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Les yeux jaunes des crocodiles

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pour les heures passées à rester penchée sur le dictionnaire et la<br />

feuille de papier.<br />

Il faudrait que je m’achète un ordinateur si je continue ces<br />

travaux, j’irai plus vite. Une autre dépense, songea-t-elle, et elle<br />

la balaya de la main.<br />

D’un côté elle avait aligné ses gains, de l’autre ses dépenses.<br />

Au crayon, elle marquait les entrées et les sorties éventuelles, au<br />

Bic rouge, ce qui était certain. Et elle arrondissait. Elle<br />

arrondissait beaucoup. À son désavantage. Comme ça, se disaitelle,<br />

je ne pourrai être surprise qu’en bien et avoir une petite<br />

marge. C’est ce qui la terrifiait : elle n’avait pas de marge. Qu’il<br />

lui arrive un coup dur et c’était la catastrophe !<br />

Elle n’avait personne vers qui se tourner.<br />

Ce doit être ça, le vrai sens du mot « seule ». Avant, on était<br />

deux. Avant, surtout, Antoine veillait à tout. Elle signait là où il<br />

posait son doigt. Il riait et disait : « Je pourrais te faire signer<br />

n’importe quoi ! » et elle disait : « Oui, bien sûr ! je te fais<br />

confiance ! » Il l’embrassait dans le cou pendant qu’elle signait.<br />

Plus personne ne l’embrassait dans le cou.<br />

Ils n’avaient toujours pas parlé de séparation ni de divorce.<br />

Elle avait continué, docile, à parapher tous les papiers qu’il lui<br />

présentait. Sans lui poser de questions. En fermant les <strong>yeux</strong><br />

pour que ce lien entre eux dure encore. Mari et femme, mari et<br />

femme. Pour le meilleur et pour le pire.<br />

Il continuait à « prendre l’air ». Avec Mylène. Ça va faire six<br />

mois qu’il s’aère, pensa-t-elle en sentant monter la colère. Elle<br />

connaissait de plus en plus de ces accès de rage qui la<br />

submergeaient.<br />

Quand il était venu chercher les filles début juillet, ça lui<br />

avait fait mal. Très mal. La porte de l’ascenseur qui claque. « Au<br />

revoir, maman, travaille bien ! – Amusez-vous, les filles !<br />

Profitez bien ! » Et puis le silence dans la cage d’escalier. Et<br />

puis… elle avait couru au balcon et aperçu Antoine qui chargeait<br />

la voiture, ouvrait le coffre, engageait les deux valises et… à<br />

l’avant, à sa place à elle, un coude qui dépassait. Un coude en<br />

coton rouge.<br />

Mylène !<br />

Il l’emmenait en vacances avec les filles.<br />

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