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Les yeux jaunes des crocodiles

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finir comme elle, un jour. Je n’ai rien. Tout appartient à<br />

Philippe. Qu’est-ce que je possède en mon nom propre ? » Et<br />

Carmen, épluchant ses orteils, lissant la plante douce de ses<br />

longs pieds fins et cambrés, soupirait : « Jamais, ma belle,<br />

jamais vous ne finirez comme cette vieille femme ridée. Moi,<br />

vivante, jamais ! J’irai faire <strong>des</strong> ménages, je remuerai <strong>des</strong><br />

montagnes, mais jamais vous ne serez abandonnée ! – Redis-lemoi,<br />

Carmencita, redis-le-moi ! » Et elle s’abandonnait, fermait<br />

les <strong>yeux</strong> et somnolait, appuyée sur la serviette roulée que<br />

Carmen avait pris soin de glisser sous son cou.<br />

Ce soir, il n’y avait pas eu de cérémonie de bain.<br />

Ce soir, Iris avait pris une douche, très vite.<br />

Carmen mettait un point d’honneur à ce que chaque repas<br />

soit parfait. Surtout lorsque Mme Henriette Grobz venait dîner.<br />

— Ah ! Celle-là…, soupira Carmen en la regardant par la<br />

porte entrebâillée de l’office d’où elle dirigeait les opérations,<br />

quelle peau de vache !<br />

Henriette Grobz se tenait en bout de table, droite et raide<br />

comme une statue de pierre, les cheveux tirés en un chignon<br />

laqué dont aucune mèche ne s’échappait. Même les saintes dans<br />

les églises ont plus d’abandon qu’elle ! pensa Carmen. Elle<br />

portait un tailleur en toile légère, dont chaque pli était<br />

amidonné. On avait placé Hortense à sa droite, et la petite Zoé à<br />

sa gauche, elle leur parlait à l’une et à l’autre en s’inclinant telle<br />

une vieille institutrice. Zoé avait les joues barbouillées. Ses<br />

paupières étaient gonflées, ses cils collés. Elle avait dû pleurer<br />

dans la voiture avant de venir. Joséphine chipotait dans son<br />

assiette. Il n’y avait qu’Hortense qui babillait, faisant sourire sa<br />

tante et sa grand-mère, adressant <strong>des</strong> compliments à Chef qui<br />

ronronnait de plaisir.<br />

— Je t’assure que tu as maigri, Chef. Quand tu es entré dans<br />

la pièce, je me suis dit comme il est beau ! Comme il a rajeuni !<br />

À moins que tu aies fait quelque chose… Un petit lifting peutêtre<br />

?<br />

Chef éclata de rire et se frotta le crâne de plaisir.<br />

— Et je ferais ça pour qui, ma mignonne ?<br />

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