernard Laroche, Hubert de Montille, Paul Prompt, Gérard<br />

Welzer <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-Paul Teissonniere.<br />

Les deux derniers sont des avocats subtils dont il nous faudra nous méfier. Paul Prompt,<br />

le chef de file de la partie civile semble en permanence rempli de fureur contre <strong>Jean</strong>-<br />

<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> les avocats de celui-ci. L'ambiance est lourde. Nombreux sont les<br />

journalistes, près de 80 si ma mémoire est fidèle.<br />

Parmi eux, <strong>Jean</strong>-Claude Hauck, malheureusement décédé aujourd'hui, envoyé spécial<br />

du républicain lorrain de M<strong>et</strong>z. Tenace <strong>et</strong> solitaire, ce journaliste de qualité a signé<br />

pendant plusieurs années des articles à contre-courant qui ont sauvé l'honneur de la<br />

presse française. Il est à l'origine des interrogations sur les conditions dans lesquelles<br />

ont été pratiquées les perquisitions ayant permis la découverte des cordel<strong>et</strong>tes au chal<strong>et</strong><br />

<strong>Villemin</strong> plusieurs mois après l’assassinat de Grégory.<br />

Le procès connaîtra de nombreux temps forts.<br />

En liberté depuis Noël 1987, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> a dû se constituer prisonnier la veille<br />

de l'audience. Il passe ses nuits à la prison de Dijon pendant la durée du procès. Il<br />

comparait derrière une vitre pare-balles qui a été spécialement aménagée pour la<br />

circonstance.<br />

Ambiance tendue dès le premier jour dés lors que Bernard Laroche est mis en<br />

accusation à travers une discussion juridique sur la recevabilité de la constitution de<br />

partie civile de Murielle Bolle, la belle-soeur du premier inculpé. Immédiatement, une<br />

ambiance électrique.<br />

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Le second jour du procès, nous assistons à la confession pathétique d'un père déchiré<br />

pour reprendre l'expression de Valérie Antoniol, qui couvre le procès pour le compte du<br />

bien public. Le coeur brisé, totalement habité par son enfant disparu, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong><br />

sanglote devant la Cour d'assises. Il va s’exprimer pendant une heure de temps sans<br />

jamais être interrompu. Un monologue long <strong>et</strong> douloureux notamment lorsque le père de<br />

l’enfant assassiné explique son arrivée sur le lieu de découverte de Grégory : « Je suis<br />

arrivé dans la nuit. Dans un baraquement on m’a montré mon fils sous une couverture.<br />

Alors, j'ai juré que j'allais tuer celui qui a fait ça ». Et <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> d'ajouter un peu plus<br />

loin : « s'il n'y avait pas eu c<strong>et</strong> amour entre <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> moi, on n’aurait pas pu survivre<br />

». À la question du Président de savoir si l'accusé a des doutes sur la culpabilité de<br />

Bernard Laroche dans l'assassinat de Grégory, la réponse fuse immédiatement : «<br />

absolument pas ! ».<br />

Le lendemain, comparution à la barre des témoins, de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> qui est<br />

attendue avec l’impatience que l'on peut deviner. Le Président Ruyssen interroge la<br />

femme de l'accusé sur sa vie de couple <strong>et</strong> sur la vie familiale en général en faisant<br />

volontairement abstraction pour l'instant de la journée du crime.<br />

« Il est très douloureux pour moi de parler des moments heureux que nous avons vécu<br />

ensemble, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>et</strong> moi... <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> semble dur en apparence mais il est en<br />

réalité tendre <strong>et</strong> juste... Grégory était un enfant affectueux <strong>et</strong> qui aimait les autres ».<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> fond en larmes en faisant le récit du très long calvaire subi par le<br />

couple. Elle évoque l'incarcération provisoire de son époux : « pendant 33 mois, nous<br />

avons vécu, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>et</strong> moi, au rythme du facteur <strong>et</strong> des clés des gardiens de prison<br />

pour aller au parloir ».<br />

Les neufs jurés - cinq hommes <strong>et</strong> quatre femmes - écoutent avec une attention<br />

soutenue. Ils prennent des notes <strong>et</strong> sont visiblement en proie à une grande émotion.<br />

Les nombreux badauds se pressent sur les marches du palais de justice pour tenter<br />

d'accéder à la salle d'audience. Certains curieux patientent pendant des heures,<br />

fréquemment en vain.<br />

Un face-à-face très dur entre <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>et</strong> sa mère Monique <strong>Villemin</strong>, l'accusé étant<br />

convaincu que sa mère possède des informations importantes sur le crime, des<br />

informations que Monique <strong>Villemin</strong> aurait toujours pris soin de dissimuler,<br />

essentiellement pour protéger Michel <strong>Villemin</strong>, frère de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong>, Michel qui était lié<br />

d'amitié avec Bernard Laroche.<br />

Le Président Ruyssen fait beaucoup d'efforts pour tenter de favoriser le dialogue <strong>et</strong><br />

parvenir à la manifestation de la vérité. Pour ce grand magistrat, c'est un peu le procès<br />

de la dernière chance. « Il n'y a que la vérité qui puisse apporter un peu de paix dans<br />

tous ces malheurs... ».<br />

Le cinquième jour du procès, audition de Michel <strong>Villemin</strong>, un témoin important dans la<br />

mesure notamment où il dit avoir reçu le 16 octobre 1984 vers 17 h 30 un appel<br />

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téléphonique du corbeau assassin.<br />

Michel peut-il fournir des informations pour identifier le corbeau malfaisant qui savait<br />

pratiquement tout ce qui se passe dans la famille <strong>Villemin</strong>, dans le couple Albert <strong>et</strong><br />

Monique <strong>Villemin</strong> ?<br />

Le témoin est nerveux <strong>et</strong> crispé, sur la défensive. Il est interpellé par <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong><br />

<strong>Villemin</strong> qui l’exhorte à dire tout ce qu'il sait.<br />

Le lendemain, nous auditionnons les cass<strong>et</strong>tes enregistrées de la voix du corbeau qui<br />

sévissait dans les Vosges au sein de la famille <strong>Villemin</strong>.<br />

Nous découvrons une voix lente <strong>et</strong> rauque, très angoissante. Gérard Welzer demande à<br />

la Cour d'assises d'ordonner une nouvelle expertise de la voix du corbeau en s'appuyant<br />

sur des techniques scientifiques récentes. La défense de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> souscrit à<br />

la proposition à condition qu’il soit démontré au préalable l'efficacité des moyens<br />

scientifiques récents. La Cour d'assises, pour s'en assurer, convoque un technicien de<br />

Besançon. Celui-ci n'est pas très convaincant <strong>et</strong> le proj<strong>et</strong> n'aura dès lors aucune suite.<br />

