28.06.2013 Views

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

veux ! La vie est si dure, si dure, et toi, tu es là à prétendre le<br />

contraire, à essayer que tout le monde s’aime, que tout le monde<br />

partage, que tout le monde s’écoute. Mais c’est de la connerie,<br />

tout ça ! <strong>Les</strong> gens se dévorent, ils ne s’aiment pas ! Ou ils<br />

t’aiment quand tu leur donnes quelque chose à manger ! Tu n’as<br />

rien compris, toi. Tu restes là comme une conne, à pleurer sur<br />

ton balcon, à parler aux étoiles. Tu crois que je ne t’ai jamais<br />

entendue parler aux étoiles ? J’avais envie de te balancer par<strong>des</strong>sus<br />

le balcon. Elles devaient bien se marrer les étoiles à<br />

t’entendre radoter, à genoux, les mains croisées. Avec ton petit<br />

chandail de rien du tout, ton tablier, tes cheveux plats et mous.<br />

Et toi, tu pleurnichais, tu leur demandais de l’aide, tu croyais<br />

qu’un bel ange allait <strong>des</strong>cendre du ciel et résoudre tous tes<br />

problèmes. J’avais pitié de toi et en même temps je te détestais !<br />

Alors j’allais me coucher et je m’inventais une mère fière, droite,<br />

impitoyable, une mère courageuse, belle, belle, je me disais ce<br />

n’est pas ma mère cette femme agenouillée sur le balcon, cette<br />

femme qui rougit, qui pleurniche, qui tremble pour un oui ou un<br />

non…<br />

Joséphine sourit et la regarda avec tendresse.<br />

— Vas-y, vide ton sac, Hortense…<br />

— Je t’ai détestée au moment du chômage de papa. Dé-testée<br />

! Toujours à amortir, à étouffer, tiens, tu t’es même mise à<br />

grossir pour mieux amortir ! Tu devenais plus moche de jour en<br />

jour, plus molle, plus… rien du tout et lui, il essayait de s’en<br />

sortir, il essayait de continuer, il mettait ses beaux habits, il se<br />

lavait, il s’habillait, il essayait mais toi, tu le contaminais avec ta<br />

douceur répugnante, ta douceur qui dégoulinait, qui l’engluait…<br />

— Ce n’est pas facile, tu sais, de vivre avec un homme qui ne<br />

travaille pas, qui est toute la journée à la maison…<br />

— Mais fallait pas le materner ! Il fallait lui faire sentir qu’il<br />

avait encore du courage ! Toi, tu le ratatinais avec ta douceur.<br />

Pas étonnant qu’il soit allé voir Mylène. Avec elle, il se sentait<br />

un homme tout d’un coup. Je t’ai détestée, maman, si tu savais<br />

ce que je t’ai détestée !<br />

— Je sais… Je me demandais juste pourquoi.<br />

— Et tes grands sermons sur l’argent, sur les valeurs de la<br />

vie, j’en aurais vomi ! Il n’y a plus qu’une seule valeur<br />

- 534 -

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!