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Les yeux jaunes des crocodiles

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Partir en Chine ne le tentait pas. Se battre à nouveau, et pour<br />

quoi ? Il n’avait plus la force de se battre.<br />

« Mais je travaillerai, tu n’auras pas grand-chose à faire… Tu<br />

t’occuperas <strong>des</strong> comptes. »<br />

Elle ne veut pas partir seule, songeait-il. Je suis devenu un<br />

homme de compagnie, pour ne pas dire un gigolo.<br />

Il doutait de tout. Il n’avait plus d’énergie. Il rejoignait les<br />

éleveurs au Crocodile Café, à Mombasa, et glissait le coude le<br />

long du comptoir en déblatérant sur les Noirs, sur les Blancs,<br />

sur les Jaunes, sur le climat, sur l’état <strong>des</strong> routes, sur la bouffe.<br />

Il s’était remis à boire. Je suis comme une pile à plat, se disait-il<br />

en fixant dans le noir de la nuit les <strong>yeux</strong> <strong>jaunes</strong> <strong>des</strong> <strong>crocodiles</strong>. Il<br />

pouvait lire une lueur d’ironie dans leurs <strong>yeux</strong>. On t’a bien eu,<br />

mon vieux. Regarde ce que tu es devenu : une loque humaine.<br />

Tu bois en cachette, tu n’as plus envie de baiser ta femme, tu<br />

manges du wapiti à Noël. On te massacrerait rien qu’en levant<br />

une patte ! Il leur lançait <strong>des</strong> pierres : elles ricochaient sur leur<br />

carapace luisante et grasse. Leurs paupières ne bougeaient pas,<br />

et la petite lueur jaune brûlait toujours dans l’orifice de leurs<br />

<strong>yeux</strong>, fendus comme un sourire mielleux.<br />

Sales bêtes, sales bêtes, je vais tous vous zigouiller !<br />

maugréait-il en cherchant comment les anéantir.<br />

Que la vie était douce, avant. À Courbevoie.<br />

Joséphine lui manquait. <strong>Les</strong> filles lui manquaient. Le<br />

chambranle de la porte de la cuisine venait se rappeler à son<br />

épaule, parfois, quand il s’appuyait à la porte de son bureau. Il<br />

se frottait doucement contre le bois et repartait à Courbevoie.<br />

Courbevoie, Cour-be-voie. <strong>Les</strong> syllabes résonnaient, magiques.<br />

Elles le faisaient voyager comme autrefois Ouagadougou,<br />

Zanzibar, Cap-Vert ou Esperanza. Retourner à Courbevoie.<br />

Après tout, cela ne fait que deux ans que je suis parti…<br />

Un soir, il appela Joséphine.<br />

Il tomba sur un répondeur qui lui demanda de laisser un<br />

message. Il regarda sa montre, surpris. Il était une heure du<br />

matin, heure française. Il réessaya le lendemain et entendit à<br />

nouveau la voix de Joséphine qui demandait qu’on laisse un<br />

message. Il raccrocha, sans laisser de message. Il appela alors<br />

dans la matinée, heure de Paris, et Joséphine décrocha. Après<br />

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