On évoque ensuite le climat des débuts de l'enquête sitôt après le crime. Il est<br />

beaucoup question du rôle très discutable de la presse. On fait état de l'action de<br />

certains journalistes qui voulaient mener l'enquête aux côtés de la gendarmerie, le tout<br />

en l'absence de la rigueur la plus élémentaire.<br />

Audition d'un journaliste de Paris-Match qui a donné connaissance à <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<br />

<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> de certains éléments du dossier, d'où une réaction vive de l'avocat<br />

général Kohn : « Vous ne croyez pas que vous avez d'une certaine façon, armé le bras<br />

de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> ? ».<br />

Audition du capitaine Étienne Sesmat, qui a dirigé l'enquête <strong>et</strong> qui, pour témoigner, vient<br />

tout spécialement de Nouméa.<br />

Le militaire injustement critiqué par certains, évoque l'isolement dans lequel se<br />

trouvaient les gendarmes par rapport à <strong>Jean</strong>-Michel Lambert, le juge instruction<br />

d'Épinal. Aucune coordination sérieuse entre le magistrat responsable de l'enquête <strong>et</strong><br />

ses auxiliaires, les gendarmes travaillant dans le cadre de la commission rogatoire.<br />

Étienne Sesmat rappelle que, notamment, les gendarmes ont appris par voie de presse<br />

la mise en liberté de Bernard Laroche début février 1985. Henri Garaud dira que la<br />

gendarmerie se trouvait en chômage technique du fait du juge d’instruction.<br />

Le lecteur sait que, au mois de février 1985, la gendarmerie qui fait l'obj<strong>et</strong> de critiques<br />

de la part du juge d’instruction, est évincée du dossier au profit du service régional de la<br />

police judiciaire. Rappelons aussi que, à c<strong>et</strong>te époque, les avocats de Bernard Laroche<br />

ont déposé plainte contre la gendarmerie, de sorte qu'il apparaît difficile de maintenir ce<br />

corps d'enquêteurs dans le dossier.<br />

Quoi qu'il en soit, bien déplaisante est l'hostilité entre d'une part le juge <strong>et</strong> les<br />

gendarmes <strong>et</strong> d'autre part, entre les gendarmes <strong>et</strong> la police judiciaire.<br />

J'ai bien de la peine pour la justice en écoutant aux assises de Dijon, tous ces<br />

développements qui témoignent à tout le moins d’un grave dysfonctionnement.<br />

Septième jour du procès : audition de <strong>Marie</strong> Ange Bolle veuve de Bernard Laroche,<br />

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partie civile contre <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>.<br />

Pendant quatre heures de temps, la partie civile répond à des questions dont certaines<br />

sont très fortement accusatrices. Il est notamment demandé à la partie civile d'indiquer<br />

les motifs pour lesquels elle refusait de répondre aux convocations du Président Simon :<br />

« ce magistrat était partial. Son seul désir était d’accabler feu mon mari. Je n'ai pas pu<br />

le supporter... ».<br />

En revanche, émouvante est la partie civile au moment où elle évoque les conditions de<br />

l'assassinat de son mari le 29 mars 1985. <strong>Marie</strong> Ange Bolle se trouve aux côtés de<br />

Bernard Laroche lorsque celui-ci trouve la mort dans des conditions tout à fait<br />

insupportables. L'accusé écoute dans son box <strong>Marie</strong> Ange Bolle avec attention. <strong>Jean</strong>-<br />

<strong>Marie</strong> est visiblement touché par le récit de la jeune femme, alors surtout que celle-ci<br />

rappelle à la Cour d'assises qu'elle était enceinte au moment de l'assassinat de son<br />

conjoint.<br />

Arrivée de <strong>Jean</strong>-Michel Lambert à la barre des témoins le huitième jour du procès.<br />

L’ancien magistrat d'Épinal, toujours convaincu de la culpabilité de la mère de Grégory,<br />

faisant ainsi peu de cas du supplément d'information réalisé à Dijon, doit faire face à de<br />

multiples questions.<br />

Il est morigéné vertement par le Président de la Cour d'assises, par l'avocat général<br />

Jacques Khon, par les avocats de la famille Laroche <strong>et</strong> évidemment par les avocats de<br />

l'accusé. Pour une fois, une belle unanimité ! Pour se défendre, <strong>Jean</strong>-Michel Lambert<br />

brandit sa notation administrative. Il veut ainsi démontrer ses qualités professionnelles.<br />

J'ai déjà indiqué que, lors de ses réquisitions, Jacques Khon tiendra des propos très<br />

durs sur le compte de son collègue. Face à certaines questions, l'ancien juge<br />

d'instruction fait preuve d'une déconcertante amnésie. Ou alors, il indique que selon lui,<br />

il n'a pas à répondre à certaines questions : « j'estime que je n'ai pas à me justifier ».<br />

Une audience vraiment surréaliste...<br />

Audition également de Régis Mourier, magistrat <strong>et</strong> ancien directeur général de la<br />

gendarmerie. Selon le témoin, la gendarmerie a fait une enquête objective <strong>et</strong> loyale.<br />

Ceci dit, c<strong>et</strong>te affaire a suscité la réflexion pour tenter d'améliorer le travail de la<br />

gendarmerie. À noter que celle-ci dispose depuis 1987 d'un laboratoire de police<br />

technique à Rosny-sous-Bois.<br />

Viennent ensuite à la barre des témoins <strong>Jean</strong>-François Sard<strong>et</strong>, général de division, le<br />

seul général en France à l'époque, commandant la gendarmerie nationale, l'ancien<br />

Procureur général près la Cour d'Appel de Nancy, le Président <strong>Jean</strong>-Paul Martin qui<br />

présidait la chambre d’accusation, le professeur Jacques Leaute dont j'ai déjà parlé <strong>et</strong><br />

qui exprime avec chaleur <strong>et</strong> conviction son point de vue en concluant comme suit : « je<br />

ne suis pas là pour plaider pour qui que ce soit, mais c’est contre l’injustice que je me<br />

bats... ». Des témoins de qualité pour un procès qui sort vraiment de l'ordinaire.<br />

On entend aussi par la suite le récit de Laurence Lacour, ancien reporter à Europe 1 <strong>et</strong><br />

d'Isabelle Baechler, de France 2 : ces deux journalistes relatent l'ambiance survoltée<br />

ayant entraîné des prises de position tranchées, le climat malsain, la connivence louche<br />

qui existait entre le S.R.P.J. de Nancy <strong>et</strong> certains journalistes, la violation permanente<br />

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du secr<strong>et</strong> de l'instruction.<br />

Selon les témoins, il y avait constamment surenchère pour obtenir l'information à<br />

n'importe quel prix, la qualité <strong>et</strong> le sérieux de l'information étant d'ailleurs secondaires...<br />

