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Les yeux jaunes des crocodiles

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<strong>Les</strong> jambes défilaient sous le nez de Joséphine. Des jambes<br />

noires, <strong>des</strong> jambes beiges, <strong>des</strong> jambes blanches, <strong>des</strong> jambes<br />

vertes, <strong>des</strong> jambes écossaises. Au-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> jambes, il y avait<br />

<strong>des</strong> chemises, <strong>des</strong> polos, <strong>des</strong> vestes, <strong>des</strong> impers, <strong>des</strong> manteaux.<br />

Du bruit et un ballet incessant. Du podium montait une<br />

poussière qui lui piquait la gorge, qui lui piquait les <strong>yeux</strong>. On les<br />

avait placées au premier rang, elles pouvaient toucher les<br />

mannequins qui défilaient à un mètre d’elles. À côté de Jo,<br />

droite et appliquée, Hortense prenait <strong>des</strong> notes. Iris était partie<br />

pour New York. Avant de partir, elle avait dit à Joséphine :<br />

« Tiens, j’ai deux invitations pour le défilé de la collection<br />

homme de Jean-Paul Gaultier. Pourquoi n’irais-tu pas avec<br />

Hortense ? Ça l’intéresserait et toi, ça pourrait t’inspirer pour un<br />

prochain roman. On ne va pas rester tout le temps au Moyen<br />

Âge, hein, ma petite chérie, on va peut-être sauter quelques<br />

siècles pour le prochain… » Je n’écrirai pas de deuxième, ni de<br />

troisième livre pour elle, rumina Joséphine en apercevant un<br />

homme en kilt qui tournait devant elle. Joséphine avait pris les<br />

invitations, libellées au nom d’Iris Dupin, et avait remercié en<br />

disant qu’Hortense allait être enchantée. Elle lui avait souhaité<br />

un bon séjour à New York. « Oh ! Tu sais, c’est un aller-retour,<br />

juste le temps d’un week-end… »<br />

Joséphine regarda sa fille à la dérobée. Elle détaillait chaque<br />

modèle, notait <strong>des</strong> détails, griffonnait <strong>des</strong> revers de veste, <strong>des</strong><br />

manches, <strong>des</strong> cols de chemise, une cravate. Je ne savais pas que<br />

la mode masculine l’intéressait. Elle avait attaché ses cheveux et<br />

tirait une petite langue recourbée, signe qu’elle était concentrée.<br />

La puissance de travail de sa fille l’étonnait. Son attention revint<br />

sur le podium. Iris a raison : observer et prendre <strong>des</strong> notes.<br />

Toujours. Même sur <strong>des</strong> sujets qui ne vous passionnent pas,<br />

comme ces hommes magnifiques qui avancent à grands pas.<br />

Certains marchaient tout droit, les <strong>yeux</strong> arrimés au vide,<br />

d’autres souriaient et faisaient <strong>des</strong> signes à <strong>des</strong> amis placés dans<br />

l’assistance. Non, je n’écrirai pas un autre livre pour Iris ! Elle<br />

était énervée par l’attitude de sa sœur. Non qu’elle soit jalouse,<br />

toute cette exposition publique l’insupportait, mais parce qu’elle<br />

voyait ce qu’elle avait écrit se tordre en une parodie infâme. Iris<br />

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