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Les yeux jaunes des crocodiles

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fort que lui, il avait besoin de savoir. L’affronter aurait été plus<br />

noble. Mais on n’affrontait pas Iris. Elle se défilait toujours.<br />

Quand elle était revenue de l’émission de télévision qu’il avait<br />

regardée avec Alexandre et Carmen en dînant sur la table basse<br />

face au poste, elle s’était plantée devant eux et avait lancé,<br />

triomphante : « J’ai été comment ? Superbe, non ? » Ils<br />

n’avaient pas eu le cœur à répondre. Elle avait attendu puis,<br />

devant le silence qui se prolongeait, avait soupiré : « Vous n’y<br />

connaissez rien ! Ça s’appelle du marketing et si on ne fait pas<br />

ça, le livre ne se vend pas. Je suis totalement inconnue, c’est un<br />

premier roman, il faut le mettre sur orbite ! Et puis, ça va<br />

repousser ! » avait-elle ajouté en passant ses doigts dans ses<br />

cheveux. Fin <strong>des</strong> discussions. Le lendemain, elle avait couru<br />

chez son coiffeur pour qu’il lui refasse une coupe, une vraie à<br />

cent soixante-cinq euros. <strong>Les</strong> cheveux courts soulignaient<br />

l’immensité et le trouble de ses grands <strong>yeux</strong> bleus ; la ligne de<br />

son long cou, l’ovale parfait de son visage, ses épaules dorées<br />

éclataient comme les chiffres d’un blason sur une tapisserie.<br />

Elle avait l’air d’un page innocent. « Maman, maman, on dirait<br />

que t’as quatorze ans ! » s’était exclamé Alexandre. Philippe<br />

avait été troublé et, n’eût été le sourd dégoût qu’il éprouvait<br />

pour toute cette affaire, il aurait été ému.<br />

Il ouvrit le classeur. Il était rempli de coupures de journaux.<br />

Des quotidiens. <strong>Les</strong> mensuels ne sont pas encore sortis. Ils vont<br />

se remplir d’elle, de ses mensonges, de ses allégations. Il<br />

parcourut <strong>des</strong> <strong>yeux</strong> les premiers articles. Certains étaient signés<br />

par <strong>des</strong> journalistes qu’il connaissait. Ils parlaient tous d’Iris et<br />

de son audace. « A star is born » titrait l’un d’eux. « La surprise<br />

du chef », titrait un autre. Un journaliste plus sérieux se<br />

demandait où s’arrêtait le spectacle et où commençait la<br />

littérature mais reconnaissait que le livre était bien écrit bien<br />

qu’« un peu universitaire » et très bien documenté. « On sent<br />

qu’Iris Dupin connaît son XII e siècle sur le bout <strong>des</strong> doigts et<br />

nous le fait revivre avec maestria. Tout est juste. Tout est<br />

intriguant. On se prend à suivre la règle de saint Benoît comme<br />

si on suivait l’intrigue d’un film d’Hitchcock. » Il les parcourut<br />

<strong>des</strong> <strong>yeux</strong>. Suivaient <strong>des</strong> réflexions d’Iris sur l’écriture, la<br />

difficulté d’un premier roman, les mots qui se dérobent,<br />

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