Arrive à la barre le rédacteur en chef de Paris-Match qui ne fait absolument pas acte de<br />

contrition. Bien au contraire ! Il explique benoîtement que les lecteurs de c<strong>et</strong><br />

hebdomadaire ont droit à l'information <strong>et</strong> d'ajouter : « j'ai l'impression que c'est toute la<br />

presse qui devrait être à mes côtés ici... ».<br />

11e jour du procès : la parole est aux médecins légistes qui professent des opinions<br />

contrastées voire contradictoires. Comment est mort le p<strong>et</strong>it Grégory ? La Cour<br />

d'assises constate que beaucoup d'interrogations subsistent à c<strong>et</strong> égard. Arrêtons-nous<br />

là sans entrer dans le détail des controverses des distingués experts.<br />

On apprend par ailleurs que le procès d'assises est suivi par un certain nombre de<br />

journalistes étrangers <strong>et</strong> notamment des journalistes du Los Angeles Time. Ils sont<br />

paraît-il intéressés par le fonctionnement surprenant de la justice française dans c<strong>et</strong>te<br />

affaire exceptionnelle.<br />

Nous parlons ensuite de l'enquête du service régional de la police judiciaire <strong>et</strong> de<br />

l'affaire des cordel<strong>et</strong>tes, <strong>et</strong> nous entendons le récit du commissaire Jacques Corazzi.<br />

Ce fonctionnaire s'insurge contre les accusations des journalistes <strong>et</strong> il précise que le<br />

procès en diffamation par lui engagé a été gagné. Commentaires de Valérie Antoniol, du<br />

bien public : « l'audience n'a rien démontré, ni dans un sens, ni dans un autre, mais<br />

l’impression qu'ici aussi les perquisitions n'ont pas été opérées dans les règles strictes.<br />

M. Corazzi a été questionné longuement sur le déroulement de son enquête. Des<br />

questions posées par le Président <strong>et</strong> la défense, il semble ressortir que le commissaire<br />

aurait eu un certain parti pris contre <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>... ».<br />

Comparution aussi à la barre des témoins, de l'ancien Procureur de la République<br />

d'Épinal, <strong>Jean</strong>-Jacques Lecomte qui vient tout spécialement de Guadeloupe. Ce<br />

magistrat évoque notamment le début de l'enquête <strong>et</strong> la révélation des traces de<br />

foulages portant les initiales L.B. sur la l<strong>et</strong>tre de revendication de l'assassinat (il s'agit là<br />

d'une charge complémentaire à l'égard de Bernard Laroche dont il sera beaucoup<br />

question à l'occasion du procès de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>).<br />

Des incidents d'audience se produisent, les avocats crient <strong>et</strong> gesticulent <strong>et</strong> le Président<br />

se lève d'un bond en décidant de suspendre l'audience, le temps pour les esprits<br />

échauffés des uns <strong>et</strong> des autres de se calmer.<br />

Révolte <strong>et</strong> indignation de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> de son époux a mi-procès, à partir du<br />

moment où comparaissent les experts qui ont analysé les écrits du corbeau. Valérie<br />

Antoniol souligne dans son article que l’on touche du doigt la fragilité des expertises !<br />

Majoritairement, les experts en écriture avancent des conclusions accablantes pour la<br />

mère de Grégory.<br />

Mes confrères <strong>et</strong> moi contestons avec vigueur <strong>et</strong> nous produisons notamment la<br />

consultation en sens contraire d'un éminent expert suisse, professeur honoraire à<br />

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l'université de Lausanne. On sait depuis l'affaire Dreyfus que les expertises en écriture<br />

apportent des résultats très contestables. Nous démontrons que l'un des experts qui<br />

accable la mère a, dans un autre dossier, désigné comme corbeau un homme dont<br />

l'innocence a été peu après établie ! Colère de l’expert ainsi mis en cause par nous.<br />

Face à ce déferlement dirigé contre elle, <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> n'en peut plus. Elle fond en<br />

larmes <strong>et</strong> elle demande à s'asseoir purement <strong>et</strong> simplement dans le box des accusés, à<br />

côté de son époux, alors que dans ce procès, elle a le statut juridique de simple témoin.<br />

Elle est quelque peu rassérénée en écoutant les explications de Denis Klein, un expert<br />

désigné par le Président Maurice Simon <strong>et</strong> qui arrive à des conclusions tout à fait<br />

opposées à celles de ses collègues.<br />

16e jour du procès. La Cour d'assises examine l'emploi du temps de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong><br />

le 16 octobre 1984, jour de l'assassinat de Grégory. Arrivée à la barre des témoins, des<br />

voisins du pavillon <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> notamment la fermière, Marcelle Claudon, un personnage<br />

haut en couleurs, à la voix forte, une maîtresse femme très peu impressionnée par le<br />

décorum de la Cour d'assises.<br />

Audition également du témoin Colin qui accompagnait Mme Claudon au moment où<br />

celle-ci aurait vu, dans leur voiture, Bernard Laroche <strong>et</strong> Murielle Bolle à proximité<br />

immédiate du pavillon des parents de Grégory. Déposition de <strong>Jean</strong>-Louis Claudon, le<br />

mari de la fermière, qui en dit le moins possible.<br />

17e jour du procès : à nouveau, le calvaire pour <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> dont les collègues de<br />

travail persistent à dire qu'elle se trouvait à la poste de Lepanges le 16 octobre 1984 à<br />

l'heure présumée où le corbeau postait le diabolique message de revendication du<br />

crime. La Cour d'assises se trouve en état de choc. Bien que bénéficiaire de l'arrêt de<br />

non-lieu-réhabilitation de février 1993 ayant acquis évidemment l'autorité de la chose<br />

jugée, arrêt délivré à la demande du Procureur général de Dijon, de la partie civile à<br />

savoir les parents de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong>, <strong>et</strong> des avocats de <strong>Christine</strong>, la mère de Grégory se<br />

r<strong>et</strong>rouve en position d'accusée, ce qui est insupportable pour son mari <strong>et</strong> pour ellemême.<br />

Elle hurle son innocence. Au sein du prétoire, l'ambiance est pesante, les visages sont<br />

livides <strong>et</strong> la tension est extrême. Selon l'un des journalistes qui couvrent le procès, du<br />

jamais vu dans une affaire judiciaire. En outre, nous assistons à nouveau à un face-àface<br />

très violent entre <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> sa mère Monique. <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> accuse sa<br />

mère de cacher la vérité pour protéger certaines personnes de la famille. Tout cela est<br />

effarant.<br />

Un peu de répit le lendemain, une journée de transition avant l'audition de Murielle<br />

Bolle. La 18e audience consacrée à l'examen de la personnalité de Bernard Laroche.<br />

Il est présenté par les témoins comme un homme travailleur, calme, un bon camarade.<br />

Les collègues de travail font état du choc résultant de la démarche des gendarmes qui<br />

sont venus arrêter Bernard Laroche à son usine.<br />

Arrive à la barre le témoin <strong>Jean</strong>-Pierre Zoncas qui s'exprime sur l'emploi du temps de<br />

