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Les yeux jaunes des crocodiles

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— Vous avez <strong>des</strong> enfants ?<br />

— Deux filles… Mais pas de mari ! Je n’ai pas dû être une<br />

bonne épouse. Il est parti avec une autre.<br />

Elle rit, bêtement, et rougit. Elle venait de laisser échapper<br />

une confidence.<br />

Ils avaient pris l’habitude de se retrouver à la cafétéria. Il lui<br />

parlait de son manuscrit. Je veux écrire une histoire <strong>des</strong> larmes<br />

pour mes contemporains qui confondent sensibilité et<br />

sensiblerie, qui pleurent pour s’exhiber, pour se vendre, pour se<br />

faire l’âme belle, pour vivre <strong>des</strong> émotions qu’ils ne ressentent<br />

pas. Je veux rendre aux larmes leur noblesse telle que l’a<br />

comprise jadis Jules Michelet ; vous savez ce qu’il écrivait ? « Le<br />

mystère du Moyen Âge, le secret de ses larmes intarissables et<br />

son génie profond. Larmes précieuses, elles ont coulé en<br />

limpi<strong>des</strong> légen<strong>des</strong>, en merveilleux poèmes, et, s’amoncelant vers<br />

le ciel, elles se sont cristallisées en gigantesques cathédrales qui<br />

voulaient monter au Seigneur ! » Il citait, les <strong>yeux</strong> fermés, et le<br />

miel coulait de ses lèvres. Il citait Michelet, Roland Barthes et<br />

les Pères du Désert en croisant les doigts comme s’il disait une<br />

prière.<br />

Un après-midi, il se tourna vers elle et demanda :<br />

— Ça vous dirait d’aller au cinéma samedi soir ? On donne<br />

un vieux film de Kazan qui ne passe jamais en France, Le Fleuve<br />

sauvage, dans un cinéma rue <strong>des</strong> Écoles. Je me disais…<br />

— D’accord, dit Joséphine. Tout à fait d’accord.<br />

Il la regarda, étonné par son enthousiasme.<br />

Elle venait de comprendre quelque chose de très important :<br />

quand on écrit, il faut ouvrir toutes gran<strong>des</strong> les portes à la vie<br />

afin qu’elle s’engouffre dans les mots et alimente l’imaginaire.<br />

Le samedi soir, Luca et Joséphine allèrent au cinéma. Ils<br />

s’étaient donné rendez-vous devant le cinéma. Joséphine arriva<br />

en avance. Elle désirait avoir le temps de reprendre une<br />

contenance avant que Luca ne paraisse. Elle ne pouvait<br />

s’empêcher de rougir quand il la regardait et si, d’aventure,<br />

leurs mains se frôlaient, son cœur semblait vouloir sortir de sa<br />

poitrine. Il la troublait physiquement et cela la perturbait<br />

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