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Les yeux jaunes des crocodiles

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frimeuse ! fulmina Iris. Elle relut l’article. Toujours les mêmes<br />

questions : en quoi le rapport hommes-femmes au XII e siècle<br />

était-il différent d’aujourd’hui ? De quoi souffraient les femmes,<br />

alors ? Sont-elles vraiment plus heureuses au XXI e siècle qu’au<br />

XII e ? Qu’est-ce qui a vraiment changé ? La modernité et la<br />

parité ne compromettent-elles pas in fine la passion ? « <strong>Les</strong><br />

femmes n’ont pas davantage de sécurité affective que par le<br />

passé, avait répondu Iris, elles s’en accommodent mieux, c’est<br />

tout. La seule sécurité possible serait de se détourner <strong>des</strong><br />

hommes, de ne plus avoir besoin d’eux, mais ce serait mourir un<br />

peu – du moins pour moi. » C’est pas mal, ça, pourtant. Et ce<br />

n’est pas arrogant. « Il n’y a pas d’homme idéal. L’homme idéal<br />

est celui qu’on aime. Il peut avoir dix-huit ou quatre-vingt-dix<br />

ans, il n’y a pas de loi. Pourvu qu’on l’aime ! Je ne connais pas<br />

d’homme idéal, je connais <strong>des</strong> hommes, certains que j’aime,<br />

d’autres que je n’aime pas. – Vous pourriez aimer un garçon de<br />

dix-huit ans ? – Pourquoi pas ? Quand on aime, on ne compte<br />

pas. – Vous avez quel âge ? – L’âge que l’homme que j’aime veut<br />

bien me donner. »<br />

Elle sentit <strong>des</strong> larmes d’irritation monter à ses <strong>yeux</strong>. Elle prit<br />

une autre revue, chercha à quelle page on parlait d’elle. Elle ne<br />

pouvait pas feuilleter un journal sans tomber nez à nez avec<br />

elle-même. Elle se regardait parfois avec tendresse, parfois avec<br />

agacement. Trop de rouge sur les joues, mauvaise lumière, oh !<br />

que je suis mignonne, là ! Elle aimait par-<strong>des</strong>sus tout poser pour<br />

les photographes. Elle s’offrait à eux, faisait la moue, éclatait de<br />

rire, se coiffait d’un grand chapeau, s’écrasait le bout du nez<br />

avec son index ganté… Elle ne s’en lassait pas.<br />

Page 121. L’article d’un vieux critique littéraire intellectuel et<br />

bougon. Il était connu pour ses pointes aci<strong>des</strong> et ses jugements<br />

sans appel. Iris lut les premiers mots avec anxiété et soupira,<br />

soulagée. Il aimait le livre : « La science et le talent réunis sous<br />

une même plume. Des détails qui accrochent, <strong>des</strong> élans de l’âme<br />

qui enflamment. Un vocabulaire qui ne cultive pas<br />

l’hermétisme, mais sait être limpide sans être transparent… »<br />

C’est beau, ça, « limpide sans être transparent » ! Iris repoussa<br />

le bout du châle sur son pied, elle avait froid, et sonna Carmen,<br />

elle avait soif. Elle se souvenait très bien de ce journaliste. Elle<br />

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