Laroche dans le créneau horaire qui intéresse la Cour d'assises. Un témoin assailli de<br />

questions par les uns <strong>et</strong> les autres <strong>et</strong> dont l'audition sera infiniment longue.<br />

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Dans les coulisses de la Cour d'assises, arrivée de Helmut Newton, le « Picasso de la<br />

photo » a-t-on dit, un photographe de renom international qui a consacré sa carrière à<br />

réaliser des photographies de mode. Il est recruté par Paris-Match. Tout cela me paraît<br />

tout à la fois, déconcertant <strong>et</strong> stupide...<br />

Elle arrive enfin. Qui donc ? Murielle Bolle, le témoin capital, le témoin qui a mis en<br />

cause de façon prononcée Bernard Laroche au début de l'enquête, avant de se rétracter<br />

rapidement.<br />

19e jour du procès. La vérité va-t-elle jaillir ? Quelle vérité ? N'est-il pas trop tard ?<br />

Bernard Laroche n'est plus là pour délivrer sa vérité, pour donner ses explications. Son<br />

absence, imputable à l'action irréfléchie de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> sous l'eff<strong>et</strong> de la douleur<br />

<strong>et</strong> du chagrin, a considérablement gêné la progression des investigations judiciaires.<br />

Murielle Bolle sera interrogée <strong>et</strong> confrontée pendant plusieurs jours.<br />

Elle a une p<strong>et</strong>ite taille, un visage parsemé de taches de rousseur, une coiffure à la «<br />

lionne » de couleur rousse. « Aujourd'hui, nous évoquons la journée du 16 octobre 1984<br />

<strong>et</strong> notamment les conditions dans lesquelles Murielle Bolle a quitté le CES de Bruyères<br />

<strong>et</strong> a regagné son domicile ».<br />

C'est ainsi que s'exprime le Président Ruyssen avant de procéder à l'audition de la<br />

jeune femme. Celle-ci va maintenir le point de vue développé à partir du moment où elle<br />

s'est rétractée <strong>et</strong> a cessé de développer des accusations contre son beau-frère Bernard<br />

Laroche.<br />

Elle dit avoir subi des pressions psychologiques imputables aux gendarmes, contre<br />

lesquelles plainte est déposée comme déjà dit, plainte qui se terminera par un non-lieu<br />

sans aucune inculpation à l'égard de qui que ce soit, plainte dont l'issue dénonce de<br />

mon point de vue, l'inanité totale des doléances de Murielle Bolle.<br />

Dans le cadre du procès de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong>, les gendarmes sont très longuement<br />

auditionnés. Les avocats de la famille Laroche suscitent par leurs questions un climat de<br />

suspicion à l’endroit des gendarmes qui finissent par devenir les derniers suspects.<br />

C'est le comble ! Et pourtant, nous entendons à la barre des témoins, notamment, le<br />

docteur Georges Rousseau, médecin généraliste à Bruyères, qui a examiné Murielle<br />

Bolle à l'issue de son audition. La jeune fille lui indique que la garde à vue s'est fort bien<br />

déroulée <strong>et</strong> que les gendarmes sont ses copains. Selon le médecin, Murielle Bolle était<br />

détendue <strong>et</strong> avait l’air rayonnant.<br />

Une grosse déception pour le Président Ruyssen qui espérait l'éclosion de la vérité à<br />

l'occasion des débats contradictoires.<br />

Une immense frustration pour <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> son épouse.<br />

L'accusé s'adresse depuis son box à Murielle Bolle <strong>et</strong> lui dit en la regardant droit dans<br />

les yeux : « Murielle, tu as deux enfants <strong>et</strong> je sais que tu les aimes. L’un de tes enfants à<br />

quatre ans, l'âge de Grégory au moment de l'assassinat. Grégory aurait 13 ans<br />

aujourd'hui. Il faut que tu puisses regarder tes enfants en face un jour... Tu vois, je te<br />

plains Murielle, de vivre avec un secr<strong>et</strong> pareil... ».<br />

À son tour, Murielle se tourne vers l’accusé <strong>et</strong> lui répond « j’ai dit la vérité, j’étais dans le<br />

car le 16 octobre 1984 <strong>et</strong> Bernard Laroche est innocent ».<br />

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Audition du greffier du juge d'instruction Lambert, M. Bertrand. Audition du père de<br />

Murielle Bolle, Lucien Bolle : « les gendarmes ont couru trop vite, tellement vite<br />

qu'aujourd'hui on ne sait plus rien... ». Impossible d'entrer dans le détail faute de quoi le<br />

récit deviendrait touffu <strong>et</strong> fastidieux.<br />

24e jour du procès : audition de différents témoins <strong>et</strong> notamment de Charlotte Conreaux<br />

dont j'ai déjà parlé.<br />

Les avocats de la partie civile demandent l'audition du Président Maurice Simon alors<br />

que l'état de santé de ce magistrat est tout particulièrement délicat. Les conclusions de<br />

la famille Laroche sont rej<strong>et</strong>ées par la Cour d'assises.<br />

26e jour du procès : Claude Colin, auditionné comme témoin, confirme avoir, en<br />

compagnie de la fermière Claudon, croisé la voiture suspecte dans laquelle se serait<br />

trouvé Bernard Laroche, le jour du crime, à proximité du pavillon <strong>Villemin</strong>, Mais Marcelle<br />

Claudon conteste farouchement. Elle semble éprouver des craintes importantes.<br />

Les débats proprement dits semblent terminés. Tout ou presque a été dit. La Cour<br />

d'assises a auditionné des dizaines de témoins <strong>et</strong> d'experts. Des propos très<br />

contradictoires ont été tenus. Les jurés ont pris beaucoup de notes. Ils ont posé de<br />

multiples questions. Quel est leur sentiment profond ? Quel sera le verdict à l'égard de<br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> ?<br />

Il reste à entendre les plaidoiries des uns <strong>et</strong> des autres. Comme cela se passe<br />

habituellement, les parties civiles vont débuter, puis nous entendrons les réquisitions de<br />

l'avocat général qui représente la société <strong>et</strong> enfin, mes confrères <strong>et</strong> moi-même<br />

interviendrons pour développer les moyens de défense de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>.<br />

Interrogé par les avocats de la partie civile sur le fait de savoir s'il a des regr<strong>et</strong>s d'avoir<br />

tué Bernard Laroche, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> répond ceci : « j'ai commis, non pas un acte de<br />

courage mais un acte de faiblesse. Pendant mon incarcération, je me disais que j'ai tué<br />

un monstre. Après, quand j'ai r<strong>et</strong>rouvé un certain équilibre <strong>et</strong> que j'ai r<strong>et</strong>ravaillé, je me<br />

suis rendu compte que ce n'était pas la solution. Je le regr<strong>et</strong>te. Je préférerais que ce<br />

soit Laroche à ma place, ici. Quand on voit l'assassin de son fils en liberté, c'est<br />

insupportable. Bien sûr que je regr<strong>et</strong>te Mais n'attendez pas de moi le pardon à <strong>Marie</strong>-<br />

