28.06.2013 Views

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Ils étaient allés ensemble acheter ce qu’elle avait appelé « les<br />

premières commodités ». Il n’y avait rien dans la maison, le<br />

précédent propriétaire avait tout emporté, allant jusqu’à<br />

décrocher les rideaux <strong>des</strong> chambres et du salon. Gazinière,<br />

frigidaire, table et chaises, chaîne hi-fi, lit et tapis, casseroles et<br />

assiettes, ils avaient dû tout acheter. « Je suis si heureuse de<br />

participer à cette aventure », soupirait-elle en lui tendant sa<br />

carte de crédit. Elle ne reculait devant aucune dépense pour leur<br />

« petit nid d’amour » ; grâce à elle, la maison avait pris jolie<br />

tournure. Elle s’était acheté une machine à coudre, une vieille<br />

Singer trouvée sur le marché, et elle piquait <strong>des</strong> rideaux, <strong>des</strong><br />

<strong>des</strong>sus-de-lit, <strong>des</strong> nappes et <strong>des</strong> serviettes toute la journée. <strong>Les</strong><br />

employées chinoises avaient pris l’habitude de lui apporter du<br />

travail et Mylène le faisait de bonne grâce. Quand il arrivait par<br />

surprise et voulait l’embrasser, elle avait la bouche pleine<br />

d’épingles ! Le week-end, ils allaient sur les plages blanches de<br />

Malindi ; ils pratiquaient la plongée sous-marine.<br />

Trois mois avaient passé, Mylène ne soupirait plus de<br />

bonheur. Chaque jour, elle attendait, inquiète, l’arrivée du<br />

courrier. Antoine lisait dans ses <strong>yeux</strong> sa propre angoisse.<br />

Le 15 décembre, il n’y avait rien au courrier.<br />

Ce fut une journée morne, une journée silencieuse. Pong les<br />

servit sans rien dire. Antoine ne toucha pas à son petitdéjeuner.<br />

Il ne supportait plus de manger <strong>des</strong> œufs. Dans dix<br />

jours c’est Noël, et je n’ai rien pu envoyer à Joséphine et aux<br />

filles. Dans dix jours c’est Noël, et je vais me retrouver, avec<br />

Mylène, à siroter une coupe de champagne aussi glacée que<br />

l’espoir dans nos veines.<br />

Ce soir, j’appellerai mister Wei et je hausserai le ton…<br />

Ce soir, ce soir, ce soir…<br />

Le soir, la réalité était moins crue, les <strong>yeux</strong> <strong>jaunes</strong> <strong>des</strong><br />

<strong>crocodiles</strong> dans les bassins scintillaient de mille promesses. Le<br />

soir, avec le décalage horaire, il était sûr de trouver mister Wei<br />

chez lui.<br />

Le soir, le vent se levait et l’étouffante chaleur retombait sur<br />

l’herbe sèche et sur les marais. Une vapeur légère s’élevait. On<br />

respirait mieux. Tout devenait flou et rassurant.<br />

- 167 -

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!