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Les yeux jaunes des crocodiles

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— Drapeau blanc ! On arrête. Tu viens avec moi livrer mes<br />

gâteaux ?<br />

Marcel Grobz, emmitouflé dans un par<strong>des</strong>sus en tweed et<br />

une écharpe jaune écossaise, était assis sur un banc, sous la<br />

glycine de la cour, et regardait d’un œil morne les sarments<br />

noueux et secs où perlaient <strong>des</strong> gouttes de pluie. Josiane était<br />

partie. Elle avait disparu depuis quinze jours. Elle s’était<br />

baissée, avait empoigné son sac de voyage et clic, clac, de ses<br />

petits talons pointus, elle avait pris la porte. Clic, clac sur les<br />

pavés de la cour, clic, clac en poussant la grille. Il n’avait pas eu<br />

la force de lui courir après. Écrasé de chagrin, il avait suivi le<br />

bruit <strong>des</strong> talons et s’était laissé tomber sur la chaise devant le<br />

bureau de Josiane. Depuis, il s’asseyait partout où il pouvait,<br />

dès qu’il avait un moment de répit, et entendait le bruit sec et<br />

résolu <strong>des</strong> talons de Josiane. Ça lui tordait le cœur.<br />

Une feuille morte se détacha d’un arbre et tomba en<br />

tourbillonnant à ses pieds. Il se pencha, la ramassa, la froissa<br />

entre ses doigts. Sans Josiane, il n’avait plus envie de se battre.<br />

Et Dieu sait qu’il avait besoin de toutes ses forces, en ce<br />

moment. Il livrait la bataille la plus dure de sa carrière. Pour<br />

elle, pour eux, pour ce bébé dont ils n’arrêtaient pas de parler et<br />

qui se faisait désirer.<br />

Ginette l’aperçut par la fenêtre de l’atelier, gara son chariot<br />

élévateur et vint le retrouver sur le banc. Elle s’essuya les mains<br />

sur sa salopette et, lui donnant une bourrade dans le dos, s’assit<br />

à côté de lui.<br />

— Ça va pas fort, hein, mon pauvre vieux ?<br />

— Non. Sans elle, j’arque plus…<br />

— Fallait pas la laisser partir. Tu pousses, Marcel, tu<br />

pousses ! Je la comprends… Elle en peut plus d’attendre, la<br />

pauvre môme !<br />

— Et tu crois que ça me fait plaisir de la faire attendre ?<br />

— Il ne tient qu’à toi que les choses se règlent. Depuis que tu<br />

en parles et que tu ne fais rien ! Forcément, elle pense qu’il y a<br />

une couille dans le pâté. T’as qu’à demander le divorce et tout<br />

s’arrangera.<br />

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