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Les yeux jaunes des crocodiles

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Le feu passa au rouge et Jo en profita pour sortir un papier<br />

et un crayon de sa poche et demanda :<br />

— Tu sais, quand Audrey tourne avec Gary Cooper… et qu’il<br />

parle un drôle d’anglais ?<br />

— C’était un vrai cow-boy. Il venait du Montana. Il ne disait<br />

pas yes ou no, il disait yup et nope ! Cet homme qui a fait rêver<br />

<strong>des</strong> millions de femmes parlait comme à la ferme. Et, sans<br />

vouloir te décevoir, était plutôt terne !<br />

— Il dit aussi : « Am only in film because ah have a family<br />

and we all like to eat ! » Comment tu traduirais ça en langage<br />

cow-boy, justement…<br />

Shirley se gratta la tête et embraya. Elle donna un coup de<br />

volant à droite, un coup de volant à gauche et réussit, après<br />

avoir insulté deux ou trois automobilistes, à se dégager de<br />

l’embouteillage.<br />

— Tu pourrais mettre : « Ma foi, j’fais <strong>des</strong> films pace que<br />

j’dois nourrir ma famille et on aime tous bien becqueter… » Un<br />

truc comme ça ! Regarde sur le plan si je peux prendre à droite,<br />

parce que c’est tout bouché.<br />

— Tu peux… Mais après faudra que tu reviennes à gauche.<br />

— Je reviendrai à gauche. C’est la place du cœur, c’est ma<br />

place à moi.<br />

Joséphine sourit. La vie se transformait en centrifugeuse,<br />

auprès de Shirley. Elle ne restait jamais bloquée sur <strong>des</strong><br />

apparences, <strong>des</strong> conventions, <strong>des</strong> préjugés. Elle savait<br />

exactement ce qu’elle voulait ; elle allait droit au but. La vie<br />

selon Shirley était simple. La manière dont elle élevait Gary la<br />

choquait parfois. Elle parlait à son fils comme s’il était adulte.<br />

Elle ne lui cachait rien. Elle avait dit à Gary que son père s’était<br />

volatilisé à sa naissance, elle lui avait dit aussi que, le jour où il<br />

le lui demanderait, elle lui donnerait son nom pour qu’il le<br />

retrouve s’il le désirait. Elle avait ajouté qu’elle avait été<br />

follement amoureuse de son père, qu’il avait été un enfant<br />

désiré, aimé. Que la vie était rude pour les hommes aujourd’hui,<br />

que les femmes leur demandaient beaucoup et qu’ils n’avaient<br />

pas toujours les épaules assez larges pour tout porter. Alors,<br />

parfois, ils préféraient prendre la fuite. Cela semblait suffire à<br />

Gary.<br />

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