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Les yeux jaunes des crocodiles

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confiée. « Antoine leur a dit qu’il valait mieux qu’elles<br />

s’habituent à Mylène parce qu’il comptait vivre avec elle, qu’ils<br />

avaient un projet de travail à la rentrée… Quoi ? Personne ne<br />

sait… » <strong>Les</strong> filles ne parlaient pas. Joséphine s’était mordu la<br />

langue pour ne pas leur poser de questions.<br />

« Ces pauvres petites sont mal parties dans la vie ! déclara<br />

Madame mère à Iris. Mon Dieu, ce qu’on fait vivre aux enfants<br />

de nos jours ! Et on s’étonne que la société aille mal. Si les<br />

parents ne savent pas se tenir, que peut-on attendre <strong>des</strong><br />

enfants ? »<br />

Madame mère. Elle ne la voyait plus. Depuis le mois de mai.<br />

Depuis leur affrontement dans le salon d’Iris. Plus un seul mot.<br />

Plus un seul coup de téléphone. Plus une seule lettre. Rien. Elle<br />

n’y pensait pas tout le temps, mais quand elle entendait, dans la<br />

rue, une femme de son âge penchée sur une vieille dame qu’elle<br />

appelait « maman », ses genoux se dérobaient et elle cherchait<br />

un banc pour s’asseoir.<br />

Et pourtant, elle se refusait à faire le premier pas. Et<br />

pourtant, elle n’enlevait pas un seul mot au discours qu’elle<br />

avait prononcé ce soir-là.<br />

Elle se demandait même si ce n’était pas cette scène avec sa<br />

mère qui lui avait donné l’énergie de travailler. « On se sent très<br />

fort quand on ne triche pas. Ce soir-là, tu n’as pas triché et<br />

depuis, regarde comme tu avances ! » C’était la théorie de<br />

Shirley. Et Shirley n’avait peut-être pas tort.<br />

Seule. Sans Antoine, sans mère. Sans homme.<br />

À la bibliothèque, dans les travées étroites, entre les étagères<br />

de livres, elle avait heurté un homme qui venait en sens inverse.<br />

Elle avait les bras chargés de livres. Elle ne l’avait pas vu. Tous<br />

les livres avaient dégringolé, faisant grand bruit, et l’inconnu<br />

s’était baissé pour l’aider à les ramasser. Il lui avait fait les gros<br />

<strong>yeux</strong>, ce qui avait déclenché un fou rire chez Joséphine. Elle<br />

avait été obligée de sortir pour se calmer. Quand elle était<br />

rentrée, il lui avait adressé un clin d’œil de connivence. Elle<br />

avait été bouleversée. Tout l’après-midi elle avait cherché son<br />

regard, mais il avait gardé les <strong>yeux</strong> baissés sur ses classeurs. À<br />

un moment elle avait levé les <strong>yeux</strong>, il était parti.<br />

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