Ange. Mon enfant, on l'a r<strong>et</strong>rouvé mort, il ne faut pas l'oublier. Je n'étais plus moi-même<br />

<strong>et</strong> je vais demander aux jurés qu’on le comprenne. J'avais en moi trop de chagrin ».<br />

À présent, les avocats de la famille Laroche plaident avec ardeur <strong>et</strong> souvent avec brio.<br />

Que disent-ils en substance ?<br />

Ils font valoir que la mère de Grégory serait impliquée dans l'assassinat de son enfant.<br />

C<strong>et</strong> argument, qui suscite la nausée chez <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, est infirmé<br />

sans contestation possible par les éléments objectifs du dossier <strong>et</strong>, un peu plus tard,<br />

après l'exposé des partie civiles, l'avocat général Jacques Khon affirmera très haut sa<br />

conviction absolue de l'innocence de la mère.<br />

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La partie civile dit aussi que <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> ne pouvait pas se substituer à la<br />

justice. Je souscris évidemment à c<strong>et</strong>te assertion.<br />

La partie civile dit enfin que Bernard Laroche a été maltraité par la justice <strong>et</strong> que le<br />

fonctionnement calamiteux de l'institution judiciaire lui a fait du tort ainsi qu'à sa famille.<br />

C<strong>et</strong>te argumentation présente une pertinence certaine <strong>et</strong> sera entérinée quelques<br />

années plus tard, au mois de mai 2002, par une décision de la chambre civile de la Cour<br />

d'Appel de Versailles. Saisie d'une action en responsabilité contre l'État français, par la<br />

famille Laroche, pour mauvais fonctionnement du service public de la justice, la Cour<br />

d'Appel de Versailles statuant après cassation, a relevé différents manquements<br />

imputables à l'institution judiciaire.<br />

La Cour a constaté dès le départ de l'enquête, une médiatisation extrême révélatrice<br />

d’un manque total de maîtrise dans la conduite de l'enquête <strong>et</strong> de l'instruction.<br />

La Cour indique que Bernard Laroche a été mis en état d'arrestation dans des<br />

conditions de publicité regr<strong>et</strong>table. La médiatisation a influé de façon néfaste sur le<br />

déroulement de l'enquête en facilitant notamment la circulation des rumeurs. La publicité<br />

excessive a contribué à instaurer un climat d'extrême tension expliquant l'assassinat de<br />

Bernard Laroche par <strong>Jean</strong> <strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>. L'instruction a été conduite presque sur la<br />

place publique. L'arrêt de non-lieu de février 1993 a mis en évidence les lacunes <strong>et</strong> les<br />

insuffisances de l’instruction initiale. Le juge instruction d'Épinal a réalisé des<br />

recherches très insuffisantes <strong>et</strong> ceci dès le stade de l'autopsie. Il a fait preuve d'une<br />

absence totale de rigueur notamment au regard de la désignation des experts. En<br />

revanche, la Cour d'Appel de Versailles indique que les conditions de la garde à vue de<br />

Murielle Bolle ne peuvent en aucun cas être mis en cause. Enfin, la Cour de Versailles<br />

stipule que l'arrêt de non-lieu de Dijon de février 1993 constate des charges contre<br />

Bernard Laroche <strong>et</strong> laisse ainsi présumer une culpabilité qui ne pourra être établie ou<br />

infirmée avec certitude. En définitive, selon la Cour de Versailles dans sa décision du 15<br />

mai 2002, le service public de la justice a été inapte à remplir la mission dont il est<br />

investi.<br />

Revenons à notre procès à Dijon de la fin 1993. Nous en sommes à l’exposé des<br />

avocats de la famille de Bernard Laroche.<br />

Un p<strong>et</strong>it florilège.<br />

Hubert de Montille : « Un procès exceptionnel... Deux procès dans un seul, celui de<br />

l'accusé <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> d'autre part le procès de Bernard Laroche... Un accusé<br />

qui se transforme en accusateur pour tenter de justifier son crime... Une partie civile qui<br />

se trouve en position d'accusée... Un procès qui a mis à nu les failles <strong>et</strong> les défaillances<br />

du système judiciaire... Un accusé qui a réalisé quatre tentatives avant de parvenir à<br />

tuer Bernard Laroche... Son épouse <strong>Christine</strong> a échappé aux poursuites pour complicité<br />

dans l'assassinat de Bernard Laroche... Peut-on se faire justice soi-même ?... Un<br />

accusé rigide qui accepte difficilement le compromis, étant toujours persuadé de son<br />

bon droit... Un personnage froid... Un crime de sang doit être sanctionné de façon<br />

énergique... ».<br />

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Paul Prompt qui est depuis l'origine le « fer de lance » de l’accusation contre <strong>Christine</strong><br />

<strong>Villemin</strong> : « Bernard Laroche était un homme simple, humain qui aimait partager le pain<br />

<strong>et</strong> le vin avec ses amis... L'arrêt de non-lieu de février 1993 au profit de <strong>Christine</strong><br />

<strong>Villemin</strong> s’est effiloché tout au long des débats... En tuant Laroche, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong><br />

voulait m<strong>et</strong>tre fin à l’instruction <strong>et</strong> non pas seulement tuer quelqu'un qu'il tenait pour<br />

l’assassin de son fils... Il a substitué la décision à la réflexion... Je pense que votre<br />

époux exerce sur vous un ascendant important... L'accusé a le devoir d'assumer la<br />

responsabilité de son acte... »<br />

Gérard Welzer, un avocat expérimenté, homme politique par ailleurs : « <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong><br />

<strong>Villemin</strong> a fait de son procès le procès d'une vérité <strong>et</strong> non pas de la vérité... Les charges<br />

contre Bernard Laroche ne résistent pas à l'examen <strong>et</strong> je vais vous le montrer... Il y a eu<br />

précipitation des enquêteurs de la gendarmerie pour désigner un coupable... Murielle<br />

Bolle a été gravement perturbée à l'occasion de sa garde à vue... L'accusé est<br />

inaccessible au doute... La Cour d'assises ne peut pas délivrer un permis de tuer à<br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>... ».<br />

<strong>Jean</strong>-Paul Teissonniere, un plaideur subtil qui a défendu récemment devant le tribunal<br />

correctionnel de Paris Robert Hue, l'ancien chef du parti communiste français : « je vais<br />

vous démontrer l'inanité des déclarations accusatrices de Murielle Bolle contre Bernard<br />

Laroche... <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> a tué Laroche pour tuer ses doutes... L'accusé ne<br />

regr<strong>et</strong>te pas son geste... ».<br />

Vient maintenant le moment que beaucoup attendent à savoir le réquisitoire de l'avocat<br />

général Jacques Khon.<br />

Ce magistrat, que j'ai d'ailleurs connu à Mulhouse lorsque je débutais dans la<br />

profession, a été relativement taisant pendant les longues audiences. Il est intervenu<br />

très peu <strong>et</strong> nous ignorons son sentiment profond dans ce dossier complexe.<br />

