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Les yeux jaunes des crocodiles

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Florine se résout au mariage. Elle choisit le prétendant le plus<br />

doux, le plus mo<strong>des</strong>te, celui qui n’entravera pas ses plans de<br />

dévote : Thibaut de Boutavant, dit le Troubadour. Il est de<br />

bonne famille, honnête et droit, il passe ses journées à écrire <strong>des</strong><br />

poèmes sur la fin’amor et joue de la mandoline en rêvant de<br />

Florine. Encore faut-il que le mariage soit accepté par les autres<br />

seigneurs ! Florine les mettra devant le fait accompli et se<br />

mariera en secret, une nuit, dans la petite chapelle du château.<br />

Elle offre une grosse somme d’argent au prêtre chargé de les<br />

unir. Le jour suivant, elle donne un banquet où elle présente son<br />

nouveau mari aux prétendants floués. Le vin coule à flots, le vin<br />

gascon car le vin anglais, « il faut le boire les <strong>yeux</strong> fermés et les<br />

dents serrées » tellement il est mauvais, et les prétendants<br />

roulent sous la table. Thibaut va planter sa bannière sur la<br />

muraille du château pour montrer à tous qu’il est le seul maître.<br />

Joséphine, pour écrire, s’emparait souvent de la personnalité<br />

de quelqu’un qu’elle connaissait. Un ou plusieurs détails. Une<br />

impression même fugace. Il n’était pas utile que ce soit juste.<br />

Ainsi avait-elle pris l’image de son propre père pour incarner le<br />

père de Florine. Et c’était comme si elle faisait enfin<br />

connaissance avec lui. Elle se souvenait qu’enfant, elle admirait<br />

son père et lui pardonnait ses calembours parce qu’elle avait<br />

compris qu’il les faisait pour se délasser. Il rentrait chez lui,<br />

soucieux et fatigué ; il se laissait aller à <strong>des</strong> jeux de mots faciles.<br />

Des bribes de souvenirs revenaient. Elle comprenait <strong>des</strong><br />

silences, <strong>des</strong> mots qu’elle n’avait pas compris, alors. Elle se<br />

disait qu’elle aimait le travail, la loi et l’autorité parce que son<br />

père incarnait ces valeurs. Je ne suis pas une révoltée ni une<br />

battante, j’ai hérité de son humilité ; je respecte cette attitude<br />

face à la vie. J’aime admirer. J’aime les gens qui me sont<br />

supérieurs, sans doute parce que je suis la fille de mon père. Il<br />

était, pour moi, un personnage mystérieux, effacé, mais<br />

exigeant. J’avais compris que son silence était sa façon de lutter,<br />

de chercher. En rencontrant <strong>des</strong> gens qui n’attendent rien, qui<br />

ne cherchent rien, je me suis aperçue, par contraste, de la<br />

richesse de mon père. C’est quelqu’un qui est toujours allé vers<br />

ce qui ne sert à rien. C’est pourquoi j’ai besoin <strong>des</strong> chevaliers,<br />

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