28.06.2013 Views

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

donner du courage… Et voilà, se dit-elle, je vais oser. Grâce à<br />

Hortense. Ma fille me met le pied à l’étrier. Ma fille, cette<br />

étrangère que je ne comprends pas, me force à me dépasser.<br />

Ma fille qui ne respecte ni l’amour, ni la tendresse, ni la<br />

générosité, ma fille qui aborde la vie un couteau entre les dents<br />

me fait un cadeau que personne ne m’a jamais fait : elle me<br />

regarde, elle me soupèse et elle me dit vas-y, reprends ton nom,<br />

écris, tu peux le faire ! Tiens-toi droite et fonce ! Si ça se trouve,<br />

bégaya Joséphine, elle m’aime, elle m’aime. À sa façon mais elle<br />

m’aime…<br />

Sa fille allait rentrer, elles allaient se retrouver face à face. Il<br />

ne fallait pas qu’elle pleure ni qu’elle l’embrasse. C’était trop tôt<br />

encore, elle le sentait. Elle l’avait défendue, à la télé, devant tout<br />

le monde. Elle lui avait rendu ce qui lui appartenait. Ça veut<br />

bien dire qu’elle m’aime un peu, quand même ?<br />

Elle resta assise, un long moment, réfléchissant à la conduite<br />

qu’il convenait d’adopter. <strong>Les</strong> minutes passaient, Hortense allait<br />

rentrer. Elle entendait la clé tourner dans la porte, elle<br />

entendait les premiers mots d’Hortense, tu es encore debout, tu<br />

n’es pas couchée, tu te faisais du souci pour moi ? Ma pauvre<br />

mère ! Alors tu m’as trouvée comment ? J’étais belle ?<br />

Intéressante ? Il fallait que je le dise, tu allais encore te faire<br />

avoir… J’en ai marre que tu te fasses avoir ! Elle partirait dans<br />

sa chambre et elle s’enfermerait.<br />

Elle luttait contre le découragement qui la gagnait.<br />

Elle poussa la fenêtre vitrée du balcon et s’appuya sur la<br />

balustrade. <strong>Les</strong> plantes vertes étaient mortes depuis longtemps,<br />

elle avait oublié d’enlever les pots. <strong>Les</strong> tiges <strong>jaunes</strong> et noires se<br />

dressaient comme de pauvres morceaux de bois calcinés, un<br />

vieux terreau de feuilles mortes formait une bouillie infâme au<br />

pied <strong>des</strong> tiges. C’est tout ce qu’il reste d’Antoine, soupira-t-elle<br />

en les effleurant de la main. Il aimait tellement s’occuper de ses<br />

plantes. Le camélia blanc… Il y passait <strong>des</strong> heures. Dosait<br />

l’engrais, installait <strong>des</strong> tuteurs, vaporisait l’eau minérale. Me<br />

disait leur nom en latin, m’indiquait leurs dates de floraison,<br />

m’expliquait comment les bouturer. Quand il est parti, il m’a<br />

recommandé de bien m’en occuper. Elles sont mortes.<br />

- 543 -

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!