Jacques Khon estime-t-il que la détention provisoire de 33 mois, presque trois ans,<br />

subie par <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong>, de mars 1985 à décembre 1987, sera suffisante, auquel<br />

cas l'accusé n'aura pas à r<strong>et</strong>ourner en prison ? Le représentant de la société estime-t-il<br />

au contraire que l'assassinat doit être réprimé avec une particulière vigueur, auquel cas<br />

l'avenir de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> apparaît singulièrement sombre ?<br />

La réponse est donnée après un réquisitoire de près de trois heures. Jacques Khon a<br />

rédigé son discours, dont je détiens la photocopie intégrale, un exposé des 43 pages<br />

dont je vais donner les extraits les plus significatifs de mon point de vue.<br />

Jacques Khon réclame une peine d’au moins 10 ans de réclusion criminelle à l'issue de<br />

ses explications.<br />

Commentaire de Valérie Antoniol, la journaliste locale : « le couper<strong>et</strong> vient de tomber...<br />

Dans le box <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> est blême... <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> sort son mouchoir,<br />

choquée... Dans la salle s'installe un silence de plomb. Chacun regarde chacun... C'est<br />

une véritable douche glacée qui vient de s'abattre sur <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> <strong>et</strong> sa<br />

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défense... ».<br />

Morceaux choisis :<br />

« La mort de Bernard Laroche reste une mort scandaleuse. Quant aux soupçons qui se<br />

sont portés sur <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, ils continuent de se chuchoter, tout aussi insidieux <strong>et</strong><br />

toujours sans aucun fondement... Le mystère de la Vologne n'a toujours pas livré son<br />

secr<strong>et</strong>... Il ne m’est pas possible de masquer les erreurs commises par le premier<br />

magistrat instructeur... Victime d'un crime odieux perpétré sur son enfant, <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong><br />

<strong>Villemin</strong> n'a pas trouvé auprès de son juge d'instruction le soutien moral qu'il aurait du<br />

en attendre... M. Lambert savait que Bernard Laroche, une fois mis en liberté, allait se<br />

trouver en danger de mort... M. Lambert vous a assuré qu'il avait pris toutes les<br />

précautions pour garantir la sécurité de Laroche. Force m’est de constater qu'il n'en a<br />

rien été... La publicité qui a entouré l'arrestation de Laroche présentait un caractère<br />

outrancier... <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> ne pouvait pas ignorer, lorsqu'il a décidé de passer à<br />

l'acte, les pressions inqualifiables exercées sur certains témoins par le service régional<br />

de police judiciaire... »<br />

<strong>Jean</strong> Ker, le journaliste de Paris-Match : un homme racoleur de cancan <strong>et</strong> de ragots,<br />

plus soucieux de sensationnel <strong>et</strong> de tapage que de vérité, voilà comment m’est apparu<br />

c<strong>et</strong> homme... Il a joué le rôle de m<strong>et</strong>teur en scène du crime. Il détient à mon avis une<br />

part énorme de responsabilité dans le drame... L’affaire <strong>Villemin</strong> s’étend bien au-delà de<br />

sa réalité strictement judiciaire. Il existe tout un arrière plan commercial <strong>et</strong> mercantile...<br />

Les débordements médiatiques ont fini par opérer à la manière d'une prolifération<br />

cancéreuse... Le paroxysme du délire <strong>et</strong> de la démence a été atteint en juill<strong>et</strong> 1985,<br />

dans un article que Marguerite Duras a fait paraître dans un de nos grands quotidiens<br />

nationaux... Dérisoire intelligentsia que celle qui se prosterne devant la prophétesse<br />

d'une telle perversion hystérique... La découverte des cordel<strong>et</strong>tes a été opérée dans des<br />

conditions dont le moins que l'on puisse dire qu’elles ont été discutables. Le rapport<br />

d'expertise Rochas-David, que les parties civiles présentent comme accablant contre<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, n'établit donc en réalité aucune charge sérieuse contre elle...<br />

Concernant les expertises sur les écrits, je déplore le comportement aberrant de l'un<br />

des experts <strong>et</strong> je relève le doute sérieux qui s'est installé sur la compétence d'un autre...<br />

Je relève une contradiction décisive entre les conclusions des trois collèges d'experts<br />

désignés par M. Lambert qui tendent à accabler <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>, <strong>et</strong> les autres<br />

données de l'instruction, <strong>et</strong> notamment les expertises Klein <strong>et</strong> Davidson, sans parler de<br />

toutes les considérations objectives, comme le chronométrage, qui ont abouti à établir<br />

l'absence de charge contre la mère de Grégory...<br />

Je n'attache qu’une importance très limitée au témoignage des filles de la poste... Le<br />

chronométrage précis perm<strong>et</strong> d'écarter l'hypothèse d'un crime commis par la mère...<br />

Elle ne peut pas être l'auteur de l'appel téléphonique reçu par Michel <strong>Villemin</strong> à 17 h 32<br />

minutes <strong>et</strong> donc, elle ne peut pas être la meurtrière... Concernant le problème de<br />

l'insuline, rien ne prouve qu'il existe quelque rapport que ce soit entre la mort de<br />

Grégory <strong>et</strong> la découverte de ce flacon sur le bord de la Vologne... Rien de définitif n'a<br />

été établi contre Bernard Laroche... Vous avez assisté aux diverses dépositions de<br />

Murielle Bolle... Elle était cors<strong>et</strong>ée, chaperonnée, encadrée, maternée, à l'intérieur<br />

comme à l'extérieur de la salle d'audience, débitant comme une leçon apprise<br />

d'avance, un remake dérisoire du film « l’aveu »...<br />

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Je ne prétends pas que l'enquête menée par la gendarmerie a été ici un modèle<br />

d'efficacité <strong>et</strong> d'habil<strong>et</strong>é... Cependant, l'attitude que les gendarmes ont observée à<br />

Bruyères envers Murielle Bolle a été à mon avis irréprochable. Je considère qu'aucune<br />

faute, si minime soit-elle, susceptible d'entacher l'honneur de l'uniforme des officiers <strong>et</strong><br />

des sous-officiers de gendarmerie, ni l’honneur de l'ensemble de l’arme, ne peut leur<br />

être reprochée, contrairement aux diverses insinuations que l'on a proférées avec<br />

insistance au cours des débats, insinuations que je tiens pour insupportables...<br />

Concernant le croisement des voitures, <strong>et</strong> notamment le témoignage de Claude Colin,<br />

ce chapitre soulève plus de problèmes qu'il n'en résout <strong>et</strong> je me garderai bien d'en tirer<br />

une quelconque conclusion... Le meurtre de Bernard Laroche doit être puni sans<br />

faiblesse pour plusieurs raisons...<br />

On n'a pas le droit de se faire justice soi-même. La vengeance privée est un système<br />

réservé aux sociétés archaïques. Le légitime assassinat n'existe pas. <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong><br />

