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Les yeux jaunes des crocodiles

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— Tu charries ! C’est ma copine, je vais pas la trahir.<br />

— Tu me dis pas où elle est. Tu me dis juste « tiens, elle a<br />

appelé, elle va bien, elle a pris trois kilos, elle a mal aux reins,<br />

elle met <strong>des</strong> coussins dans le dos pour se soutenir, elle est folle<br />

<strong>des</strong> marrons glacés… ». Et n’oublie pas de lui demander si le<br />

ventre pointe en avant, c’est signe de garçon, ou s’il ballonne sur<br />

le côté, ce serait une fille… Dis-lui aussi de bien se nourrir, de ne<br />

pas lésiner sur la viande rouge, de se coucher tôt, de bien<br />

dormir sur le dos pour ne pas l’écraser…<br />

— Oh, Marcel ! T’exagères pas un peu, là ?<br />

— Dis-lui surtout, et ce sera tout, que son compte en banque<br />

va éclater tellement il rigole ! Surtout qu’elle manque de rien,<br />

ma Choupette, qu’elle manque de rien ! Et qu’elle se ménage !<br />

— Écoute, Marcel, j’en ai fait trois. J’ai survécu. Calme-toi !<br />

— On n’est jamais assez prudent. Elle est pas habituée à se<br />

rouler les pouces ! Elle pourrait se faire mal.<br />

— Je retourne au turbin. Tu me paies pas pour attendre près<br />

du téléphone, hein ?<br />

Marcel se dressa d’un coup, enlaça une branche de glycine et<br />

l’embrassa. <strong>Les</strong> gouttes de pluie ruisselèrent sur ses joues. On<br />

aurait dit qu’il pleurait de bonheur.<br />

Iris jeta le magazine sur la table basse en faisant la grimace.<br />

Elle s’était fait piéger. Elle avait reçu la journaliste chez elle,<br />

avait fait servir le thé par Carmen sur un grand plateau sombre<br />

en bois ciselé de chez Brown and Birdy, l’avait régalée d’une<br />

tarte au citron meringuée et avait répondu aux questions avec<br />

sérénité et détachement. Tout était parfait, j’aurais pu dire<br />

Moteur et la caméra aurait tourné ! Scène 14. Bureau de<br />

l’écrivain dont on parle, fin d’une journée d’automne : elle reçoit<br />

une journaliste dans son bureau. Elle a répandu <strong>des</strong> livres à<br />

terre, froissé <strong>des</strong> papiers, ouvert un carnet sur lequel est posé un<br />

stylo et mis en sourdine une musique de jazz, la voix cassée de<br />

Billie Holiday qui souligne sa langueur désespérée. Tout avait<br />

été parfaitement réglé, du moins le croyait-elle…<br />

Sa nonchalance avait été perçue comme de l’arrogance. Tout<br />

juste si elle ne me traite pas de bourge endimanchée et<br />

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