ob_f1cbbf_helen-fielding-2-l-age-de-raison.pdf

ien! Alors je réussirai à tout faire!
Minuit. Je viens de rentrer. Suis arrivée en retard à
cause de la débâcle habituelle de la signalisation sur l'autoroute.
(S'il y avait une guerre, je suis sûre qu'il vaudrait mieux laisser les
panneaux pour embrouiller les Allemands.) J'ai été accueillie par
maman, vêtue d'un étrange caftan de velours chocolat que, je
présume, elle jugeait littéraire.
- Comment va Salman? ai-je demandé, alors qu'elle me
réprimandait pour mon retard.
- Oh, nous avons décidé de faire plutôt du poulet, a-t-elle
répondu, l'air pincé, en m'entraînant vers l salon par les portesfenêtres
en verre biseauté.
La première chose que j'ai remarquée, c'est une nouvelle
couronne avec armoiries, affreusement voyante, au-dessus de la
cheminée en fausses pierres, où on pouvait lire: Hakuna Matata.
- Chut! a dit Una, le doigt levé, l'air captivé. Jérôme le
Prétentieux; dont on voyait nettement le bout de sein percé d'un
anneau sous un maillot noir collant, debout devant la vitrine
contenant la collection de verrerie taillée, beuglait agressivement:
« Je vois ses cuisses dures, osseuses, noueuses. Je les regarde, je
les veux, je les prends », devant un parterre de bonnes dames du
Lifeboat Book Club, effarées, en deux pièces Jaeger, sur des
chaises de salle à manger imitation Régence. J'ai aperçu à l'autre
bout de la pièce la mère de Mark Darcy, Elaine, qui arborait une
expression d'amusement contenu.
- «Je les veux, continuait à rugir Jérôme. J’empoigne ses
cuisses noueuses, velues. Il faut que je le prenne. Je souffle,
j'ahane, je…»
- Bon! Je trouve que c'était absolument magnifique! a dit
maman, se levant d'un bond. Quelqu'un veut-il un vol-au-vent?
C'est ahurissant la manière dont le monde des dames de la
bourgeoisie parvient à tout aplanir et à tout intégrer, à
transformer la complexité et le chaos ambiants en quelque chose
de charmant, d'inoffensif et d'aseptisé, un peu comme un
détergent colore tout en rose dans la cuvette des w-c.
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