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Les yeux jaunes des crocodiles

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elle et repars… Fais semblant, apprends à faire semblant. Le<br />

problème, soupira-t-elle, c’est que je pense encore… Je suis<br />

faible mais je pense encore, il faudrait ne plus penser du tout.<br />

Comme Bérengère. Je veux encore, je désire encore, je me tends<br />

encore pleine d’espoir, de désir vers une autre vie que je n’ai pas<br />

la force de construire ni même d’imaginer. Avoir la sagesse de<br />

me replier et de compter mes pauvres forces, de me dire voilà,<br />

j’ai trois sous de force et pas davantage, faisons avec… Mais c’est<br />

trop tôt sûrement, je ne suis pas prête à renoncer. Elle s’ébroua.<br />

Elle détestait ce mot, renoncer. Quelle horreur !<br />

Son regard retomba sur sa sœur. Elle avait tellement moins<br />

de talents que moi, à la naissance, et elle s’en sort très bien. La<br />

vie est tatillonne. C’est comme si elle réclamait l’addition, faisait<br />

le compte de ce qu’elle avait donné, de ce qu’elle avait reçu et<br />

présentait la note.<br />

— Même Hortense ne vient plus me voir, lâcha-t-elle dans un<br />

ultime sursaut de ce qu’elle pouvait encore appeler intérêt pour<br />

la vie. On s’entendait bien pourtant… Je dois la dégoûter aussi !<br />

— Mais elle prépare son bac, Iris. Elle travaille comme une<br />

folle. Elle vise une mention, elle a trouvé une école de stylisme à<br />

Londres pour l’année prochaine…<br />

— Ah ! Elle veut donc vraiment travailler… Je croyais qu’elle<br />

disait ça en l’air.<br />

— Elle a beaucoup changé, tu sais. Elle ne m’envoie plus<br />

bouler comme avant. Elle s’est radoucie…<br />

— Et toi, ça va ? Je ne te vois plus beaucoup, non plus.<br />

— Je travaille. Nous travaillons tous à la maison. C’est très<br />

studieux, l’atmosphère, chez moi.<br />

Elle eut un petit rire espiègle qui se finit en un sourire<br />

confiant, tendre. Iris devina une légèreté de femme gaie,<br />

heureuse, et elle désira plus que tout être à sa place. Elle eut un<br />

instant l’envie de lui demander : Comment fais-tu, Joséphine,<br />

mais elle n’avait pas envie de connaître la réponse.<br />

Elles ne s’étaient plus rien dit.<br />

Joséphine était repartie en promettant de revenir la voir.<br />

Elle est comme une fleur coupée, s’était-elle dit en partant. Il<br />

faudrait la replanter… Qu’Iris prenne racine. <strong>Les</strong> racines, on n’y<br />

pense pas quand on est jeune. C’est vers quarante ans qu’elles se<br />

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