<strong>Villemin</strong> a prémédité son crime au nom de ses seules certitudes. L'accusé a compromis<br />

définitivement toute possibilité d'identification du corbeau... <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> a fait<br />

plusieurs tentatives d'assassinat. Il a agi déjà le 9 novembre 1984, 4 jours après<br />

l'arrestation de Bernard Laroche... Il a ach<strong>et</strong>é un nouveau fusil... Il avait une frénésie de<br />

tuer <strong>et</strong> il voulait prendre en otage <strong>Marie</strong>-Ange Laroche <strong>et</strong> son enfant Sébastien... Il ne<br />

s'agit pas d'un crime passionnel... Vous avez devant vous un criminel agissant sous<br />

l'eff<strong>et</strong> de plusieurs incitations successives, ce qui ne pourra que vous renforcer dans<br />

l'idée qu'il est dangereux... Il a acquis, en compagnie de sa femme, un fusil à pompe <strong>et</strong><br />

des balles à ail<strong>et</strong>tes, des munitions employées pour la chasse au sanglier... La<br />

résolution de l'accusé a été froide <strong>et</strong> méthodique. Il ne fallait surtout pas qu'il rate sa<br />

cible... Je suis profondément convaincu de l'innocence de <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>. Je n'ai été<br />

en revanche, nullement convaincu, que ce soit par l’examen du dossier ou par les<br />

débats de ce procès, ni de l'innocence, ni de la culpabilité de Bernard Laroche... Il m’est<br />

apparu comme rigoureusement impossible que <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> ait pu être la<br />

meurtrière. Il n'est pas à exclure, en revanche, que Bernard Laroche l’ait été, encore<br />

que rien ne soit venu l'établir avec certitude... Le meurtrier de Grégory n'est pas<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong>... Nous savons d'autre part qu’il n'a peut-être pas été Bernard<br />

Laroche... <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> ne peut pas prétendre bénéficier de circonstances<br />

atténuantes exceptionnelles... Nous avons pu mesurer son insensibilité <strong>et</strong> son absence<br />

de remords... Il présente le meurtre de Bernard Laroche comme un geste de justice...<br />

L'acte criminel commis par l'accusé représente un danger latent dans la mesure où c<strong>et</strong><br />

acte n'a pas épuisé l'agressivité ni la fureur de l'accusé... Le code pénal prévoit la<br />

réclusion criminelle à perpétuité pour l'assassinat... Certes, le crime a été commis par<br />

un homme poussé à bout par le sentiment d'injustice mais c<strong>et</strong> homme présente un état<br />

dangereux <strong>et</strong> il y a donc impossibilité de le rendre immédiatement à la liberté... Je vous<br />

demande de prononcer contre <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> une peine non inférieure à 10 ans de<br />

réclusion criminelle ».<br />

Pause de midi, aujourd'hui mardi 14 décembre 1993.<br />

J'ai aujourd'hui 43 ans <strong>et</strong> je vais plaider dans l'un des procès les plus marquants de ma<br />

vie professionnelle. Tâchons de ne pas céder au désarroi qui nous étreints à l'issue du<br />

réquisitoire particulièrement musclé de l'avocat général Khon.<br />

J'avale rapidement une tranche de jambon <strong>et</strong> un verre d'eau <strong>et</strong> je vais me réfugier dans<br />

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ma chambre d'hôtel pour relire mes notes car, des quatre défenseurs de <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong><br />

<strong>Villemin</strong>, je suis celui qui doit prendre la parole le premier pour tâcher de remonter le<br />

Courant. Je ressens de l'appréhension...<br />

« Nous éprouvons, mes confrères <strong>et</strong> moi, beaucoup d'affection pour <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<br />

<strong>Marie</strong> en raison des souffrances morales qu'ils endurent depuis plusieurs années.<br />

Depuis bientôt 10 ans, nous vivons aux côtés de deux êtres humains en détresse. Ce<br />

couple est suspendu dans le vide. <strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> a pu commencer sa convalescence<br />

morale au moment où, au mois de février dernier, la Cour de Dijon lui a rendu enfin<br />

justice. Les parents de Grégory sont les rescapés d'une tourmente effroyable <strong>et</strong> ils sont<br />

toujours main dans la main. Je vous en supplie, ne les séparez pas, ne les séparez plus,<br />

car la souffrance humaine a ses limites.<br />

<strong>Christine</strong> a dû se battre pendant des années contre les ragots haineux, les témoignages<br />

erronés ou mensongers, les rapports d'expertise insensés. Elle a dû faire face à une<br />

procédure chaotique. L'extravagant juge d'instruction d'Épinal à utilisé la détention<br />

provisoire pour tenter de justifier une inculpation totalement déraisonnable mais<br />

proclamée sur le plan médiatique. <strong>Christine</strong> a été la victime d'une mise à mort judiciaire<br />

orchestrée comme un événement médiatique. Avons-nous trouvé à Épinal <strong>et</strong> Nancy un<br />

juge équilibré <strong>et</strong> expérimenté ? Avons-nous trouvé des enquêteurs objectifs, des experts<br />

compétents, un climat de sérénité ? Rien de tout cela avant que le dossier n'arrive à<br />

Dijon... ».<br />

Après ces propos introductifs, j'analyse minutieusement les charges contre Bernard<br />

Laroche. Je cherche à démontrer que, de mon point de vue, ce n'est pas un innocent<br />

que <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> a malheureusement abattu au lieu de laisser la justice suivre<br />

son cours. Mais précisément le problème est que <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> avait le sentiment profond<br />

d'avoir été trahi par celui qui incarnait la justice à ses yeux, le juge d'instruction d'Épinal.<br />

30e jour du procès.<br />

Intervention de François Robin<strong>et</strong>, un remarquable plaideur : « juger un acte, mais aussi<br />

comprendre un homme, voilà votre mission... Jamais, pour la défense, une cause n'aura<br />

été aussi bouleversante... <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> était un homme dévasté, rongé par le chagrin, un<br />

homme dans lequel chacun de nous peut se r<strong>et</strong>rouver... Il ne mérite pas la place q’un<br />

arrêt de renvoi lui fait occuper aujourd'hui dans le box des accusés... On ne peut avoir<br />

pour lui qu'un sentiment de compassion... La mise en liberté de Bernard Laroche en<br />

février 1985 était scandaleuse... En plus, la police judiciaire construisait artificiellement<br />

la culpabilité de <strong>Christine</strong>... Le juge instruction est le responsable de c<strong>et</strong>te catastrophe<br />

judiciaire... Comment <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> aurait-il pu lui faire confiance ? Il a été trahi par le<br />

magistrat... <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> n'est pas un homme dangereux. Nous sommes en présence<br />

d'un crime passionnel. Aucun risque de réitération... Qu’auriez-vous fait à la place de<br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> ?... La justice a-t-elle le droit, aujourd'hui, de le condamner alors<br />

qu'elle a failli à sa tâche au moment où il fallait rechercher l'assassin d’un p<strong>et</strong>it enfant ?<br />

