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Les yeux jaunes des crocodiles

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Le 13 juillet, en fin de matinée, Joséphine revenait d’avoir<br />

couru dans les bois. Un souffle de vent venu de la mer soulevait<br />

ses cheveux qui retombaient en maigres queues sur le bout de<br />

son nez et son tee-shirt orange lui collait à la peau, <strong>des</strong>sinant<br />

<strong>des</strong> plaques disgracieuses de transpiration. La sueur lui<br />

brouillait la vue et lui piquait les <strong>yeux</strong>.<br />

Lasse de penser, il y a trente ans papa mourait, il y a trente<br />

ans papa mourait, il y a trente ans papa mourait, elle avait<br />

chaussé ses baskets et était partie courir. Quarante-cinq<br />

minutes ! Elle avait tenu quarante-cinq minutes ! Elle regarda<br />

sa montre et se félicita. Courir l’aidait à penser. Elle déroulait sa<br />

pensée au fur et à mesure que ses foulées s’amplifiaient. Il avait<br />

plu pendant la nuit. Elle sentait l’odeur de la terre mouillée,<br />

l’odeur qui fait remonter toutes les odeurs, qui exhale la<br />

fougère, le chèvrefeuille, la mousse <strong>des</strong> bois, les champignons,<br />

les feuilles mortes en un bouquet de saveurs et, par-<strong>des</strong>sus tout,<br />

comme une brume vaporisée dans l’air, l’odeur salée de la mer<br />

qui venait se déposer sur son visage et qu’elle léchait à petits<br />

coups de langue. Elle courait en écoutant l’oiseau qui criait<br />

« pffiit, pffiit, pfiit », elle entendait « vite, vite, vite » et<br />

accélérait le pas. Ou celui qui disait « mais oui, mais oui, mais<br />

oui… » et elle parlait à son père. Papa, petit papa, si tu es là,<br />

fais-moi un signe… « mais oui, mais oui, mais oui », il va<br />

répondre bientôt l’éditeur ? Qu’est-ce qu’il fabrique ? Près de<br />

quinze jours qu’il l’a reçu ! Mais oui, mais oui… répondait<br />

l’oiseau. Ce serait bien qu’il donne sa réponse aujourd’hui, cela<br />

voudrait dire que tu veilles sur le manuscrit ! Hier, sa mère avait<br />

appelé et longuement parlé avec Iris. « Maman pense que Chef<br />

a une maîtresse, avait chuchoté Iris à Jo. Tu imagines Chef au<br />

lit ? » Elle avait mis le doigt sur la bouche pour ne pas parler<br />

devant les enfants et elles s’étaient retrouvées toutes les deux<br />

dans la cuisine, quand tout le monde était couché. « Elle le<br />

trouve changé, émoustillé, rajeuni. Il paraît qu’il met <strong>des</strong> crèmes<br />

de beauté, se teint les cheveux, a perdu du ventre et découche !<br />

Maman flaire la rivale. Elle a trouvé une photo de Chef enlaçant<br />

une femme, en fouillant dans ses affaires. Une brune<br />

voluptueuse au décolleté avantageux avec de longs cheveux<br />

noirs. Une jeunette. Derrière la photo, il avait gribouillé un<br />

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