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Les yeux jaunes des crocodiles

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À chaque fois qu’elle lisait une bonne critique, elle avait<br />

envie de pousser <strong>des</strong> cris de victoire, de rire aux larmes, de faire<br />

<strong>des</strong> sauts de kangourou. Elle courait chez Shirley. C’était le seul<br />

endroit où elle pouvait laisser libre cours à sa joie. « Il marche,<br />

Shirley, il marche, j’ai écrit un best-seller ! Tu te rends compte,<br />

moi, la petite chercheuse obscure, au salaire de misère, aux<br />

conférences poussiéreuses, la petite oie blanche qui ne<br />

comprend rien à la vie ! Pour mon premier coup d’essai, je<br />

m’offre un coup de maître ! » Shirley criait Olé et elles dansaient<br />

un flamenco endiablé. Gary les avait surprises, une fois ; elles<br />

s’étaient interrompues, rouges et essoufflées.<br />

Puis, le temps passant, elle avait été envahie par un grand<br />

sentiment de vide. La sensation d’avoir été volée, cambriolée,<br />

utilisée. Salie. Iris s’étalait partout. Iris souriait partout. <strong>Les</strong><br />

<strong>yeux</strong> bleus d’Iris la surprenaient à chaque kiosque à journaux.<br />

Iris parlait <strong>des</strong> affres de l’écriture, de la solitude, du XII e siècle,<br />

de saint Benoît. Comment avait-elle eu l’idée de son histoire ?<br />

En entrant au Sacré-Cœur, un soir de mélancolie. En regardant<br />

la statue d’une sainte si belle, au visage si doux qu’elle lui avait<br />

cousu une histoire sur mesure. L’idée de l’appeler Florine ? Je<br />

faisais un gâteau avec mon fils et j’ai versé de la farine Francine<br />

dans le moule. Francine-Florine-Francine-Florine ! Joséphine<br />

écoutait, médusée : mais où trouvait-elle tout ça ? Un jour, elle<br />

l’entendit même évoquer Dieu et l’inspiration divine pour<br />

expliquer la fluidité de son écriture, « ce n’est pas moi qui écris,<br />

on me dicte ». Joséphine était tombée d’un coup sur le tabouret<br />

près de l’évier. « Alors ça, répétait-elle, quel culot ! »<br />

Elle avait ouvert la porte vitrée qui donnait sur le balcon et<br />

regardé les étoiles. C’est trop, je n’en peux plus ! C’est déjà dur<br />

de la voir prendre la pose, s’approprier Florine mais si, en plus,<br />

elle vous confisque, vous aussi ! Il me reste quoi à moi ? Bayer<br />

aux corneilles ? C’est laid, les corneilles ! Et comment elle sait<br />

que je vous parle ? Je ne lui ai jamais dit ou si, peut-être une<br />

fois… Elle se sert de tout ! C’est un vampire.<br />

Ce soir-là, après avoir surpris une lectrice dans l’autobus,<br />

elle sonna à la porte de Shirley. Il n’y avait personne. Elle<br />

retourna chez elle, trouva un mot de Zoé qui disait : « Maman,<br />

je vais dormir chez Alexandre, Carmen vient me chercher.<br />

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