28.06.2013 Views

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

<strong>des</strong> ronds et <strong>des</strong> festons. Elle lui avait tapé dans l’œil. Le jeune<br />

Marcel Grobz cherchait un endroit frais et bourgeois pour y<br />

loger son entreprise. « Bon Dieu ! s’était-il exclamé en voyant le<br />

lot qu’on lui proposait pour une bouchée de pain, voilà qui fera<br />

bel effet ! » et il bichait comme un pou sur la tête d’un teigneux.<br />

« On se croirait dans un couvent de carmélites ! Ici, on me<br />

parlera avec respect, et on attendra si je suis en retard d’une<br />

traite ! Cet endroit respire la bonhomie, la douceur provinciale,<br />

l’affaire honnête et prospère. »<br />

Il avait tout acheté : l’immeuble et l’atelier, la cour et la<br />

glycine, et d’anciennes écuries aux fenêtres cassées qu’il avait<br />

aménagées pour en faire <strong>des</strong> locaux supplémentaires.<br />

C’est là au 75 de l’avenue Niel que son entreprise avait pris<br />

son envol.<br />

C’est là aussi qu’un beau jour d’octobre 1970, il avait vu<br />

arriver René Lemarié, un jeune gars, de dix ans son cadet, dont<br />

la taille étranglée de jeune fille s’évasait jusqu’à <strong>des</strong> épaules de<br />

cariatide ; le crâne rasé, le nez cassé, le teint rouge brique, un<br />

sacré gaillard ! s’était dit Marcel en écoutant les arguments de<br />

René qui cherchait une place. « C’est pas pour me vanter, mais<br />

je sais tout faire. Et je lanterne pas. J’ai pas un nom qui se<br />

dévisse, je sors pas de Polytechnique, mais je vous rendrai<br />

service ! Prenez-moi à l’essai et vous me supplierez de rester. »<br />

René était jeune marié. Ginette, sa femme, une petite<br />

blonde, qui riait tout le temps, fut embauchée à l’atelier. Elle<br />

travaillait sous les ordres de son mari. Elle conduisait les vans,<br />

tapait à la machine, comptait et recomptait les conteneurs, en<br />

vérifiait le contenu. Elle aurait aimé être chanteuse, mais la vie<br />

en avait décidé autrement. Quand elle avait rencontré René, elle<br />

était choriste dans les spectacles de Patricia Carli et avait dû<br />

choisir : René ou le micro. Elle avait choisi René, mais<br />

continuait à hurler, quand l’envie lui prenait, « arrête, arrête !<br />

Ne me touche pas ! Je t’en supplie, aie pitié de moi ! Je ne peux<br />

plus, plus suporrrrter avec une autre te parrrtager… D’ailleurs,<br />

demain tu te marrries, elle a de l’archent, elle est cholie ! Elle a<br />

tou-ou-tes les qualités, mon seul défaut, c’est de t’aimer ! ! ! »<br />

sous les gran<strong>des</strong> verrières de l’atelier. Elle vocalisait et imaginait<br />

un parterre de spectateurs hurlant à ses pieds. Elle avait<br />

- 176 -

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!