».<br />

Intervention, dans la foulée, de <strong>Marie</strong>-<strong>Christine</strong> Chastant, l'élément féminin de la<br />

défense, qui apporte sa sensibilité <strong>et</strong> sa capacité de faire naître l'émotion.<br />

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« <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> a vécu une série noire. À l'âge où l'on construit sa vie, à l'âge où l'on m<strong>et</strong><br />

au monde des enfants, ce couple n'a vécu que dans le malheur. Par bonheur il y avait<br />

entre eux un amour indestructible. Et pourtant, on a tout fait pour les détruire, pour les<br />

salir, mais en vain... Au moment où <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> prend la décision de tuer Bernard<br />

Laroche, il se sent trahi. Il n'est plus lui même. Il est détaché du réel. Il va se recueillir<br />

sur la tombe de son enfant avant d'accomplir son acte. Il n'est plus libre au moment de<br />

prendre ses décisions. Sa volonté est obnubilée. Il n'est pas moralement coupable de<br />

l'acte qu'il a commis... ».<br />

Le lendemain, 31e <strong>et</strong> dernier jour du procès, Henri Garaud prend la parole dans un<br />

silence religieux. Mon confrère à des problèmes de santé qui lui infligent parfois des<br />

douleurs difficiles à supporter mais il n'en dit rien. Je l'apprendrai plus tard.<br />

Il va se battre pour « le p<strong>et</strong>it couple » qu’il soutient depuis l'automne 1984. Sans doute<br />

a-t-il conscience du fait qu'il prononce ce jour-là la dernière grande plaidoirie d'une vie<br />

professionnelle pourtant bien remplie. Il va plaider de toutes ses forces, avec beaucoup<br />

d'émotion.<br />

« Vous ne pouvez pas ne pas penser à Grégory assassiné dans des conditions<br />

effroyables... Pourquoi une telle sévérité, Monsieur l'avocat général ? À quoi sert de<br />

réclamer 10 ans de réclusion criminelle... Comprenez l'ampleur du drame vécu par ce<br />

couple. Pourquoi ce réquisitoire de la démesure ? Peut-on oublier que la justice a lâché<br />

<strong>et</strong> a abandonné <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> ?... <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> n'est pas un homme<br />

dangereux. Il est un homme brisé qui doit reconstruire sa vie. Il s'y emploie depuis sa<br />

mise en liberté fin 1987. Vous auriez pu, Monsieur l'avocat général, demander pardon à<br />

<strong>Christine</strong> <strong>Villemin</strong> au nom de l'institution judiciaire... Vous avez affirmé votre conviction<br />

de l'innocence de la mère... <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> n'est pas coupable... On a fait craquer<br />

un père aimant. On a désigné la mère comme la coupable. On a suscité le désespoir<br />

d’un homme déjà meurtri par l'assassinat de son fils... Murielle Bolle a dit la vérité au<br />

moment où elle portait des accusations contre Bernard Laroche. Je plaide pour un<br />

enfant, pour un ange qui a été assassiné par un monstre. Je n'ai aucun doute quant à la<br />

culpabilité de Bernard Laroche... Nous sommes à une semaine de Noël. Donnez à ce<br />

couple dans la souffrance un verdict de paix <strong>et</strong> d'espoir ».<br />

Un long délibéré de quatre heures, angoissant. Un verdict qui intervient vers 15 h 30 :<br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> est condamné à cinq ans de prison dont un avec sursis soit, en<br />

définitive quatre années d'emprisonnement ferme.<br />

Nous faisons rapidement nos calculs <strong>et</strong> nous allons le soir même solliciter le juge de<br />

l'application des peines du tribunal de grande instance de Dijon. <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> pourra<br />

recouvrer sa liberté moins de deux semaines après la fin du procès.<br />

Immense soulagement pour le couple <strong>Villemin</strong>.<br />

Mon confrère Garaud fait état d'une décision d'apaisement. Il indique que les jurés ont<br />

su trouver une solution médiane. Ils n’ont pas suivi les réquisitions très sévères de<br />

Jacques Kohn. <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> a r<strong>et</strong>rouvé très vite son épouse <strong>et</strong> ses enfants. Le couple voit<br />

enfin le bout du tunnel.<br />

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De son côté, Paul Prompt relève pour la partie civile que la Cour d'assises a refusé de<br />

légitimer l'assassinat de Bernard Laroche. Elle a refusé « de transfigurer le crime en un<br />

acte de justice ».<br />

À l'issue de c<strong>et</strong> impressionnant procès, le Président Ruyssen tient les propos que je<br />

rappelais au début de ce récit consacré à <strong>Christine</strong> <strong>et</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Villemin</strong> : « vous ferez<br />

part à Mme <strong>Villemin</strong>, au nom de la justice française, de nos excuses... ».<br />

Pour en terminer, laissons la parole aux parents de Grégory. Quelques mois après le<br />

procès de Dijon, ils sont invités par la commission des lois du Sénat. C<strong>et</strong>te noble<br />

assemblée organise une journée de travail sur les thèmes du secr<strong>et</strong> de l'instruction <strong>et</strong> de<br />

la présomption d'innocence. Les époux <strong>Villemin</strong> sont les grands témoins de ce que le<br />

sénateur Larcher Appelle « une catastrophe judiciaire ». Laurence Lacour raconte dans<br />

son livre que pendant près de 12 heures, les sénateurs auditionnent des magistrats, des<br />

policiers, des gendarmes, des experts, des journalistes <strong>et</strong> autres intervenants dans le<br />

processus judiciaire <strong>et</strong> médiatique. Les époux <strong>Villemin</strong> rejoignent la tribune <strong>et</strong> prennent<br />

place aux côtés du ministre de la justice Pierre Méhaignerie. <strong>Christine</strong> prend la parole,<br />

tremblante d'émotion, <strong>et</strong> lit le texte suivant : « nous voudrions dire que les victimes sont<br />

en droit d'attendre de la justice, Procureur ou magistrat instructeur, ce que nous, nous<br />

n'avons pas connu : le respect de leur douleur, une écoute, un réconfort <strong>et</strong> une<br />

information sur leurs droits... Entraînée par ce monopole (du couple Bezzina),<br />

l'ensemble de la presse nationale <strong>et</strong> régionale a imaginé un feuill<strong>et</strong>on à grand spectacle<br />

en réécrivant mon histoire, ma jeunesse, notre vie de couple <strong>et</strong> même celle de notre<br />

enfant que l'on disait, entre autres, mal aimé... ».<br />

Texte dicté par Thierry Moser, avocat à Mulhouse, en janvier - février 2003.<br />

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